Proposition d'une approche interactionniste

La dénomination de "polylogue institutionnel" choisie pour le titre de cette recherche relève directement du vocabulaire interactionniste. Elle se justifie par les trois raisons suivantes : premièrement, le terme "polylogue" me sert provisoirement pour désigner une interaction communicative qui convoque un groupe d'individus supérieur à deux ou trois, dont les membres sont autant de locuteurs potentiels dans le développement des échanges ; deuxièmement, le Conseil municipal est une institution publique au sens le plus neutre du terme, c'est-à-dire une structure liée à une organisation sociale (politique et administrative en l'occurrence), ce qui entraîne que son fonctionnement obéisse à un ensemble de règles liées au cadre formel dans lequel elle se déroule. Enfin, j'ajouterai que la séance plénière d'un Conseil municipal se déroule dans un site "institutionnel", par comparaison aux interactions en site commercial, en site privé, etc.

A l'instar de M. Doury (1997 : 9), qui mentionne le peu d'intérêt dont les débats autour des para-sciences font l'objet en matière d'analyse du discours, il me semble que le peu de crédit accordé à ce type de réunion publique, entraîne des lacunes dans les investigations linguistiques sur les discours en situation de communication collective et institutionnelle. Mon objectif est donc de proposer une grille de lecture pour questionner, dans ce type d'interaction, une dichotomie fondamentale en études d'interactions : « distinguer dans l’exercice du langage ce qui relève de la relation sociale et ce qui relève de la relation interlocutive » (Vion, 1999 : 95). Pour ce faire, je laisserai de côté la voie de l'Analyse du Discours 4 qui oriente le point de vue sur la relation sociale, pour m'engager dans l'Analyse du Discours en Interaction 5 , désormais ADI qui se focalise davantage sur la relation interlocutive.

L’objet de cette recherche est ambitieux. L’abondance des données présentes dans cette étude est telle qu’il pourrait paraître impossible de trouver un cadre d’analyse propice. Mais il me semble que la démarche linguistique à visée interactionniste est un cadre suffisamment ouvert au niveau théorique et suffisamment construit sur le plan méthodologique pour donner les moyens d'une telle ambition. L’objectif global de ce travail sera donc de mettre les outils de l’ADI à l’épreuve des faits, comme le propose Catherine Kerbrat-Orecchioni :

‘Il s’agit de voir le plus objectivement possible, à partir de corpus enregistrés et soigneusement transcrits, comment sont fabriqués ces objets particuliers que sont les conversations (1996 : 10).’

Ici, les méthodes d’analyse interactionnistes (enregistrement, transcription, découpage) seront cependant appliquées à une interaction institutionnelle formelle alors que la tradition de l’ADI s'attache plus habituellement à la description d'échanges dits "ordinaires" : les "conversations". L'étude de la communication publique et officielle du Conseil municipal laisse donc prévoir une re-conception des outils descriptifs initialement utilisés pour étudier un face-à-face spontané.

En effet la conversation familière, construite dans l'immédiateté, est bâtie sur des rôles symétriques, des échanges orientés vers des objectifs communs aux différents participants, et l'égalité de principe entre les co-locuteurs. En revanche, l'Analyse du Discours en Interaction, appliquée à des échanges institutionnels prévus et planifiés par un ordre du jour devra tenir compte premièrement d'une communication structurée par des rapports de non-réversibilité entre les interactants ; deuxièmement des contraintes multiples liées aux caractéristiques contextuelles et aux objectifs externes différents selon les participants ; enfin d'une communication qui traduit des rapports d'autorité, de hiérarchie et de pouvoir.

Notes
4.

Je ne fais pas d'Analyse du Discours selon les méthodes de la tradition française : voir pour cette approche Pêcheux (1990), et également Maingueneau (1991), qui présente l'Analyse du Discours selon une conception plus large.

5.

Je parlerai d'Analyse du Discours en Interaction (ADI) pour désigner l'analyse des conversations et des autres formes d'interaction à dominante verbale. Même si l’Analyse du Discours en Interaction, en France, est un prolongement de l’Analyse du Discours (Cosnier & Kerbrat-Orecchioni : 1987), elle s’en démarque premièrement en se focalisant sur l’aspect oral, ce qui m’a conduite à laisser de côté l'analyse des discours écrits ; deuxièmement elle se centre sur les mécanismes dialogaux. Or l’organisation des échanges sera une partie importante de mon questionnement.