2.1.3. Le phénomène de ’revirement de préférence’ comme illustration paradigmatique de la classe des contingences de procédé

Le phénomène connu sous le nom de ’preference reversal’ n’est qu’une illustration, certes proéminente, de la classe des contingences de procédé. Ainsi, des configurations de préférences contradictoires peuvent apparaître lorsque l’on contraste non plus une tâche consistant en un choix avec une tâche appelant une évaluation, mais une tâche de choix avec une tâche d’’appariement’ (’matching’). Tversky et al. [1988] rapportent l’expérience qui suit.232 Soient deux programmes de sécurité routière destinés à réduire le nombre de victimes d’accidents. Le programme A devrait conduire à ramener le nombre de ces victimes à 570, pour un coût annuel de 12 millions de dollars. Le programme B réduirait, quant à lui, le nombre des victimes à 500, pour un coût annuel de 55 millions. Lorsque les personnes interrogées sont invitées à choisir entre ces deux programmes, deux tiers environ indiquent préférer le programme B. Si l’on s’efforce d’inférer les préférences des personnes interrogées par le biais d’une tâche d’appariement il ressort, cette fois, que 90% semblent, en toute rigueur, indiquer préférer le programme A. En quoi consiste cette tâche ? Les personnes interrogées se voient présenter les mêmes informations, à l’exception du coût engendré par le programme B. Il leur est demandé de déterminer le coût qui, selon eux, rend équivalents les programmes A et B. Donner un coût inférieur à 55 millions (ainsi que l’ont donc fait 90% des personnes interrogées) devrait signifier que l’on préfère A à B. Deux procédés distincts semblent ainsi susceptibles de mener à des préférences contradictoires (et, incidemment, à des estimations du prix implicite d’une vie radicalement différentes).

En vérité, il peut même apparaître tout à fait restrictif d’avoir mobilisé l’intitulé ’preference reversal’ afin d’évoquer la seule anomalie identifiée par Lichtenstein et Slovic. Des revirements de préférence similaires ont pu être constatés, en effet, dans le cas de comparaisons directes et de suggestions de prix portant non pas sur des loteries, mais sur des conséquences déterminées. Ainsi Tversky et al. [1990] ont mené l’expérience suivante. Soit (X, T) une option offrant une somme de X dollars dans T années. A l’instar du cadre expérimental traditionnellement mobilisé afin de mettre à jour des revirements de préférence, il est demandé aux sujets de choisir entre deux options de la forme (X, T), puis de leur attribuer un prix. Dans la présente expérience, chaque paire d’options est constituée d’une option à court terme -de la forme (1600, 1)- et d’une option à long terme -de la forme (2300, 5)-, de valeur actualisée comparable. Quant aux prix proposés par le sujet, ils correspondent au plus petit paiement immédiat contre lequel il serait disposé à se dessaisir des options si elles étaient en sa possession. Par analogie avec les résultats des expériences traditionnelles relatives aux ’preference reversals’, les auteurs conjecturent que parmi les sujets manifestant une préférence pour une option à court terme, un nombre significatif accordera un prix supérieur à l’option à long terme lui étant associée. Les résultats indiquent, en effet, que les sujets interrogés choisissent, dans l’ensemble, les options à court terme dans 75 % des cas, alors qu’ils suggèrent, dans une proportion approximativement identique, un prix supérieur pour l’option à long terme. La fréquence de ce qu’il convient, là aussi, d’appeler des ’revirements de préférence’ dépasse 50 %.

Notes
232.

Cf. aussi Tversky & Thaler [1990].