Plan d’analyse de ma thèse

L’objet "polylogue" en croise un autre : celui de "réunion". En approfondissant cette rencontre d’objets, on prend conscience d’un réel multiforme qui ouvre au moins trois voies d'approche : celle qui se centre sur la notion de réunion, celle qui développe le concept de groupe, et enfin celle qui s'intéresse au polylogue. Ces différents objets concernent des champs disciplinaires connexes tels que la psychologie, la sociologie, les sciences politiques, l'analyse du discours, la linguistique des interactions, de l’argumentation etc. Le Conseil municipal est donc un objet partagé et à partager entre différents champs qui apportent chacun des savoirs sur ce type de vécu. Je démarrerai ma recherche par une mise en perspective de ces trois façons de voir le réel : l'approche lexicale pour la réunion, psychologique pour le groupe, et une exploration terminologique pour le polylogue. La présentation du cadre interactionniste m'amènera ensuite à des pistes d'analyse et des repères méthodologiques concernant le polylogue proprement dit. Après avoir explicité la méthode ethnographique utilisée pour le recueil de données, la méthodologie d'analyse de corpus montrera enfin qu'elle repose d'une part sur des techniques de transcription caractéristiques de ce type d'oral, d'autre part sur des choix prioritaires relatifs à la formalisation d'un polylogue.

Au Conseil municipal, la dimension politique est centrale. Pour replacer la réunion dans ce contexte, j'ai commencé par exploiter des outils de recherche portant sur les facteurs contextuels de l’interprétation, ceux de l’Ethnographie de la Communication, qui permettent de dégager un type d'interaction d'après les contraintes situationnelles qui le caractérisent. Cette enquête ethnographique a permis de recueillir une pluralité de données qui ont ouvert l'accès à l'étude du fonctionnement discursif lui-même : des données organisationnelles (règlement intérieur), écologiques (agencement spatio-temporel du site) et sémiotiques (complémentarité entre l'oral et l'écrit). Précisons ici que la question de l'histoire politique de la commune n'est en revanche pas du tout abordée. En effet, même si je prends en compte différentes composantes du contexte 8 , je reste soucieuse de ne décrire que l'organisation endogène de l'interaction. Dans cette première partie, je considèrerai donc le caractère institutionnel à la fois comme une ressource et comme un accomplissement, c'est-à-dire d'une part comme le lieu d'inscription d'une interaction de face-à-face "prévisible", et d'autre part comme le lieu d'émergence d'une interaction "inédite".

Dans cette deuxième partie, je retiens tout ce qui est conforme au scénario prévu dans le règlement intérieur. A partir d'une étude détaillée du règlement présenté dans la situation, je définis le cadre participatif , c'est-à-dire l’organisation de la participation, en me penchant sur la légitimité des prises de parole, sur les différents types d’auditeurs présents dans la situation, sur le fonctionnement du système des tours de parole et sur les schémas d’adressage. En comparant le scénario prévu avec le scénario réellement actualisé dans les diverses réunions enregistrées, je propose ensuite un script de l'interaction, comme première étape de l'analyse structurale. Puis, à partir du script, j'étudie les structures d’échange récurrentes dans l’interaction, structures qui génèrent un processus interlocutoire spécifique. L'analyse de ces échanges permet enfin de dégager dans ce type de réunion formelle, d'une part les structures hiérarchiques récurrentes, d'autre part certains usages de la parole délibérative.

Dans la dernière partie, je m'attacherai à décrire la gestion émergente de l'interaction sur la base des contraintes situationnelles perçues dans la première partie, et des structures interlocutives mises en évidence dans la deuxième partie. Je souhaite approcher l'argumentation politique à travers la discussion publique de problèmes concernant le quotidien de la vie communale. A partir des moments de Questions-Réponses, j'illustrerai la dynamique argumentative propre à cette situation. Je tenterai de dégager certains mécanismes argumentatifs pour comprendre le traitement des thèmes à travers la confrontation des points de vue et à partir des stratégies logico-discursives du maire, des adjoints et des conseillers municipaux qui sont les acteurs-clés de la communication politique locale. Dans un deuxième temps, j'enquêterai sur les différentes relations construites par les participants, relations qui sont perceptibles à travers le tissu discursif, pour tenter d'atteindre l'individualité des acteurs invités à coopérer dans un réseau étroit de règles et de devoirs "protocolaires", mais susceptibles d'y échapper ponctuellement. En effet, tout en sachant que les relations sont déterminées par des facteurs externes que nous aurons vus dans la situation socio-politique (les rapports de hiérarchie par exemple), on cernera la dimension rituelle des échanges dans un cadre protocolaire, on se demandera quel(s) positionnement(s) effectif(s) adoptent les acteurs dans la dynamique générale de l’interaction et quelles places ils occupent pour s'influencer intersubjectivement selon les buts visés, accomplir leurs objectifs respectifs en respectant les rituels sociaux, partager les émotions du moment, etc.

Présenté ainsi, ce travail est construit autour de l'axe externe/interne 9 . Dans la procédure d'analyse que je préconise, l'objectif consiste essentiellement à caractériser le processus d’échange, or pour cela il est nécessaire de partir d’une approche macroscopique du système pour pouvoir décrire le détail des échanges ainsi situés. Aussi l’analyse à cadrage situationnel externe se double-t-elle d’une analyse à cadrage interne, centrée sur les pratiques argumentatives effectives et les modalités relationnelles constatées. L'analyse structurale apparaît dès lors comme un rouage "charnière" entre les niveaux extra-discursif et intra-discursif.

Il s’agissait de procéder à l'étude "en profondeur" d’un type d’interaction à dominante verbale : décrire une situation pour rechercher la permanence d'un cadre ; observer un processus pour mettre au jour des structures ainsi que des mécanismes et des règles de fonctionnement ; et à partir de là, saisir des points d'émergence pour proposer en dernier ressort des hypothèses interprétatives sur les ressources et les limites d’un dispositif de communication analysé du point de vue de l’interlocution. La difficulté de cette entreprise a consisté à établir une corrélation entre des repères situationnels et la réalité d'une interaction de face-à-face, d'une part dans son organisation interactionnelle prescrite, d'autre part dans son caractère unique et non reproductible, lié aux objectifs communicationnels des différents acteurs invités à cet événement.

Depuis quelques temps déjà, l'Analyse du Discours en Interaction ouvre un vaste et riche domaine de questionnements. Les axes de réflexion y sont parfois complexes à articuler, car la méthode part du discours tout en faisant appel aux notions extralinguistiques primordiales pour la compréhension et l’interprétation du langage situé. Ne craignons pas de générer ainsi des problématiques élargies et nouvellement décrites par les linguistes. C’est pourquoi je présente ici mon travail comme un éclairage porté sur les comportements langagiers d'une situation de communication particulière, et non pas comme un ensemble de réponses tranchées et définitives produisant un modèle "bouclé" d’interprétation pour ce type d’interaction.

Notes
8.

Ce qui rejoint des prises de position traditionnellement défendues par les interactionnistes et notamment par Gilly, Roux et Trognon (1999 : 15) qui insistent sur l'idée que : « (…) l’objet et la dynamique des interactions dépendent toujours, et souvent pour une part importante, du contexte situationnel. »

9.

Je suis d'accord avec Vion (1992 : 260) pour dire qu'il est insatisfaisant d'utiliser une telle dichotomie, mais je me résigne à en tenir compte tout en cherchant à la dépasser dans l'analyse.