I.3.2 Méthodes de recherche en sciences de gestion et statut épistémologique du terrain

I.3.2.1 Statut épistémologique du terrain

Tant en sciences de gestion qu’en sciences sociales le statut épistémologique du terrain est très discuté. Dans les années 1960, la Sociologie préconisait une méthode d’observation où le chercheur devait affirmer son extériorité, montrer qu’il est extérieur au groupe sur lequel porte la recherche, préserver l’anonymat des entretiens et pouvoir restituer à tous dans les mêmes termes; cela étant considéré comme une garantie déontologique ou de scientificité du fait que les personnes pouvaient parler librement. On notera que cette position fut réfutée par C. Lévi -Strauss qui considère que “  dans une science où l’observateur est de même nature que son objet, l’observateur est lui-même une partie de son observation ”100. Il indique que c’est le meilleur moyen de retrouver les significations que les agents imputent à ces phénomènes et à leurs propres actes. Il n’y a donc pas de place pour l’observateur neutre. Il faut alors savoir analyser la place qu’on occupe sur le terrain de la recherche et garder en mémoire qu’on ne comprendra ce qui se passe sur le terrain qu’après coup.

Comme H. Savall101 le souligne, il se dégage une volonté manifeste au sein de la communauté scientifique des gestionnaires d’accéder aux données de terrain sans toutefois être unanime sur le statut à lui accorder dans le processus de recherche. Cependant comme le signalent Rowan et Reason ( 1981) ainsi que Whyte ( 1991)102, l’implication des chercheurs en gestion aux côtés des acteurs des entreprises et des organisations dans la résolution des problèmes permet une compréhension plus profonde des phénomènes organisationnels qu’aucune autre méthode ne pourrait le permettre. Ainsi, on éviterait que le développement des sciences de gestion se fasse dans “ un mouvement de divorce avec le monde de l’action ”103. Pour rendre compte de la nécessité d’intégrer suffisamment le terrain, quelques questions essentielles méritent d’être évoquées104:

  • Faut-il adopter un mode de lecture contemplatif ou transformatif où on décrirait, expliquerait et modéliserait tout en participant à la transformation, à l’évolution volontaire et structurée de ce terrain?

  • Faut-il s’arrêter à la production des concepts ou à faire évoluer les concepts, les modèles et les méthodes à partir du terrain ou utiliser le terrain ex-post pour valider les concepts et méthodes largement préétablis?

  • Doit-on soutenir les concepts forgés dans le milieu culturel de la recherche ou doit-on les acclimater pour stimuler les pratiques au sein des organisations?

En faisant la synthèse des divers points de vue, on relève trois principales interrogations ou controverses vis-à-vis du statut épistémologique du terrain qui sont articulées autour des thèmes suivants105:

  • la réponse à la demande sociale;

  • le risque de confusion entre recherche et conseil;

  • le risque des études empiriques.

Pour trancher sur les divergences existant au niveau du statut épistémologique du terrain M.J. Carrieu - Costa106, souligne qu’il est surtout important de considérer deux termes fondamentaux que sont: le terme de recherche et tous les paramètres de l’évaluation qui l’accompagnent et un deuxième quel qu’il soit qui permette de prendre en compte le niveau d’implication d’acteurs de terrain sur une analyse les concernant.

Notes
100.

C. Lévi - Strauss, in J. Girin, "L’objectivation des données subjectives. Eléments pour une théorie du dispositif dans la recherche interactive ”, p 174, Acte du Colloque de l’ISEOR, des 18 - 19 novembre 1986

101.

H. Savall et V. Zardet, “  Rapport de synthèse sur l’état de la recherche en gestion en France,” op cit p 257

102.

Rowan, Reason et Whyte in C. Eden et C. Huxham, “  Action research for management research ”, British journal of management, vol 7, 1996, pp 75-86

103.

M. Audet in H. Bouchiki, J. Kimberley, “  Entrepreneurs et gestionnaires. Les clés du management entrepreneurial ”, p 127, Editions d’Organisation, 1994, 175 pages.

104.

H. Savall et V. Zardet, “  Rapport de la recherche en gestion en France ”, op cit p 257

105.

Idem

106.

M. J. Carrieu - Costa, “  La recherche - action dans l’entreprise ”, Revue française de gestion, n°48, septembre 1984, pp 78 - 84