6.3.2 Pratiques de délégation concertée et évolution du rôle du dirigeant

Il est largement démontré que la concentration du pouvoir de décision est la caractéristique première des dirigeants de P.M.E. africaines. Loin d’être une idée donnée, des manifestations concrètes telles que décrites ci-dessus viennent confirmer l’absence de pratiques de délégation concertée dans les P.M.E. burundaises.

Comme nous l’avons développé dans le chapitre 3, la délégation concertée permet davantage de responsabilisation des collaborateurs du supérieur hiérarchique et une plus grande implication de ceux-ci dans l’activité de l’entreprise tout en permettant au supérieur hiérarchique de dégager davantage de temps disponible pour se consacrer au pilotage de l’activité de l’entreprise. Cela permet une harmonisation des objectifs poursuivis par les collaborateurs du dirigeant et un contrôle plus efficace de l’ensemble de l’activité de l’entreprise.

Dans les entreprises - terrain de recherche, nous avons déjà noté que les attitudes vis-à-vis de la délégation concertée sont diverses. Certains dirigeants affirment pratiquer naturellement la délégation concertée alors que leurs collaborateurs considèrent que leur pouvoir de décision est souvent émietté par les interventions souvent intempestives du dirigeant dans leurs zones de responsabilité tandis que d’autres pensent pouvoir être plus efficaces en précisant par la délégation concertée les niveaux de concertation selon les principales missions de leurs collaborateurs. Compte tenu de ces diverses attitudes, nous avons pensé qu’il fallait envisager la délégation concertée à différents niveaux. Dans les entreprises notamment « C » et « D » où il existe une divergence de vue sur les pratiques existantes de délégation concertée entre le dirigeant et ses collaborateurs, nous avons considéré que la concertation permise par les actions de mise en oeuvre des projets d’amélioration pourrait faire évoluer les comportements vis-à-vis des effets d’un manque de délégation concertée. Quant aux entreprises « B » et « E », les différents travaux des groupes de projets ont mis en évidence la nécessité d’une délégation concertée. Au niveau de l’entreprise « B », l’absence de définition claire des fonctions créait un flou organisationnel et l’établissement d’une échelle de délégation (figures n°8 et 9) entre le dirigeant et ses deux directeurs de département a été l’occasion d’une part de définir avec précision les attributions de chacun d’eux, et d’autre part, d’établir les niveaux de concertation sur chacune de ces responsabilités. Cela ouvrait la possibilité au dirigeant de reprendre en main l’organisation de l’activité car des signes de délégation - expulsion observés au niveau de l’entreprise risquaient de faire en sorte que le dirigeant perde totalement et rapidement le contrôle de son entreprise. Au niveau de l’entreprise « E », la surcharge de travail du dirigeant ne lui permettait pas de disposer de suffisamment de temps pour un suivi et un contrôle réguliers de son activité . La délégation concertée a été mise en place dans la perspective de dégager davantage de temps disponible tout en gardant un contrôle effectif de l’activité de son entreprise.

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Figure n°8 Echelle de délégation concertée Directeur Général - Directeur Technique
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Figure n°9 Echelle de délégation concertée Directeur Général - Directeur Administratif et Financier Entreprise « B »

D’un point de vue méthodologique, nous avons signalé que l’ensemble des responsables de P.M.E. ne pouvaient pas développer une véritable analyse de leur emploi de temps; non pas qu’ils ne veuillent pas changer mais du fait de la prégnance de pratiques socioculturelles qui intègrent les activités « chronophages » jusqu’à ne plus distinguer leur nocivité vis-à-vis de l’efficacité de l’entreprise. Nous avons alors procédé par entretiens pour établir les différents niveaux de délégation . Les entretiens faits avec le directeur général de l’entreprise qui était en même temps chef de projet nous ont permis de faire l’inventaire des activités et tâches des membres de la direction ce qui a permis d’établir les niveaux de délégation des différentes tâches. Ces entretiens ont été enrichis lors d’une séance de réunion avec les responsables respectifs des départements. Cette démarche a été préférée car elle était enclenchée à l’initiative du dirigeant qui voulait garder la prééminence dans la prise des décisions et, on avait ainsi davantage la possibilité d’obtenir son soutien pour la mise en oeuvre du processus. Les discussions menées sur la base de la proposition du dirigeant ont permis surtout de déceler certaines zones d’ombre qui pourraient limiter l’efficacité de la prise de décision. Ils ont ainsi mis en place un cahier des charges contenant des règles du jeu pouvant apporter davantage d’éclairage dans l’appropriation des tâches déléguées.

Quelques règles du jeu mises en place au niveau de l’équipe de direction de l’entreprise « B »

  • Le programme de production ne peut être changé sans que la direction technique n’ait été avertie de la nécessité du changement 24 heures à l’avance. Seule une commande urgente dépassant 100 Kg peut occasionner un changement de production en cours de journée.

  • Pour les clients débiteurs importants, la relance doit être faite par la personne ayant facilité l’autorisation de la vente à crédit.

  • Les utilisations du véhicule de transport relatives au fonctionnement de l’usine sont prioritaires à tous autres usages.

  • La période de maintenance proposée par le chef de l’équipe maintenance doit dans la mesure du possible être respectée,

  • Prévoir une réunion mensuelle de pilotage centrée sur le suivi des indicateurs du tableau de bord de pilotage

  • Pour toute pièce de rechange qu’on met en réparation, un devis doit être établi et présenté à la Direction Administrative et Financière. Il doit préciser les délais convenus avec le responsable de l’atelier.

La délégation n’étant pas une fin en soi, mais étant plutôt conçue comme un outil permettant une plus grande implication des collaborateurs du dirigeant dans l’activité de l’entreprise et devant favoriser l’introduction des pratiques de travail en équipe, elle doit trouver sa pleine expression à l’intérieur d’un projet d’amélioration. Une telle perspective est seule capable de faire de la délégation concertée « ‘un vecteur de progrès, de développement et de motivation ’»447. Pour cela, nous avons, au cours de nos expérimentations, cherché à étudier dans quelle mesure les outils de management socio-économique pourraient appuyer le processus de délégation concertée enclenchée dans les entreprises « B » et « E » par les pratiques de travail en équipe facilitées par l’utilisation de ces outils. Dans les entreprises « C » et « D », l’utilisation des outils de management socio-économique lors de la mise en oeuvre des projets d’amélioration devrait permettre un diagnostic des besoins de délégation concertée en même temps que les pratiques de travail en équipe ainsi permises limiteraient les effets de l’absence de volonté explicite de s’engager dans un processus de délégation concertée. Cela serait, pour toutes ces entreprises, l’occasion pour les membres de la direction d’acquérir une formation intégrée leur permettant de mieux prendre en charge les nouvelles responsabilités issues de la délégation concertée.

Notes
447.

L. Girard, « Une méthode de travail pour le dirigeant de PME: la délégation concertée. Cas d’expérimentation dans un établissement hôtelier de création récente », p 43, DEA GSE Université Lumière Lyon 2, 1993, 87 pages.