TROISIEME PARTIE : La flexibilité limitée de l’acteur

Introduction à la troisième partie

Les promoteurs de l’approche économique standard présupposent, au titre de l’hypothèse de rationalité, que l’acteur ferait montre d’une flexibilité maximale. De façon plus spécifique, il en va ici comme en matière d’aptitudes, puisque la flexibilité de l’acteur trouve à s’exprimer sur le front motivationnel, d’une part, et cognitif, d’autre part. Ce sont donc, dans le cadre de cette troisième partie, deux autres prémisses de l’hypothèse de rationalité qu’il s’agit, avec le comportementaliste, de critiquer. En effet, face à la perspective d’une flexibilité motivationnelle maximale aussi que d’une flexibilité cognitive maximale, les représentations comportementalistes voient les attributs psychologiques de l’acteur marqués du sceau de la rigidité.

La prémisse de flexibilité motivationnelle maximale conduit le théoricien standard à supposer l’acteur invariablement tourné vers la quête d’une solution ou d’un résultat optimal. A l’encontre de cette représentation, le comportementaliste fait valoir qu’une portion non négligeable des réponses de l’acteur n’est orientée, plus modestement, que par le souci de trouver une solution satisfaisante. Le seuil de satisfaction auquel aspire l’acteur vient alors borner ses ambitions, introduisant la rigidité au coeur des vecteurs motivationnels du comportement. Dans la mesure où seule une portion des comportements individuels est orientée par le souci d’optimiser, la flexibilité motivationnelle de l’acteur s’avère non pas maximale mais bien limitée.

La prémisse de flexibilité cognitive maximale amène le théoricien standard à voir toujours dans le comportement le produit d’un ajustement réfléchi qui conduit le décideur à apprécier les caractéristiques de sa situation-problème. Face à cette représentation, le comportementaliste insiste en particulier sur la place des habitudes. Des plus communes, les réponses habituelles dénotent, de la part de l’acteur, une attitude cognitive rigide plutôt que flexible. La prégnance des habitudes instille donc la rigidité au coeur des vecteurs cognitifs du comportement. Dans la mesure où tout une classe de réponses est le produit non d’un ajustement réfléchi, d’une décision, mais du jeu automatique des habitudes, la flexibilité cognitive de l’acteur se révèle, elle aussi, non pas maximale mais limitée.

Cette troisième partie se compose donc de deux chapitres. Dans un premier chapitre on présente les limites de la flexibilité motivationnelle de l’acteur. C’est là l’occasion de développer la thèse comportementaliste du satisficing (Ch 5). Dans un second chapitre, on aborde les limites qui frappent la flexibilité cognitive de l’acteur. Cette perspective nous conduit à faire valoir le caractère prégnant des habitudes (Ch 6). Ces deux chapitres partagent une même structure générale. Ainsi, une première section nous conduit à examiner, sous l’angle de leur nature respective, les mécanismes du satisficing d’abord (Ch 5, § 1), puis ceux de l’habitude (Ch 6, § 1). Au travers d’une seconde section, on envisage chacun de ces mécanismes sous l’angle de leurs fondements respectifs. Il s’agit donc d’expliquer pourquoi, d’une part, l’acteur se propose communément d’atteindre un résultat satisfaisant plutôt qu’optimal (Ch 5, § 2), et pourquoi, d’autre part, il s’en remet aux automatismes de l’habitude plutôt que de conserver une attitude cognitive flexible (Ch 6, § 2). Enfin, nous abordons, dans une troisième et dernière section, un point de controverse. On discute ainsi les travaux qui se sont efforcés de conférer un caractère rationnel à la thèse du satisficing (Ch 5, § 3). De même, donc, nous achevons le corpus du présent travail en se faisant l’écho de la controverse suscitée par ces travaux qui s’attachent à établir le caractère rationnel des habitudes (Ch 6, § 3).