1.2.2 Différentes approches de la structuration des organisations

Il nous paraît important lorsqu’on essaie d’explorer comment rendre efficaces les relations tant verticales qu’horizontales caractérisant l’activité de l’entreprise par la délégation concertée 22 de passer en revue la manière dont les organisations se structurent. Cela nous permettra par la suite d’étudier la nécessité d’impliquer l’ensemble des acteurs pour enfin examiner comment cette démarche de délégation concertée peut favoriser l’émergence d’un esprit de travail en équipe.

A ce propos, divers courants ont marqué la théorie de structuration des entreprises. On peut citer le courant rationaliste qui considère que les structures sont le fruit des stratégies conscientes des dirigeants, l’organisation étant considérée comme un lieu d’exercice de rationalité technico-économique et de choix stratégique conscient et réfléchi ( A. Chandler, I. Ansoff). Le courant psychanalytique, quant à lui, met en avant les caractéristiques psychologiques des dirigeants comme fondement des structures de l’organisation ( D. Miller, M. Kets de Vries et J.M. Toulouse). On peut cependant reprocher à ces deux courants d’avoir tendance à ne privilégier qu’une seule catégorie de membres de l’organisation en l’occurrence les dirigeants, comme ayant seul le pouvoir d’influencer les stratégies et les structures alors qu’à la lumière des thèses développées par M. Crozier23 , on voit que des groupes d’employés sont capables de développer des marges d’autonomies non négligeables et d’influencer la marche globale de l’organisation. En outre, on peut noter l’intérêt d’une représentation des organisations, non plus comme des espaces monolithiques, mais comme des lieux de rencontre de rationalités locales multiples et pas nécessairement homogènes24, ce qui permet de prendre en compte le fait qu’un système social est une totalité différente des individus qui la composent.

D’autres courants ont introduit l’importance des caractéristiques de l’environnement dans la structuration des organisations. On peut pour illustrer un de ces courants se référer aux travaux de Lawrence et Lorsch qui formulent l’interrogation de savoir quelle “ sorte d’organisation on doit choisir en fonction des variables économiques et des conditions du marché ”25. Ces deux auteurs basent leur question sur le fait qu’ils considèrent une organisation comme un système ouvert dont tous les membres ont des comportements qui sont en interrelation les uns avec les autres26.

Dans la même lignée, le courant écologique considère que la vie des organisations est fortement influencée par l’environnement et pensent que l’environnement sélectionne la meilleure forme organisationnelle sans que les efforts conscients d’adaptation d’une organisation particulière puissent y changer quelque chose. Pour eux, il ne faut pas compter sur les réformes de structures des organisations mais plutôt fonder la conception et l’évolution de celles-ci sur le principe de sélection. Du fait de la compétition existant entre les entreprises, la variété des formes organisationnelles est donc soumise au mécanisme de sélection tout comme l’est la variété des espèces en biologie.

Ces théories permettent encore une fois d’écarter la référence à la seule volonté du dirigeant dans la structuration des organisations et introduisent un certain relativisme en matière de structure organisationnelle et montrent qu’il n’existe pas une structure d’organisation qui soit considérée comme la meilleure dans tous les cas comme le sous-entend le précédent courant.

Cependant, on peut reprocher au courant écologique de ne pas prendre suffisamment en compte les aspects humains. Ce courant n’accorde aucune importance au dirigeant et a tendance à réduire son action sur les structures comme étant uniquement commandée par la prégnance de l’environnement. Nous considérons que cette approche est aussi réductrice des éléments qui interviennent dans la structuration d’une organisation car déjà en considérant seulement l’environnement, on oublie que la perception qu’on a de ce dernier passe par le prisme cognitif et stratégique des différents acteurs y compris des dirigeants, ce qui conditionne les projections organisationnelles qui en découleraient. On doit donc garder à l’esprit que les acteurs n’appartiennent pas à l’organisation au sens où des éléments appartiennent à un ensemble, “ ils constituent et reconstituent l’organisation à travers leurs actions et interactions ”27. C’est ce qui fait dire à, Ramson, Hinings et Greenwood28 que la production et la reproduction des structures organisationnelles est une résultante de l’interaction des systèmes de signification des membres de l’organisation, des relations de pouvoir et des contraintes contextuelles.

