5.3 Evaluation financière des dysfonctionnements

Si les dirigeants de P.M.E. burundaises ont tendance à se satisfaire des résultats obtenus, de subordonner l’amélioration de l’efficacité de leur entreprise à un effort supplémentaire d’investissement matériel, l’évaluation financière des dysfonctionnements rencontrés dans les entreprises aura permis aux dirigeants et à leurs collaborateurs d’amorcer un questionnement sur les pertes de potentiel dues notamment aux dysfonctionnements internes de l’entreprise. De ce fait, cette évaluation permet aux membres de la direction d’accroître leur degré de visibilité que J.M. Plane définit comme étant « la perceptibilité par l’acteur des actes qu’il produit dans l’organisation et des effets notamment économiques qu’il engendre sur la performance de l’organisation»429. L’évaluation des coûts cachés (annexe n°2) a donc facilité la prise de conscience de la part des membres de la direction de ces P.M.E. des possibilités d’amélioration de leur compétitivité en agissant sur des leviers internes sans devoir nécessairement faire face à des investissements matériels importants supposant des moyens financiers dont ils ne disposent souvent pas.

Cependant, il importe de noter les aspects qui pourraient conduire certains collaborateurs de dirigeants à ne pas voir en les coûts cachés, des gisements internes de performances de leur entreprise. En effet, comme signalé précédemment, sous l’emprise de la routine, certaines pratiques au lieu d’être considérées comme dysfonctionnelles sont souvent prises comme normales parce que courantes. En outre, la compréhension même du concept de « coûts - performances cachés » exige de la part des cadres un effort particulier pour comprendre que la performance de l’entreprise est bien la résultante des actions d’amélioration sans cesse continue du fonctionnement interne de l’entreprise. Nous avons constaté que certains dysfonctionnements n’étaient pas considérés comme des pertes de potentiel mais plutôt comme une donnée à part entière de l’activité. Cette situation est consécutive à l’absence de toute référence au concept de qualité dans les pratiques de gestion existantes dans ces entreprises. Ainsi, avons-nous remarqué l’inexistence de prise de conscience de l’importance du montant très élevé des coûts cachés liés à l’écart de productivité et à la non-qualité . Nous avons découvert qu’ils étaient intéressés à suivre par exemple l’évolution de la production de leur entreprise sans jamais s’interroger sur le niveau de qualité des prestations aux différentes étapes du processus de production.

D’autres coûts cachés sont la traduction d’une absence de concertation sur les implications de certaines décisions des dirigeants. Prenons l’exemple des cas de vols assez fréquents dans les entreprises A, B et C; souvent punis par des renvois, on peut se demander si de telles décisions sont des plus judicieuses. Pourquoi ne pas penser à d’autres sanctions eu égard aux pertes de potentiels causées par de tels départs. Si de tels cas sont récurrents, n’est-ce pas aussi le signe que les niveaux de salaires dans ces entreprises ne satisfont pas aux besoins primaires des salariés et qu’une réflexion est nécessaire au niveau de la direction pour trouver une réponse appropriée. Sinon, la persistance de telles pratiques ne fera qu’aggraver l’importance des dysfonctionnements recensés dans ces entreprises. Pour illustrer l’importance des effets de cette pratique, nous avons constaté dans l’entreprise C que les coûts cachés annuels dus aux départs de membres du personnel du fait de ce seul élément évoqué ci-dessus ( les frais de recrutement et le temps qui y est consacré n’étant pas pris en compte) étaient de 1 050 000 Fbu soit 70 mois de salaires d’un ouvrier. La prise de conscience de telles pertes pourrait faire en sorte que ces dirigeants prennent suffisamment de temps pour étudier les causes profondes des ruptures de contrat et ainsi pouvoir limiter l’accroissement des coûts cachés liés à la recherche et à l’apprentissage de nouveaux recrutés.

En outre, on peut noter que le calcul des coûts cachés bute sur l’insuffisance des données disponibles dans nos entreprises. Il est très difficile dans certaines d’entre elles de pouvoir disposer des documents permettant de calculer la fréquence de certains des dysfonctionnements. Dans l’entreprise « E » par exemple, il nous a été impossible de connaître le nombre de blocs de matelas présentant des défauts de fabrication alors que la disponibilité d’une telle information aurait pu permettre aux membres de la direction de connaître les défauts qui sont liés aux erreurs de dosages, au mauvais fonctionnement des pompes, à un manque de rigueur dans l’entretien des pompes ou aux coupures électriques et ainsi disposer d’éléments de base pour remédier à certains de ces dysfonctionnements.

D’autres informations comme les salaires de cadres nous ont été refusées car jugées secrètes, mais en réalité, nous pensons que cela était surtout une façon de cacher les disparités excessives souvent dénoncées par les employés des P.M.E. relatives aux systèmes de rémunération en vigueur dans leur entreprise.

Le fait que la direction ne tienne pas suffisamment compte des conditions dans lesquelles travaillent ses employés entraîne pour la P.M.E. burundaise des pertes énormes. On voit que l’impact de l’environnement sociétal est également important; dans les entreprises C et A, les absences non justifiées souvent causées par les obligations sociales des salariés occasionnent des coûts énormes. Cependant, les dirigeants et leurs collaborateurs ne parviennent pas à définir une action commune afin de faire comprendre aux salariés que les pertes financières considérables générées par ces pratiques sociales traditionnelles sont incompatibles avec une économie concurrentielle.

D’autres coûts cachés sont inhérents à la faible prise en compte du facteur « temps » par les acteurs de l’entreprise. Ce comportement ne saurait évoluer que dans la mesure où les collaborateurs des dirigeants ne parviendront à s’interroger sur leurs propres pratiques de gestion du temps.

Nous sommes persuadé qu’avec l’introduction de pratiques de travail en équipe au niveau de la direction, il sera possible d’agir sur la plupart des dysfonctionnements que connaissent ces P.M.E. notamment ceux liés aux écarts de productivité et de la non-qualité et relever ainsi leur niveau de compétitivité par l’amélioration de leur fonctionnement interne.

Certains dysfonctionnements n’ont pas été évalués du fait de la perspective pédagogique que nous avons voulu préserver. En effet, nous avons remarqué que les dirigeants de P.M.E. burundaises expliquaient la faiblesse des résultats de leurs entreprises par la prégnance de l’environnement surtout du fait de la crise que traverse le Burundi. C’est dans l’esprit de leur montrer que des possibilités d’amélioration restaient possibles que nous n’avons pas calculé les coûts cachés relatifs aux coupures répétées des fournitures électriques du fait des sabotages des groupes rebelles qui avaient quasiment paralysé leur activité à certaines périodes.

Notes
429.

J.M. Plane, «  Méthodes de recherche-intervention en management », p 114, L’Harmattan, 2000, 256 pages.