Regard critique sur ma démarche

Mener cette étude a ouvert un large cadre de questionnements dont certains aspects engendrent la discussion.

Tout d'abord, mon travail a consisté, par certains côtés, à traiter une analyse de cas avec l'obligation conjointe de faire appel à diverses sources théoriques, courant dès lors le risque de construire une boîte à outils valable pour un objet particulier. La question de la représentativité du corpus se pose donc pour généraliser les résultats de l'analyse.

Ensuite, l'Analyse du Discours en Interaction est un champ disciplinaire dans lequel il n'existe pas de théorie globale finie, avec des modèles méthodologiques établis. Il est donc devenu incontournable d'y croiser et d'y articuler des courants plus ou moins autonomes, qui ont pour point commun une vision pragmatique de la communication.

Enfin, parmi les outils proposés par l'ADI, la plupart sont conçus pour l'étude des échanges à deux interlocuteurs, la situation pluri-locuteurs imposant alors une re-conception totale de nombreuses notions. Certaines de mes propositions, plus ou moins satisfaisantes sur le plan terminologique, permettent au moins de pointer des éléments de réflexion.

Comme je l'ai annoncé dans la présentation méthodologique, j'ai l’impression d’avoir ouvert un vaste "chantier", et j'éprouve une double sensation de dépassement et de déplacement.

Le dépassement se mesure à plusieurs niveaux : il fallait partir des situations d’échange duelles pour observer des situations d’échange plurielles ; traiter la matérialité de l’oral dans son imbrication avec celle de l’écrit ; traverser l’unicité du type "réunion de conseil municipal" pour aborder l’hétérogénéité des séquences discursives constitutives de ce type d'interaction ; compléter des approches classiques, socio-politiques par exemple, pour analyser un objet institutionnel en partant de l'arrière-plan d'une situation ; enfin rechercher des liens entre certains éléments contextuels et la dynamique de face-à-face.

Quant au déplacement, il s'est opéré à deux niveaux : sur le plan disciplinaire, puisqu'il fallait rendre compte d’une réunion grâce aux outils conceptuels de la linguistique des interactions, mon travail ayant pris la suite des études mentionnées au chapitre 1.II. ; et sur le plan méthodologique, avec la technique de l'analyse de corpus, procédure lourde et coûteuse, qui implique l'essai et le rejet d'un grand nombre d'hypothèses, mais dont l'empirisme descriptif devrait être réhabilité grâce à la méthodologie de la transcription qui vise un respect absolu des données. Ce travail a pu paraître parfois statique ou descriptif. Pourtant tel fut mon choix d'aller loin dans l'observation et la description au risque d'alourdir l'interprétation. Cette démarche présentait en tout cas l'avantage de ramener à une réflexion sur les fondations du langage en termes de structures et de mécanismes, cherchant à réduire par là les risques d'interprétation hâtive. En ce qui concerne la formalisation des données, l'ébauche que j'ai proposée doit bien sûr être complétée pour viser les critères des traitements automatisés. Ces méthodologies sont actuellement au cœur des débats de l'équipe de recherche à laquelle j'appartiens (GRIC) : c'est dans le contexte d'un laboratoire, et au sein d'une équipe que ces vastes problématiques, liées à la fois à des objectifs d'analyse et à des contingences purement techniques, pourront évoluer.