1.2 Eléments théoriques militant en faveur de la nécessité de l’implication des collaborateurs du dirigeant de P.M.E.

1.2.1 Considérations générales

Lorsqu’on étudie une organisation, on doit garder à l’esprit qu’elle forme un tout particulier façonné par des individus, un véritable champ de forces pour emprunter l’expression de K. Lewin ( 1936)17. Sa nature et son fonctionnement sont donc fortement tributaires de ses acteurs et du contexte spatio-temporel dans lequel elle évolue. Une telle considération nous amène à dire que la réalité organisationnelle ne peut jamais être objective parce qu’elle est l’oeuvre de sujets qui sont souvent guidés par leurs propres structures cognitives. La compréhension des organisations nécessite donc de considérer ces dernières comme des réalités que l’on ne sauraient comprendre qu’en tenant compte du système référentiel des individus qui les constituent. Il s’avère donc intéressant de chercher à capter les représentations qu’ont différents intervenants de la réalité dans laquelle ils évoluent, des représentations qu’ils auront façonnées au fil des événements pour comprendre comment ils évoluent.

Il est dorénavant nécessaire de tenir compte de ces différentes représentations qu’ont les acteurs afin d’en dégager la vision commune qu’ils ont de leur organisation. Cela est incontournable dans la mesure où chacun des acteurs développe des “ schèmes ”18 d’interprétation qui sont “ des structures cognitives servant de guide au découpage de la réalité, à l’interprétation des événements et à l’action des individus”19.

A ces considérations d’ordre général qui montrent l’importance de prendre en compte les acteurs de l’entreprise lorsqu’on essaie d’en comprendre son organisation et son fonctionnement, il convient de signaler l’incapacité des facultés humaines à appréhender à leur juste titre la complexité des situations induites par le fonctionnement d’une entreprise ou d’une organisation et de pouvoir y apporter les solutions les meilleures. Si la “ rationalité ” évoque un certain degré de perfection dans la qualité d’une décision, elle fait également allusion au fait qu’un collaborateur puisse être capable de choisir la solution à un problème qui soit la mieux adaptée. Il est dès lors important d’associer ses proches collaborateurs d’autant plus que la qualité des décisions est souvent réduite par le manque d’informations ou de temps suffisant de réflexion ainsi que par l’étroitesse des capacités individuelles de traitement des informations.

En se rapprochant de la problématique de direction d’entreprise et en considérant que gouverner, c’est d’abord apporter une solution au problème de la rareté des ressources, d’attention et de réflexion au regard du nombre, de la diversité, de la complexité des problèmes à résoudre, nous considérons que le dirigeant devrait procéder à une délégation suffisante du pouvoir de décision, mettre en place des structures qui facilitent l’interdépendance des canaux de communication efficients et diversifiés ainsi que l’appui d’un système d’informations performant.

En outre, comme une bonne partie de son travail est d’ordre qualitatif et qu’en même temps elle suppose le jugement des hommes, la gestion des rapports de forces existant au sein de l’organisation tout en se livrant à une recherche constante des opportunités, ce dirigeant est appelé à faire preuve de suffisamment d’intuition pour porter une attention suffisante à toutes les sphères de l’activité de l’entreprise. Cependant, l’observation courante montre que peu de dirigeants sont capables d’être efficaces sur tous ces registres et ils sont souvent contraints de décider en temps limité car ils sont incapables de suivre tout ce qui se passe au niveau de chaque maillon de la chaîne des implications. On notera également que les représentations qu’ils ont du système d’action sont également insuffisantes du fait de la réinterprétation à laquelle se livrent leurs collaborateurs qui sont souvent obligés d’agir en fonction de leur voisinage immédiat.