C’est dans cette logique que H. Bouchiki29 considère que les structures peuvent être considérées comme une résultante de la confrontation des schèmes d’interprétation des différents acteurs de l’entreprise qui peut déboucher sur un consensus ou des conflits dont la résolution dépendra des rapports de force entre les participants. Ce processus devra cependant lui aussi s’accommoder des éléments de contexte et de l’environnement pouvant avoir une influence sur les structures.

Dans son approche constructiviste H. Bouchiki30 considère que les traits structurels forment un contexte que l’acteur ne peut pas ignorer mais il peut choisir d’agir contre ce contexte toutes les fois qu’il pourra supporter le coût de l’opposition. Cette approche constructiviste met dans les traits structurels tous les éléments du contexte d’action et d’interaction entre les acteurs et implique des fonctions floues et imprécises car beaucoup de ces traits ne sont pas spécifiques à l’organisation mais peuvent caractériser un espace social plus large: la stratification sociale, les schémas culturels, l’infrastructure technologique notamment. Ces traits sont le produit de l’action et de l’interaction des acteurs. Il note que six logiques d’actions dont les forces sont contradictoires guident la structuration des organisations. Ces logiques sont: la coopération / compétition; l’ouverture / clôture; la différenciation / intégration; le contrôle / autonomie; l’innovation/ statu quo. Ces considérations montrent que les dirigeants ne peuvent à eux seuls et selon leur préférence structurer l’entreprise ce qui fait qu’ils doivent prendre en considération l’impact des apports des autres acteurs. Ils devraient prendre en compte les représentations que les autres acteurs se font de l’organisation et de la manière dont ils conçoivent son évolution. A ce sujet, H. Bouchiki31 continue en notant que les organisations compétitives sont celles dont la structuration se nourrit de l’action de leurs membres et non celles où les dirigeants ont toujours eu le souci de brider, sinon de brimer cette action car, une telle approche opère à la longue contre l’évolution de l’entreprise.

Pour notre part, nous considérerons la nécessité de structuration sous un angle pragmatique et incrémental où les dirigeants de P.M.E., du fait de la prise de conscience permise par le diagnostic, se convaincraient d’une part de la nécessité d’impliquer l’ensemble des acteurs de leur entreprise et que d’autre part l’émergence de nouvelles méthodes de management susceptibles d’accroître l’expérience de leurs collaborateurs feraient évoluer les structures de leur entreprise en intégrant correctement les contraintes de l’environnement tant interne qu’externe. Cependant, il faut noter qu’une telle vision est loin de la réalité des P.M.E. africaines surtout quand on sait que la plupart des membres de l’encadrement ne se sentent pas suffisamment intégrés dans la gestion de leur entreprise. Nous pensons qu’il s’avère important, à travers un aperçu de la théorie de la gouvernance d’entreprise, de montrer tout ce que le dirigeant gagnerait à impliquer le maximum d’acteurs de son organisation tout en tenant compte de leurs intérêts respectifs.

Notes
22.

Voir notamment, H. Savall et V. Zardet, «Management socio-économique: ou comment régénérer confiance et performances ” in Confiance, Entreprise et société ” Editions ESKA, 1995, p 165

23.

M. Crozier, “ Le phénomène bureaucratique ”, Editions du Seuil, 1963, 382 pages

24.

M. Berry, “  Une technologie invisible? L’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains ”, Publications du centre de recherche en Gestion de l’Ecole Polytechnique, Paris, Juin, 1983.

25.

P.R. Lawrence et J.R. Lorsch, “  Adapter les structures d’entreprise: intégration ou différenciation ”, p15, Les Editions d’organisation, 1994, 237 pages.

26.

idem, p18

27.

Alain Eraly, “  La structuration de l’entreprise. La rationalité en action. ”, op cit, p 10

28.

Ramson et al. cité par H. Bouchiki, “ Structuration des organisations et compétitivité: un point de vue constructiviste ”in M. Ingham, "Management stratégique et compétitivité ”, De Boeck - Wesmal, 1995, p 31, 559 pages

29.

H. Bouchiki, , “ Structuration des organisations et compétitivité: un point de vue constructiviste ”, op cit , p 51

30.

idem, p381

31.

idem, p391