L'approche linguistique à visée interactionniste et l'étude de réunion

Rendre compte, par le seul biais du langage, de la totalité du réel vécu dans une situation complexe, hétérogène et multimodale telle qu'une réunion de Conseil municipal, était impossible. Tel n'était pas mon but. Néanmoins, se démarquant des études socio-politiques ou des études de discours classiques, l'analyse d'interaction transforme la façon de considérer les objets traditionnellement décrits comme des "touts institutionnels". En effet, le langage est éclairé, grâce à l'ADI, d'une quantité de dimensions nouvelles qui engendrent de multiples questions complémentaires. Cette forme d'analyse rend compte d'un "fourmillement d'activités" (Windisch, 1986 : 68) au service des objectifs langagiers.

Pour pénétrer dans la complexité de la situation étudiée, deux positions méthodologiques s'avéraient complémentaires et indissociables dans mon travail : l'analyse à 5 niveaux (situation, structures de participation, structures d'échange, argumentation, relation), et les rapports entre macro- et micro-analyse.

En parallèle, les analyses séquentielle et structurale furent deux des clés méthodologiques de mon analyse, incontournables pour mettre en évidence les différentes unités d'échange. Concernant le rôle structurant des tours de parole, ils ne permettent pas de rendre compte du comportement groupal de l'assemblée (ou de l'auditoire). Malgré tout, ce type de repérage fonctionne autour du schéma dialogique "intervention initiative-intervention réactive", permettant ainsi de pénétrer dans la complexité séquentielle des échanges. A ce sujet, l'étude d'un polylogue amène à observer conjointement l'axe de la simultanéité (qu'est-ce qui se passe à un temps "t" sur plusieurs tableaux en parallèle ?) et l'axe de la successibilité (qu'est-ce qui se passe dans l'alternance ?).

Enfin, pour des raisons techniques, j'ai délibérément choisi de laisser de côté les aspects posturo-mimo-gestuels ; en revanche j'ai inclus, a minima, dans ma grille d'observation, les réactions voco-verbales telles que le silence, les rires, les conduites de chœur. Il paraît en effet fondamental, dans l'étude d'un polylogue, d'enrichir les moyens de notation et d'analyse de ces types d'interventions collectives, à traiter à égalité avec les messages verbaux.

Le dernier intérêt de l'analyse structurale que j'ai utilisé, résidait dans le fait qu'elle était novatrice pour étudier une réunion. Dans une perspective historique, les travaux sociolinguistiques de F. Bargiela-Chiappini et S.J. Harris (1997) sur les meetings faisaient état de deux points de vue : les approches prescriptives qui ont tendance à considérer la réunion comme une pratique sociale sous-estimée [imperfect encounters] ; et les approches interprétatives qui assimilent la réunion à l'organisation qu'elle représente. L'approche structurale que j'ai proposée met en avant la "mécanique interne" du polylogue, qui renseigne sur les ressources communicatives mobilisées par les acteurs au cours de la réunion protocolaire, même si, comme le confient M. Grosjean et M. Lacoste (1999 : 21) dans leur étude de la communication collective à l'hopital, la forme des communications verbales est un excellent indicateur des logiques institutionnelles, comme il vient d'être mentionné ci-dessus.

Cependant, l'analyse d'interaction centrée sur le découpage structural, indépendamment du sens que lui donnent les acteurs, n'est qu'une première étape pour décomposer des éléments inter-reliés. Une deuxième étape, tout aussi fondamentale, pourrait d'une part rassembler des études comparatives qui incluraient un traitement quantitatif à partir d'indicateurs sélectionnés pour mesurer précisément le degré d'interactivité (nombre de tours de parole et volume de parole en nombre de mots par exemple) ; d'autre part pratiquer des études fonctionnelles approfondies, complétées par une confrontation avec les acteurs. En effet, pour ne pas en rester au niveau des traces, et pour croiser les représentations du chercheur avec celles des acteurs de la situation (Lacoste, 1998), ces techniques permettraient d'approcher les normes, les valeurs, ainsi que les savoirs spécialisés partagés par les interactants. Je n'ai pas pu me lancer ici dans un travail d'une telle envergure, mais je souhaite continuer mes réflexions dans ce sens.