Conclusions et discussion générale

La méthode de mise à l’échelle spatiale (agrandissement des tailles en fonction de l’excentricité) permet d’égaliser les performances de sensibilité au contraste (détection) dans trois excentricités (2, 4 et 8°) et quatre positions dans le champ visuel (nasale, temporale, supérieure et inférieure). Ces résultats sont cohérents avec ceux obtenus dans des études précédentes . Cette méthode de mise à l’échelle spatiale a permis aussi d’égaliser les performances de la tâche d’identification de lettres symétriques en miroir (b, d, p et q) et rejoint l’ensemble des arguments présentés par Higgins et al. (1996) et par Virsu et Rovamo (1979).

Il est supposé que la tâche d’identification de lettres ne différant que par leur phase baisse plus rapidement en périphérie et nécessite un agrandissement plus important que celui nécessaire pour la tâche de détection . La méthode de Watson appliquée dans l’étude présente donne des facteurs de mise à l’échelle équivalents pour la tâche de détection et d’identification. Ainsi, les résultats de notre étude confirment ceux obtenus par Higgins et al. (1996), Rovamo et Virsu (1979) et argumentent en faveur d’un modèle d’agrandissement à échelle unique pour les deux tâches visuelles de détection et d’identification de lettres symétriques en miroir ne différant que par leur phase.

Le calcul de la valeur du E2 confirme l’idée d’une évolution identique des deux tâches dans la périphérie. Ces résultats vont à l’encontre des prédictions de Klein et Tyler (1981) qui ont trouvé un E2 entre 0.3 et 0.9° pour les tâches nécessitant la discrimination de phase alors que les résultats de notre étude ont un E2 de 3.1°.

La différence entre nos résultats et ceux observés par d’autres études ne peut être due à la technique utilisée. En effet, l’analyse des performances selon des niveaux de contraste fixes (contraste variable et contraste fixe) produit des facteurs de mise à l’échelle et des valeurs de E2 équivalents pour les deux tâches.

Une analyse selon l’axe visuel de la présentation des stimuli (horizontal ou vertical) permet d’affirmer que l’analyse globale des deux axes n’explique pas la différence de nos résultats par rapport à ceux obtenus par d’autres auteurs qui ont étudié le champ visuel inférieur .

Sagi & Julesz (1985), dans une expérience portant sur l’exploration visuelle, ont trouvé que la localisation (l’estimation du nombre de cibles sans tenir compte de leur orientation) a lieu de façon pré-attentive et précoce, tandis que l’identification (qui consiste à dire si les cibles sont les mêmes ou différentes) nécessite une attention plus focalisée d’où un temps de réaction plus long. Ainsi, on pourrait attribuer les baisses rapides des performances de discrimination de l’étude de Saarinen et al. (1987) à la tâche choisie. En effet, l’observateur devait identifier la ressemblance ou la dissemblance (pareil/différent) entre deux stimuli symétriques en miroir.

Ainsi, le facteur de mise à l’échelle est différent pour deux tâches d’identifications. Il est plus important pour une tâche d’identification dans laquelle l’observateur doit décider si deux motifs sont similaires ou différents que pour une tâche dans laquelle le sujet doit reconnaître une lettre présentée seule et ne différant que par sa phase des autres lettres à identifier.

D’après Strasburger et al. c’est à partir de l’excentricité de 6° environ que la différence entre la tâche d’identification et la tâche de sensibilité au contraste commence à s’accentuer. Ainsi, on pourrait conclure qu’il est nécessaire d’utiliser des facteurs de mise à l’échelle plus grands pour la tâche d’identification que pour la tâche de détection comme l’ont proposé Levi et al. mais à partir d’une excentricité supérieure à 6°.

Il est à noter que Strasburger et al. ont utilisé une pente (β) fixe. Dans notre modèle, la valeur de la pente variait selon les fonctions psychométriques pour deux raisons. La première était que la valeur de la pente ne changeait pas systématiquement d’une taille à l’autre. La deuxième était que l’étude du seuil procure une exactitude 6 fois supérieure à celle de la pente.

Le changement de la vision périphérique par rapport à la vision fovéale ne réside pas uniquement dans la différence de tailles. Il réside aussi dans deux facteurs supplémentaires. Le premier facteur est le type de tâche visuelle utilisée pour mesurer les performances. Lorsque la tâche d’identification concerne des stimuli ne différant que par leur phase l’agrandissement nécessaire pour égaliser les performances est identique à celui proposé par Rovamo et Virsu (1979). En effet, les observateurs ont un repère qui les aide à identifier les lettres, lorsque la barre est placée à droite et en haut du cercle, il s’agit de la lettre d, lorsque la barre est placée à gauche et en bas du cercle il s’agit de la lettre p. Cependant, lorsqu’il s’agit d’identifier un des dix caractères alphanumériques possibles (de 0 à 9) le facteur de mise à l’échelle nécessaire est plus grand que celui proposé par Rovamo et Virsu (1979). Dans cette situation, l’observateur n’a pas de repère aussi facile que dans la condition de lettres symétriques en miroir ne différant que par leur phase.

Le deuxième facteur est le niveau de contraste. Strasburger et al. (1994) ont observé que lorsque les stimuli avaient un haut contraste la théorie de Rovamo et Virsu (1979) était applicable. Les observations de Strasburger et al. (1994) sont confirmées par Melmoth, Tukkonen, Mäkelä et Rovamo (2000) qui ont montré que dans une tâche de discrimination de visage, la mise à l’échelle concernait deux facteurs qui sont la taille des stimuli et aussi leur niveau de contraste. Ainsi, Melmoth et al. (2000) ont proposé une mise à l’échelle à double dimensions (taille et contraste).

Nos résultats montrent que le champ visuel est anisotrope. Les seuils de contrastes sont plus élevés dans l’axe visuel vertical que dans l’axe visuel horizontal. En effet, les seuils de détection et d’identification sont plus élevés sur l’axe vertical que sur l’axe horizontal (cf. figure 49 et 50). Nous pouvons suggérer que cette différence est due à la distribution des cellules ganglionnaires qui sont plus denses sur l’axe horizontal que sur l’axe vertical (Hughes, 1977).

Deux questions méritent une investigation plus approfondie. La première, concerne l’anisotropie du champ visuel. Une nouvelle analyse des données de l’expérience 1 nous renseignera sur les caractéristiques du champ visuel. Ainsi, la deuxième section de ce chapitre sera consacrée à l’analyse des confusions commises par les observateurs et une schématisation du champ visuel.

La deuxième question concernera le rapprochement systématique entre les courbes de seuils de contraste vs. tailles de la tâche de détection et d’identification (cf. figure 38). Ainsi, la troisième section sera consacrée à l’étude d’un modèle d’observateur idéal.