1.2.3.3 Confiance et délégation pour une bonne gouvernance de l’entreprise

1.2.3.3.1 La confiance comme catalyseur de l’action sociale

Comme on l’aura vu avec O. Williamson, les spécialistes de l’analyse économique s’intéressent peu à la confiance comme facteur de régulation des relations entre acteurs et mettent en avant l’opportunisme comme guide de leur comportement. Cet argument pouvait tenir dans la mesure où les acteurs économiques considérés anonymes et opportunistes étaient supposés simplement guidés dans leurs actions par la rationalité et cherchaient à satisfaire leurs propres intérêts. Le profit étant mis au centre de l’activité économique, les économistes considéraient que les agents pouvaient user de tous les moyens même malhonnêtes afin de maximiser leur revenu. C’est ce que sous-tend la théorie des transactions quand elle parle d’opportunisme qui caractérise les relations entre acteurs ainsi que des dispositifs mis en place par certains pour se prémunir contre de tels agissements, ce qui engendre des coûts de transactions. De nos jours à y regarder de près, que ce soit au niveau macro ou micro, il s’impose que les partenaires puissent développer leurs relations sur la confiance et qu’ils puissent composer entre leurs intérêts à court terme et ceux de leurs co-contractants.

Comme, on a eu l’occasion de le souligner en étudiant l’évolution des théories de la gouvernance d’entreprise, cette position de la recherche d’une satisfaction généralisée de l’intérêt à court terme des acteurs a été beaucoup relativisée pour aller jusqu’à considérer la confiance comme élément central des relations entre acteurs économiques surtout quand on se centre sur les relations existant entre différentes entreprises ou entre les acteurs internes d’une même entreprise. C’est à ce titre que Bradach et Eccles46 considèrent la confiance en plus du prix et de l’autorité comme un moyen de coordonner l’activité économique. La confiance qui nous intéresse ici est celle qui gouverne les relations entre acteurs; qui, en fin de compte constitue un mécanisme de coordination des acteurs.

Ainsi, dans un sens plus macro Fukuyama47 explique le niveau de développement des différentes communautés nationales en mettant en lumière le rôle de la confiance et la définit comme étant les attentes qui se constituent, à l’intérieur d’une communauté régie par un comportement régulier, honnête et coopératif, fondée sur des normes habituellement partagées de la part des membres de cette communauté. Dans la même logique, n’était-ce pas par exemple la confiance qu’avaient les sujets en leurs chefs et celle qui régnait entre les différentes communautés burundaises pré-coloniales48 qui a constitué le fondement de la solidité du royaume burundais du 19 ème siècle. C’est aussi l’érosion de cette confiance tant verticale et qu’horizontale qui pourrait expliquer pourquoi les communautés burundaises ne parviennent plus aujourd’hui à cohabiter pacifiquement. Les différents protagonistes engagés sur le terrain politique n’essayant pas de créer des conditions de confiance susceptibles de rapprocher les deux principales communautés ethniques et orientant l’essentiel de leurs efforts à assouvir leurs appétits personnels créent des tensions au sein de ces communautés qui font que leurs intérêts leur paraissent mutuellement exclusifs. Le manque de confiance dans une communauté restreinte comme l’entreprise peut produire des effets semblables à ceux observés dans la société en général.

Comme le souligne E. YONEYAMA49 , la confiance signifie la concordance des actes à la parole et stipule que l’homme doit engager sa parole s’il veut gagner la confiance d’autrui. Quant à F. Bidault et J.C Jarillo, ils partent de la définition générale de la confiance qui se traduit par le sentiment que l’autre partie va se comporter de façon conforme aux intérêts de son (ses) partenaire(s) pour en déduire que la confiance est “‘la présomption que, en situation d’incertitude, l’autre partie va agir, y compris face à des circonstances imprévues en fonction de règles de comportement que nous trouvons acceptables’ ”50. On peut dire que deux dimensions sous-tendent la confiance entre acteurs dans les transactions. La première est une dimension morale: elle suppose que l’autre partie aura une conduite honnête dans la transaction en cours et la deuxième plus technique englobe à la fois la compétence technique et la capacité de gérer l’interaction avec les autres acteurs. On dira donc qu’il y a une situation de confiance lorsqu’une personne s’en remet à autrui pour l’obtention d’un résultat. Elle peut être comprise comme une traduction de la croyance dans certaines qualités ou intentions de l’autre, induisant un risque, puisque l’obtention d’un résultat attendu pourra dépendre essentiellement de la réalité des comportements futurs de la personne en qui on a placé confiance.

La confiance est souvent comprise sous deux aspects principaux51: la croyance que l’autre a des intentions positives à notre égard ainsi que la croyance en ses compétences.

D’un côté la croyance en ce que l’autre est bienveillant à notre égard est la plus reprise dans la littérature et de l’autre, la croyance que l’autre est compétent, c’est-à-dire apte à nous procurer ce que nous attendons de lui . Si la confiance est comprise comme facteur assainissant les relations entre acteurs, il faut également l’envisager comme un processus dynamique dans le sens de Zand52, qui s’inscrit dans le temps, et qui prend la forme d’un cercle vertueux ou vicieux suivant les cas. Ainsi au fur et à mesure que la situation de confiance évoluera au long du temps, chacun observera le comportement de l’autre et aura tendance à en tirer un jugement qui le conduit à renforcer ou réduire la confiance en lui.

Notes
46.

Bradach et Eccles in F. Bidault et C Jarillo, “  La confiance dans les transactions économiques ” in F. Bidault, P. Y. Gomez et G. Marion et al. “ Confiance, Entreprise et Société ”, Editions ESKA, 1995, 218 pages.

47.

Fukuyama in G. Charreaux, “  Le rôle de la confiance dans le système de gouvernance des entreprises ”, Revue Sciences de gestion, p 47, Revue Sciences de Gestion N°8-9, Numéro spécial 20è anniversaire de l’ISEOR, 1998, pp 47-65

48.

Voir notamment: -J.P Chrétien, “  Burundi, l’histoire retrouvée ”, Karthala, 1993, 509 pages

- J. P. Chrétien, “  L’Afrique des grands lacs, une ancienne culture politique ”, Edition Aubier, 2000

49.

E. Yoneyama, “  La relation de confiance dans les affaires au Japon, p 181, in F. Bidault et P.Y Gomez et G. Marion, op cit.

50.

F. Bidault et C. Jarillo “  La confiance dans les transactions économiques ” in F. Bidault, P.Y. Gomez et G. Marion et al; “  Confiance Entreprise et société ”, Editions ESKA, 1995, 218 pages.

51.

P. Couteret, “ Gérer les ressources humaines dans la petite entreprise par la confiance. p 2, GSEM, GRH, N° 98-103

52.

Zand in P. Couteret, idem, p 4