Le paramétrage de la participation comme première contrainte

Dans cette situation pluri-locuteurs protocolaire, une fois le dispositif de communication spécifié (ici une situation institutionnelle publique qui repose sur un fort degré d'organisation), la question du nombre de participants est partiellement résolue par l'élaboration du cadre participatif. Le schéma de communication qui s'en dégage repose alors d'une part sur une bipolarité (format de production/format de réception), d'autre part sur la gestion de la parole collective qui contribue à organiser l’activité en cours, ici la délibération qui consiste sommairement à écouter les exposés, réagir aux informations diffusées, intervenir dans les débats, voter. Compte-tenu de ces deux impératifs, la participation dépend du droit à la parole prescrit en fonction des facteurs suivants :

(1) la surveillance des temps de parole qui différencie les tours selon les locuteurs : tours fréquents pour le maire (interventions-flash) qui assure la mono-gestion de l'interaction par une interposition systématique ; longs pour les rapporteurs et les informateurs (interventions-période) ; brefs pour les solliciteurs ; mais comme, dans une réunion, il existe toujours des participants non engagés dans la parole, soit ceux-ci se préparent à intervenir pour soutenir ponctuellement tel ou tel protagoniste qui s'est lancé dans les échanges, soit ils restent des auditeurs passifs mais intéressés, soit enfin ils se retirent provisoirement du débat.

(2) les techniques d'attribution de parole : pré-allocation et allocation formelle. Elles pré-déterminent l'alternance de parole au sein de l'assemblée en même temps qu'elles sont destinées à l'auditoire, qui peut suivre ainsi d'une part les prises de parole prévues à l'ordre du jour, d'autre part celles qui émergent localement, par le contrôle du maire.

(3) le relais par l'écrit, qui canalise les contenus et corrélativement les prises de parole, puisque prendre le temps de construire en situation des référents collectifs communs serait trop coûteux. Cependant, l'abondance des écrits rejaillit sur l'oral : l'affluence d'informations multimodales (tableaux, graphiques, documents longs) étourdit les participants préoccupés par son traitement, les rendant moins disponibles pour produire de "la parole fraîche" dans le vif des échanges. La réunion de Conseil Municipal est une réunion qui produit en fait autant d'écrit que d'oral. Un tel paramétrage a un effet inhibiteur sur l'oralisation et privilégie essentiellement les finalités de l'interaction : le vote de l'assemblée et la diffusion des décisions en partie déjà prises devant un auditoire.

La gestion de parole ainsi pratiquée dévoile un déséquilibre dans la participation effective des différents types de locuteurs. Toutefois, comme le souligne très subtilement F. Ruzé dans ses descriptions des assemblées délibératives grecques, il faut rester vigilant par rapport à une certaine forme "d'illusion d'optique". Comme j'ai pu le constater, la succession des rapporteurs sur le devant de la scène n'empêche pas une multiplicité de brèves interventions et de remarques diverses, qui fusent de part et d'autre au milieu de l'assistance sans bien sûr, donner lieu à un véritable débat. Tel "un champ de blé agité par le zéphyr" (Ruzé, 1997 : 432), l'analyse des ressources communicatives d'une assemblée impose une attention sur toutes les formes de participation collective.