5.2.3.1 Faible cohérence dans la conduite de l’activité de l’entreprise.

5.2.3.1.1 Difficulté du dirigeant à partager la vision du développement de l’entreprise avec ses proches collaborateurs

Lorsqu’on parle des problèmes de développement des P.M.E. burundaises, les dirigeants se réfugient derrière une batterie d’obstacles régulièrement évoqués par quiconque s’intéresse au développement de l’entreprise au Burundi. Cependant, tout en n’excluant pas l’effet de ces freins au développement harmonieux des P.M.E. on peut dire que les P.M.E. burundaises sont loin d’être encore arrivées au sommet de leur efficience et que des possibilités d’évolution existent réellement.

En plus du manque de moyens financiers, une des causes récurrentes du non-développement des P.M.E. burundaises concerne l’hostilité de l’environnement externe. On remarque de ce fait que les dirigeants et leurs collaborateurs adoptent une attitude passive vis-à-vis des facteurs externes alors qu’une vision pro-active permettrait d’envisager une meilleure exploitation de certains facteurs tel que le potentiel humain comme moyen d’assurer à l’entreprise un niveau de compétitivité soutenu. Certaines des affirmations recueillies lors de nos diagnostics témoignent de cette hantise.

‘« L’inertie de l’environnement est telle qu’il ne peut exister de politique de développement. »
Entreprise « E »
«  L’environnement externe n’est pas du genre à stimuler la croissance de notre entreprise »
Entreprise « C »
«  Beaucoup d’applications dans le secteur des produits en mousse sont possibles mais il est très difficile d’envisager une quelconque innovation produit dans les moments actuels »
Entreprise « E »’

Cependant, malgré l’hostilité constatée de l’environnement externe et régulièrement dénoncée par les dirigeants de P.M.E., on remarque dans certaines d’entre elles l’existence d’une politique de développement de l’entreprise malgré l’absence d’une quelconque formalisation. Si l’on considère l’évolution de ces entreprises, on note qu’il existe certainement une politique de développement car dans les quatre entreprises B, C, D et E, on a procédé, au fil des ans, à une augmentation de la capacité de production par étapes successives sans qu’une étude approfondie n’ait été préalablement faite. En conséquence, des déconvenues sont observées, soit que l’investissement ne répond pas correctement à un besoin existant des clients (machine servant à l’impression de logos sur les sachets chez « B »), soit que les compétences nécessaires pour un fonctionnement optimal de l’équipement n’aient pas été prises en considération. On observe un manque de cohérence dans les actions de développement des P.M.E. dû surtout au caractère unilatéral de ce genre de prise de décisions dont toutes les facettes n’ont

pas été suffisamment explorées. Ce type de décision étant l’apanage du dirigeant, les différentes mesures d’investissement n’ont pas produit les résultats escomptés. Le fait que le dirigeant ait décidé l’acquisition d’un nouvel équipement sans partager le projet avec l’ensemble de ses collaborateurs, l’a privé du bénéfice de l’exhaustivité des informations qui aurait permis l’acquisition d’un équipement répondant probablement mieux aux besoins de l’entreprise.

‘«  Les décisions d’investissements ne sont prises que par la seule direction de l’entreprise. Cela est aussi valable pour la décision de fabrication de nouveaux produits  ».
L’étude de la rentabilité des nouveaux équipements a été effectuée par la seule direction de l’entreprise ». 
Entreprise « C »’

Face à une telle pratique, il nous paraît important de souligner les risques que courent les entreprises dont les décisions d’investissement ne sont pas suffisamment partagées au niveau des membres de la direction. Ainsi, on peut notamment souligner le défaut d’étude des problèmes liés au transfert de technologie faute d’associer les responsables techniques ou de la production. Dans l’entreprise « C » par exemple, malgré la volonté affichée du dirigeant de développer l’entreprise, on remarque que des insuffisances persistent dans la manière d’envisager les projets de développement.

‘«  Dans certaines usines textiles, il y a des opérations qui sont faites après le tissage mais qui n’existent pas dans notre usine. On se pose la question de savoir si ces machines seront productives ou pas ». 
Entreprise « C »
« Les techniciens de maintenance ne sont jamais informés des acquisitions d’équipements avant qu’elles ne se réalisent ».
Entreprise «  D »’

Le fait de ne pas profiter des diverses compétences même faibles dont disposent les collaborateurs des dirigeants ne permet pas d’évaluer l’ensemble des implications qu’une décision d’investissement peut avoir sur l’ensemble de l’activité de l’entreprise. Une des conséquences observées dans les P.M.E. où nous avons mené nos travaux de recherche consiste dans le fait que des équipements ont été acquis sans que l’entreprise dispose de suffisamment de compétences pour assurer tant son fonctionnement que sa maintenance préventive ou curative.

Nous avons même remarqué dans l’entreprise « C » que des équipements ont été achetés dans le but d’améliorer les performances de la chaîne de production mais qu’une fois installés les dirigeants de l’entreprise ont remarqué qu’ils ne pouvaient en aucun cas contribuer à améliorer la productivité des équipements existants car ils étaient incompatibles avec le modèle d’équipements existants. Une telle action nous permet d’évoquer un problème plus large partagé par la plupart des P.M.E. burundaises qui est celui de l’inexistence d’une structure d’informations pour les dirigeants d’entreprise soucieux d’acquérir une nouvelle technologie. Considérant avoir fait ses preuves dans la gestion de son entreprise et en l’absence de compétences internes ou externes pouvant lui servir de conseil, une telle pratique de décision empirique du dirigeant peut le conduire à hypothéquer la survie de son activité. Une telle évolution paraît probabale surtout si l’on sait que de tels équipements sont en général acquis avec un appui de financements bancaires qui doivent être remboursés sans pour autant avoir contribué à l’amélioration des résultats financiers de l’entreprise.

S’il est vrai que de telles décisions ne se délèguent pas, on peut cependant considérer qu’elles ne peuvent être prises qu’après une large concertation avec ses proches collaborateurs. La concertation sur de telles décisions, essentielle pour la survie et le développement de ces entreprises, étant fondamentale, les dirigeants de nos P.M.E. devraient être constamment alertés sur le fait que le « ‘non élargissement du cercle de décision aggrave la mortalité des P.M.E.’ »412.

On peut aussi expliquer l’absence de politique de développement de l’entreprise par l’esprit affairiste, caractéristique de certains dirigeants de P.M.E., qui, au lieu d’attacher une grande importance au développement de leur entreprise actuelle, cherchent plutôt à profiter dans l’immédiat au maximum de ce qui paraît être des opportunités.

‘«  Dans une entreprise comme la nôtre, c’est le boss qui définit les objectifs et il est le seul à les connaître. Il se peut qu’il ait d’autres objectifs et que le bénéfice qu’il tire de l’entreprise soit affecté à une autre affaire qu’il juge plus rentable. »
« Entreprise E »’

Ces pratiques de peu de transparence dans les pratiques de gestion de l’entreprise, où le développement de la P.M.E. paraît être du seul ressort du dirigeant, encouragent chez ses proches collaborateurs une attitude de désengagement et d’attentisme quant aux possibilités de faire progresser l’activité et ses résultats.

Notes
412.

D. Cassel in B. Duchénaut, « Les dirigeants de PME. Enquête, chiffres et analyses pour mieux les connaître », p 31, op cit