Devant un tel inconfort, le dirigeant, du fait qu’il n’a ni le temps ni la possibilité de se faire une représentation suffisamment précise et complète de l’organisation qu’il dirige et des projets qui lui sont proposés, se laisse plutôt aller à “ l’opportunisme dans l’action ” plutôt qu’à la recherche de la “ rationalité ” dans ses décisions, abandonnant ainsi à ses collaborateurs sans les y avoir préparé la gestion de pans entiers de responsabilités, ce qui peut conduire à un manque d’efficacité de l’organisation.

Face à une telle situation, on peut se demander s’il n’est pas dans l’intérêt de l’entreprise en général et du dirigeant en particulier d’adopter une attitude pro-active pour éviter que les changements dans son organisation ne soient à chaque fois le résultat de “  faits coercitifs ” au sens de H. Simon20. A. Eraly note, pour sa part, que ces faits coercitifs qui surgissent dans l’organisation et qui poussent les décideurs à la réorganiser trouvent leur source dans l’interdépendance qui résulte de la différenciation des activités et dans l’incertitude qui impose de coordonner ces activités. Le dirigeant étant amené à une régulation constante des dysfonctionnements, ne doit-il pas s’obliger à détecter l’origine de l’insatisfaction qui commande l’ajustement ou la réorganisation de l’entreprise. A. Eraly essayant de donner une vision détaillée de ce phénomène constate que l’origine se trouverait dans la nécessité de résoudre des problèmes de division du travail, de mise en oeuvre de la coordination des différentes activités de contrôle, de communication, de traitement de l’information et de l’exercice du pouvoir; et enfin l’incertitude qui, lorsqu’elle est forte entraîne des ajustements intenses et nombreux.

De manière générale, les faits coercitifs susceptibles de créer un besoin de réorganisation sont multiples; ils diffèrent notamment selon “ leur gravité, leur urgence et la dimension du sous-système concerné ”21. Dans certains cas, c’est la performance de toute l’entreprise qui tend à se dégrader et stimule la réorganisation: faible croissance, rentabilité déclinante, saturation de certains marchés, absentéisme, incapacité d’innover... D’autres signes de déficiences structurelles sont la surcharge permanente des responsables hiérarchiques, les retards dans les décisions, l’apparition de certains goulets d’étranglements ou la difficulté de mettre sur pied des projets - pluri fonctions.

S’il est régulièrement rapporté que le dirigeant de P.M.E. en général et celui de P.M.E. africaine en particulier règne en monarque absolu, peut-on espérer qu’il puisse assumer toutes les exigences d’un fonctionnement efficace de l’entreprise ou faut-il l’encourager à intégrer davantage l’activité de ses proches collaborateurs et par là de l’ensemble des acteurs de l’entreprise. Pour rendre compte de cette nécessité, nous allons d’une part passer en revue les théories qui sous-tendent la structuration de l’entreprise comme moyens de mise en place de structures efficaces et d’autre part étudier la nécessité de prendre en compte l’ensemble des partenaires de l’entreprise pour enfin montrer comment un meilleur travail en équipe pourrait favoriser l’implication de tous les acteurs de l’entreprise tout en contribuant davantage à la réalisation d’objectifs collectifs.

Notes
17.

K. Lewin cité par P. Cossette et Michel Audet , “  Cartes cognitives et organisations ”, p 3, Les Presses de l’Université Laval et Editions ESKA, 1994, 229 pages.

18.

A. Giddens, “  La constitution de la société. Eléments de la théorie de la structuration ”, 1987, Presses Universitaires de France, 474 pages

19.

P. Cossette, “   La carte cognitive idiosyncrasique. Etude exploratoire des schèmes personnels de propriétaires - dirigeants de P.M.E. ” in “ Cartes cognitives et organisations ” , op cit, p 113

20.

H. Simon , “  Sciences des systèmes , Sciences de l’artificiel ”, Presses Universitaires de France, 1991, 229 pages.

21.

A. Eraly, “  La structuration de l’entreprise. La rationalité en action. ” , p 181, Editions de l’Université de Bruxelles, 1988, 246 pages.