Un polylogue ancré dans la situation statutaire

La proposition typologique de R. Vion (1992 : 123) évoquée au chap.1.II.1. et complétée par le relevé d'une caractéristique de l'objet "réunion" établi par J. Donato et R. Vion (1979 : 15), mentionnée au chap.1.I.1.3., m'amène à confirmer la réunion de Conseil municipal dans son statut d'interaction à structure d'échange relevant de la communication dans les groupes, et autorisant des actes ou des prises de parole individuels et collectifs.

Cela dit, mon étude de polylogue a visé la description de ses structures, et a mis l'accent sur les critères suivants :

(1) la co-présence en mode éloigné de tous les acteurs, avec tous les problèmes de visibilité que cela entraîne, a montré que des moyens de captation verbaux (système des tours de parole procédural) et techniques (table adaptée, rapports écrits et documents en rétroprojection, micros fixes et mobiles) s'imposent pour rendre les échanges possibles.

(2) plusieurs interlocuteurs sont mobilisés dans les échanges grâce à quatre facteurs de focalisation permanents : la présence d'un individu-pivot dont la légitimité totale est renforcée, dans la situation de face-à-face, par une place centrale et l'utilisation individualisée d'un micro ; un ordre du jour écrit pour parler de ce qui est prévu dans les rapports ; une procédure juridique et administrative pour agir en fonction du règlement ; un protocole dictant le comportement de chacun selon sa place hiérarchique.

(3) tout au long de l'interaction, deux interlocuteurs constants, individuel (l'individu-pivot) et collectif (l'assemblée), assurent la continuité des échanges.

(4) les échanges sont construits à partir d'un scriptrigide, de circuits de parole préférentiels, d'emboîtements de structures, et de la mise en œuvre de trois modalités de communication : verbale, voco-verbale, et non-verbale.

(5) l'attention des élus est dirigée sur l'activité de délibération par des actes de langage spécifiques : l'annonce officielle des thèmes, la désignation des parleurs prévus, l'allocation formelle préalable à toute prise de parole, la demande de permission pour parler, les performatifs pour ouvrir, clore et faire évoluer la réunion, l'appel aux questions pour donner la parole à l'assemblée, l'échange sans retour verbal de vote pour clore un thème.

(6) si le dilogue est réglé par une alternance quasi immédiate "action/ réaction", il en est tout autrement dans le polylogue protocolaire. En effet, toute communication est relayée par de nombreuses prises de parole méta-communicatives, qui diffèrent le transfert cognitif entre les locuteurs, avec tous les phénomènes d'alliance et de retrait qui sont liés à ce phénomène.

(7) enfin, les études de pragmatique montrent que les interruptions entre locuteurs sont une forme de révélateurs du savoir partagé. Or au Conseil municipal, le faible degré d'interactivité prouve que les acteurs n'ont pas le loisir d'ajuster leur monde référentiel. La centralisation du pouvoir et de l'information favorisant les conduites langagières unilatérales, la séance plénière de Conseil municipal trahit qu'elle n'est pas mise en place pour cela : son espace délibératif, tel qu'il se présente dans mon étude, relève davantage d'une mise en scène de débat que d'un débat réel.

Forts de tous ces éléments et de ma définition du polylogue annoncée au chap.1.II.4.2.3., on constate donc que le Conseil municipal comprend peu de polylogues effectifs, c'est-à-dire peu de moments où plus de trois locuteurs sont engagés dans les échanges verbaux : la structure polylogale est plutôt ancrée dans la situation statutaire .