1.4.3. Retour sur la ’comptabilité mentale’ : l’impact d’un gain ou d’une perte antérieur sur l’attitude du décideur face au risque

Dans le prolongement de sa contribution instigatrice d’un modèle de ’comptabilité mentale hédoniste’ (Thaler [1985]), Richard Thaler a mené (en collaboration avec Eric Johnson) une série d’expériences qui complètent et raffinent les précédents résultats de Kahneman et Tversky. Dans le cadre de ces expériences, Thaler & Johnson [1990] ont invité leurs sujets à choisir entre : recevoir l’espérance de gain ou de perte d’une loterie avec certitude, ou opter pour une participation à ladite loterie. La nature de ces arbitrages a été examinée en modulant les valeurs (exprimées en monnaie) attribuées à d’hypothétiques gains ou pertes auxquels les sujets sont censés avoir été préalablement exposés. Trois conclusions essentielles se dégagent de ces travaux.

Il apparaît, d’abord, qu’en présence de pertes passées, l’aversion pour le risque se voit renforcée. La perte préalable dégrade tout particulièrement l’attractivité des loteries susceptibles de déboucher sur de nouvelles pertes. C’est là un corollaire assez direct des résultats expérimentaux visant à apprécier les modalités d’évaluation de deux ou plusieurs pertes, tels que l’on a pu les rapporter ci-dessus (résultats qui nient la pertinence empirique du second précepte de la comptabilité mentale hédoniste).

Il ressort, ensuite, que la précédente proposition connaît une exception bien déterminée, à savoir lorsque le choix d’une option (risquée ou certaine) permet au décideur d’effacer les pertes antérieures (’to break even’). Cette recherche de risque dans un contexte marqué par une perte préalable, suggèrent les auteurs, est notamment susceptible de résulter de la possibilité que se voit ainsi offrir le décideur de procéder à une évaluation conjointe de la perte initiale et de l’éventuel gain subséquent (ce qui conduit -conformément au troisième précepte de la comptabilité mentale hédoniste- à renforcer l’attractivité de la loterie considérée).

Il apparaît, enfin, que les gains passés favorisent, a contrario, la prise de risque. Dans la mesure où les éventuelles pertes se voient mentalement intégrées avec les gains réalisés antérieurement219, l’aversion pour les pertes se trouve minorée, conduisant ainsi à accroître l’attractivité de l’option risquée sur laquelle le décideur se doit de se prononcer.

Notes
219.

A condition, toutefois, que ceux-ci soient supérieurs à celles-là.