3.2.1. Les modèles de coûts de décision : une réponse définitive à la thèse comportementaliste du satisficing ?

Les auteurs pseudo-comportementalistes trouvent donc, dans les modèles de coûts de décision, la clé par où la thèse du satisficing peut se voir offrir un socle rationnel. Ce faisant, la vénérable thèse ne subsisterait qu’à l’état d’épiphénomène. Le refus ponctuel d’optimiser serait ainsi, partout et toujours, le fruit d’une optimisation de portée plus générale. Les modèles de coûts de décision, de la sorte, semblent constituer un défi de taille pour la thèse du satisficing. Dans leur structuration duale ils ne manquent pas d’évoquer les travaux d’un Simon. La théorie du search se présente ainsi volontiers comme une réponse adéquate aux remarques de l’auteur, lorsque celui-ci fait valoir les limitations qui pèsent sur les aptitudes du décideur à recueillir l’information. Le potentiel contre-offensif des modèles de search semble en fait d’autant plus marqué que le processus optimal de recherche invite le décideur à apprécier les résultats des différentes phases de recherche au regard d’un objectif-cible qui ne va pas sans évoquer un ’seuil d’aspiration’. De même le formalisme de Conlisk peut-il sembler faire allégeance des limitations qui marquent les aptitudes du décideur à traiter l’information, limitations dont Simon n’eut de cesse de souligner l’importance. Conlisk ne se place-t-il pas d’ailleurs ostensiblement sous la bannière de la ’bounded rationality’ ?

Mais un Leibenstein n’est pas davantage épargné. De fait, la justification motivationnelle apportée par l’auteur à l’appui de sa théorie de la rationalité sélective peut apparaître bien fragile au regard des facultés d’adaptation de l’approche économique standard. Le décideur semble-t-il ne pas vouloir optimiser ? C’est au modélisateur, insiste Becker [1976, Ch 1 ; 1987], qu’il appartient de révéler la nature profonde des mécanismes qui président à toute apparente violation de l’hypothèse de rationalité. Leibenstein ne le suggère-t-il pas lui-même ? Le décideur est avare d’efforts. Nul doute dans ces conditions, pour un tenant de la perspective pseudo-comportementaliste, qu’une redéfinition adéquate de la fonction-objectif du décideur ne permette de montrer que celui-ci optimise un méta-problème, lequel prend acte du problème initial, sans pour autant omettre d’endogénéiser les coûts de décision encourus. La rigidité motivationnelle que le comportementaliste authentique, au travers de sa thèse du satisficing, croît pouvoir déceler relèverait ainsi fondamentalement de l’illusion ; une illusion qui tient à une spécification parcellaire des objectifs du décideur et le conduit à négliger, en quelque sorte, qu’il puisse être parfois optimal... de ne pas optimiser.

Récemment, l’interprétation pseudo-comportementaliste de la thèse du satisficing s’est vue même expressément associée à une polémique intense qui divise, depuis près de quarante ans, économistes et psychologues engagés dans l’analyse expérimentale des comportements et/ou des processus de décision.453 Deux positions s’affrontent. Si l’on en croit certains auteurs, le plus souvent psychologues ou/et comportementalistes, les sujets expérimentaux ne seraient guère moins motivés lorsqu’ils ne sont pas rémunérés que lorsqu’ils le sont. D’autres, au contraire, le plus souvent économistes d’obédience standard, affirment qu’une rétribution financière adéquate est la condition sine qua non d’une participation active du sujet. Bien que le point soit demeuré longtemps implicite, cette opposition fournit un cadre empirique à la réflexion sur le rôle des coûts de décision. La position dominante chez les économistes repose en effet sur l’idée que les coûts de décision454 ne sont pas négligeables. La tâche expérimentale que se voit assigner le sujet est une source potentielle de désutilité dont il convient de prendre acte. Dans ces conditions, nombre d’économistes ont contesté la pertinence d’une quantité importante d’expériences et, notamment, d’expériences mettant en doute l’hypothèse de rationalité, au titre qu’elles négligeraient l’impact d’éventuels arbitrages subjectifs entre coûts de décision encourus et qualité de la réponse fournie. L’argumentaire économique conduit donc à étendre considérablement la portée de la controverse satisficing/optimizing. On prend ainsi, davantage encore, la mesure du défi que semblent constituer, pour les auteurs comportementalistes, les modèles de coûts de décision.

Notes
453.

Cf. Smith & Walker [1993, pp. 251-52], Camerer [1995, pp. 599-600].

454.

Ces coûts se voient communément réduits, dans le cadre expérimental, à des coûts psychologiques liés au traitement de l’information (plus secondairement, des coûts d’opportunité peuvent entrer en ligne de compte).