2.3.2. Les contingences de contexte

Tversky & Simonson [1993] ont mis en évidence ce que l’on peut désigner comme des ’contingences de contexte’.240 Les auteurs distinguent les contingences qui résultent d’évolutions intervenant dans le ’contexte de fond’ (’background context’), de celles qui découlent d’évolutions affectant le ’contexte local’ (’local context’). Dans un cas, comme dans l’autre, les préférences se révèlent sensibles à des ’’effets de contraste’ qui amplifient les mérites relatifs d’une option particulière, de la même façon qu’une teinte donnée peut apparaître plus lumineuse lorsqu’elle se voit associée à une teinte particulièrement terne.241

Les contingences propres au contexte de fond mobilisent les expériences passées du décideur, et peuvent être illustrées par l’expérience qui suit. Deux groupes de sujets, S’ et S’’, sont invités à effectuer des choix entre des jeux de pneus sur la base d’une information relative aux prix des produits, d’une part, et à l’étendue de la garantie kilométrique offerte, d’autre part. Dans un premier temps, les expérimentateurs ont demandé aux membres du groupe S’ de réaliser un choix entre les options x’ et y’, et aux membres du groupe S’’ de se prononcer sur l’alternative constituée des options x’’ et y’’. Dans un second temps, les deux groupes expérimentaux ont été conduits à choisir entre les options x et y. Les résultats rapportés dans le tableau ci-après montrent, de façon significative, que le contexte des choix préalables affecte par le jeu d’effets de contraste les arbitrages subséquents, puisque la majorité des membres du groupe S’ opte pour l’option x, alors que la majorité des membres du groupe S’’ préfère y.242

Options Garantie (miles) Prix
($)
Groupe
S’
Groupe
S’’
x
y
55 000
75 000
85
91
12 %
88 %
x’’
y’’
30 000
35 000
25
49
84 %
16 %
x
y
40 000
50 000
60
75
57 %
43 %
33 %
67 %

Les contingences inhérentes au contexte local mobilisent, quant à elles, la composition, à un moment donné, de l’espace des options considéré par le décideur. Une expérience simple permet d’illustrer ces contingences. Un groupe expérimental s’est vu offrir un choix entre un élégant stylo et 6 $. Un autre groupe s’est vu proposer un choix entre trois options : aux deux précédentes options, les expérimentateurs ont ajouté la possibilité de choisir un stylo manifestement peu attractif. De façon surprenante, 36 % des membres du premier groupe ont choisi le stylo (réputé ’élégant’) alors que 46 % des membres du second groupe ont opté pour ce même stylo. La présence d’un stylo ’moins élégant’ semble donc, par le truchement d’un effet de contraste, renforcer l’attractivité exercée par le ’stylo élégant’.

Tversky et Simonson suggèrent une représentation formelle hybride qui leur permet de prendre acte, simultanément, de l’impact des effets de contraste propres au contexte de fond et au contexte local. La première action se voit restituée dans le cadre d’un modèle de sommation pondérée fondé sur le principe de pondérations variables. Ainsi, c’est à une modification des pondérations respectives des critères ’prix’ et ’garantie’243 que les auteurs attribuent les résultats de l’expérience rapportée ci-dessus.244 La seconde action se voit, quant à elle, restituée dans le cadre d’une variante du modèle de sommation des différences. Tversky et Simmonson suggèrent ici, en substance, que la valeur intrinsèque de chaque option se verrait ajustée sur la base d’un jeu de comparaisons bilatérales entre les diverses options en présence. De par ce processus, le stylo ’élégant’ bénéficierait de l’introduction d’une option avec laquelle il se compare, manifestement, de façon avantageuse. Dans l’ensemble, concluent les auteurs, l’évaluation d’une option donnée pourrait être restituée par le truchement d’une combinaison des deux actions évoquées qui s’effectuerait sur une base additive.

Notes
240.

Où le terme ’contexte’ se doit d’être entendu, dans le sens précis que lui donnent les auteurs, comme renvoyant aux options sur lesquelles le décideur porte son attention.

241.

On constate, une fois encore, l’attrait de l’analogie entre les ’perceptions jugementales’ et les perceptions sensorielles.

242.

On pourrait bien sûr estimer que la divergence inter-groupe quant aux préférences relatives aux options x et y est le fruit d’inférences rationnelles menées par des sujets en situation d’information incomplète. Les auteurs rapportent cependant une seconde expérience -tout à fait similaire- mettant en jeu des options qui offrent toutes un certain montant en cash accompagné d’un nombre prédéterminé de coupons échangeables contre des livres ou des disques compacts. En dépit de la transparence de l’information (tout n’étant ici qu’affaire de goûts), les préférences s’avèrent, là aussi, influencées par le contexte des choix passés.

243.

Pour autant que les sujets recourent effectivement à une procédure par sommation pondérée -où la valeur totale d’une option serait, bien sûr, d’autant plus élevée que la garantie est importante et que le prix est bas- on devrait statistiquement constater des configurations de préférences, pour ce qui est des arbitrages entre x et y, relativement proches.

244.

Confrontés au choix entre x et y, les membres du groupe S’ seraient conduits à accroître la pondération relative du critère ’prix’, alors que les membres du groupe S’’ renforceraient, a contrario, la pondération relative du critère ’garantie’.