Chapitre 3. phénomène de Groupement

Introduction

La première raison qui justifie l’étude du phénomène de groupement est qu’il nous renseigne sur les mécanismes sous-tendant la vision périphérique comparée à la vision fovéale. L’effet de groupement manifeste une différence quantitative entre ces deux visions. Il s’étend sur une distance de 3 à 6 min. d’arc en vision fovéale et sur une distance bien plus large équivalente à 0.5 fois l’excentricité à laquelle le stimulus est présenté. Ce grand effet de groupement en vision périphérique est observé même après une mise à l’échelle du stimulus.

Lorsque la cible est entourée par des éléments avoisinants, l’acuité visuelle baisse par un facteur de 1.14 en fovéa (Leat et al., 1999) tandis qu’en périphérie elle baisse par un facteur de 4.2 .

Une différence qualitative entre vision fovéale vs. vision périphérique réside dans l’impact de la structure du stimulus. En effet, le C de Landolt entouré par des barres provoque un effet de groupement aussi bien en vision fovéale qu’en vision périphérique , tandis que la lettre E entourée par des barres provoque un effet de groupement en périphérie mais pas en fovéa .

La deuxième raison qui justifie l’importance de la compréhension de l’effet de groupement est qu’il provoque des déficits sévères de la lecture chez les patients atteints de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) (Legge, Rubin & Pelli, 1985; Legge, Isenberg & LaMay, 1992). La DMLA est un trouble qui provoque une perte irréversible de la vision centrale et oblige les patients à utiliser leur vision périphérique. Cette pathologie concerne 1 million de personnes en France. Ainsi, il est important de mesurer l’effet de groupement en périphérie pour tenter de le diminuer et de contribuer pratiquement à permettre aux patients d’accéder de nouveau à la lecture.

Des recherches précédentes se sont intéressées à l’impact de la similarité entre la cible et les flancs sur l’effet de groupement et plus particulièrement à l’impact de la similarité de l’orientation (Andriessen & Bouma, 1976), de la taille (Loomis, 1978; Nazir, 1991) et de la forme de la cible et des flancs du pourtour . Ces recherches ont révélé que l’effet de groupement dépend non seulement de la distance séparant la cible des stimuli avoisinants mais aussi du degré de similarité entre la cible et les stimuli l’entourant. Kooi, Toet, Tripathy & Levi (1994) ont mesuré l’impact de la similarité entre la cible T et le pourtour de même forme concernant les caractéristiques suivantes : contraste, forme, polarité et orientation sur l’identification de l’orientation de la lettre ‘T’ (haute, basse, droite, gauche). Dans leur étude, la structure du stimulus permettait la manipulation globale de la lettre mais pas la manipulation locale des traits de la lettre.

Afin de contrôler les caractéristiques locales de l’orientation et des FS, certains auteurs ont utilisé des segments de type gabor. Dans certaines de ces études la tâche consistait à estimer le contraste du segment placé entre deux autres de même structure (Cannon & Fullenkamp, 1991a; 1996). Dans une autre étude l’observateur avait pour tâche de détecter la présence ou l’absence du segment (Polat & Sagi, 1994).

Figure 64. Représentation d’une luminance distribuée selon une fonction gabor. La partie A de la figure représente la distribution sinusoïdale en haut et la distribution gaussienne au milieu. La multiplication des deux distributions engendre une distribution de type gabor. La partie B représente une distribution de la luminance selon une fonction gabor horizontale.

Tirée de Palmer (1999)

La nouveauté dans notre expérience consiste à étudier l’identification de l’orientation d’une lettre entourée par des barres, l’ensemble du stimulus étant structuré de segments gabor (sinus fois gaussienne). La structure des stimuli localisés de bandes limitées (segments gabor) permet d’effectuer un compromis entre la localisation dans l’espace et aussi la localisation dans le domaine des fréquences spatiales (cf. figure 64). Il s’agit d’un stimulus qui permet un meilleur contrôle des canaux visuels activés puisqu’il n’incite qu’un nombre réduit des unités du système visuel à traiter l’information visuelle (Polat & Sagi, 1993).

Cette structure de stimulus nous permettra d’étudier l’interaction entre les canaux visuels sensibles à différentes gammes de FS (Campbell & Robson, 1968; Graham & Nachmias, 1971; Graham & Robson, 1987; Sachs, Nachmias, & Robson, 1971; Sagi & Hochstein, 1983; Tolhurst & Barfield, 1978; Watson, 1982) et différentes orientations (Kulikowski, Abadi, & King-Smith, 1973). Lorsque ces canaux reçoivent des entrées différentes, ils les détectent indépendamment. Ceci signifie que l’activité d’un canal n’influencera pas un autre canal répondant à une gamme de FS ou d’orientations différentes. Ces canaux ne sont pas totalement indépendants puisqu’ils reçoivent des entrées inhibitrices des canaux qui codent des FS ou orientations avoisinantes . Toutefois, ces interactions sont spécifiques aux canaux ayant des champs visuels qui se chevauchent.

Les expériences sur l’effet de groupement présentées dans ce chapitre ont pour premier objectif de quantifier l’ampleur de l’effet de groupement en périphérie de 10° dans le champ visuel inférieur. Le deuxième objectif est de mesurer l’effet de groupement lorsque la cible et le pourtour sont structurés de segments gabor et ont les mêmes caractéristiques physiques (FS, orientation, contraste et nombre de segments). Le troisième objectif est de mesurer l’ampleur de l’effet de groupement lorsque la cible et le pourtour diffèrent par leurs FS et leur orientation. Le quatrième objectif est de mesurer l’impact du niveau de contraste des flancs du pourtour sur l’ampleur de l’effet de groupement.