Conclusions et perspectives de recherche

L’étude de la mise à l’échelle des stimuli en fonction des excentricités a des avantages théoriques et pratiques. D’un point de vue théorique, le succès ou l’échec de la mise à l’échelle nous renseigne sur l’étendue des capacités de traitement de la vision périphérique ainsi que sur les facteurs neuronaux et les facteurs propres à la tâche ou au stimulus. D’un point de vue pratique, les résultats de cette étude nous ouvrent des voies d’application dans le monde réel. Par exemple, les jeux virtuels, la conception des panneaux pour les voitures et les avions. De plus, des stratégies de réhabilitation pourront être élaborées pour offrir aux millions de personnes souffrant d’un scotome central, une aide et une possibilité de ré-accéder à la lecture.

Dans notre première étude nous avons mesuré l’évolution de deux tâches visuelles : sensibilité au contraste (détection) et discrimination de position (identification) à travers le champ visuel périphérique. Nos résultats montrent que les seuils de contraste des deux tâches ont le même profil à travers les trois excentricités, hormis un facteur d’échelle. Ainsi, nous suggérons une différence quantitative lorsque la tâche visuelle nécessite la discrimination d’une cible présentée isolément. Ceci signifie que la baisse des performances dans le champ visuel périphérique peut être compensée par un facteur de mise à l’échelle spatiale.

Le résultat de notre première étude montre que le même facteur de mise à l’échelle est applicable à une tâche de détection et une tâche d’identification de position relative. Ce résultat est cohérent avec celui observé par Higgins et al. (1996) et argumente en faveur d’un modèle à échelle unique. Ce résultat est toutefois différent de celui observé dans un grand nombre d’études . En effet, ces études ont observé que dans les tâches qui nécessitent l’encodage de l’information de la position relative entre les éléments d’un pattern, la vision périphérique est inférieure à la vision centrale, même après une mise à échelle. D’autres études ont estimé l’identification de caractères alphanumériques et ont observé une augmentation des seuils plus rapide dans la tâche d’identification que dans les tâches de résolution ou de détection et elles argumentent donc en faveur d’un modèle à double échelle spatiale (Farrel et Desmarais, 1990 ; Strasburger et al., 1991 ; 1994 ; Saarinen et al., 1989 ; Saarinen, 1988).

Nous expliquons la différence entre nos résultats et ceux observés dans les études précédentes par la structure de notre stimulus, l’indice de discrimination, l’anticipation de l’observateur et aussi par la différence entre les stimuli de la même tâche. En effet, lorsque le stimulus est structuré d’un cercle plus une barre et que la seule différence entre les stimuli réside dans l’emplacement d’un élément par rapport à l’autre, l’indice de discrimination est plus facile à gérer que dans une tâche où les stimuli diffèrent par leur phase et aussi par leur amplitude spectrale. De plus, lorsque l’observateur doit identifier une lettre parmi vingt-six ou un chiffre parmi dix, son incertitude est plus grande que lorsqu’il doit identifier une lettre parmi un ensemble de quatre.

Adapter la mise à l’échelle du stimulus à la nature de la tâche permet de rendre les appareils d’aide visuelle plus efficaces. Si la tâche est relativement simple comme c’est le cas dans notre expérience, alors une mise à l’échelle peut aider. Cependant, si le but de l’appareil est d’aider les patients ayant des scotomes visuels, alors la mise à l’échelle nécessitera un agrandissement de la taille du stimulus ainsi qu’une élévation du niveau de contraste pour produire un maximum de performance.

Nous avons analysé les erreurs de confusion des lettres symétriques en champ visuel périphérique. Les résultats montrent que la distribution des confusions n’est pas due au hasard, mais que la vision périphérique est plus propice aux confusions de type radial que les confusions de type tangentiel. Ce résultat est cohérent avec celui observé par Yap et al. (1987). Ces auteurs ont suggéré que dans les tâches de discrimination de positionnement il est plus facile de traiter les orientations tangentielles que les orientations radiales (i.e., un b est mieux distingué d’un d sur le méridien vertical que sur les méridien horizontal).

D’après notre analyse, le champ visuel est anisotrope et a une forme elliptique dans le sens horizontal. Aussi tous les types de confusions (horizontaux, verticaux ou obliques) sont plus nombreuses sur le méridien vertical que sur le méridien horizontal. Ce résultat est cohérent avec celui observé par Nazir (1991) qui a remarqué que les performances de discrimination d’une cible dans un pourtour étaient 20% plus élevées sur le méridien horizontal que sur le méridien vertical.

La tâche d’identification de lettres symétriques en miroir est une tâche hybride. En effet, il s’agit d’une tâche de résolution selon son E2 et d’une tâche de discrimination de positionnement selon le type de confusions qui la caractérise.

Dans notre analyse, nous avons observé que les seuils d’identification suivaient une fonction quadratique et que les seuils de détection suivaient une évolution plutôt linéaire. Nous avons observé aussi que la différence entre les seuils des deux tâches est très importante sur la gamme des petites tailles et est très légère dans la gamme des grandes tailles. L’analyse d’un observateur idéal a révélé que la différence entre les seuils de détection et d’identification n’est pas due à l’échantillonnage spatial. En effet, l’analyse de l’observateur idéal n’a pas montré de différence entre l’évolution des seuils de détection et d’identification de petites tailles (cf. figures 32 et 63). Ainsi, nous proposons que la différence observée entre les deux tâches dans la gamme des petites tailles ne peut pas s’expliquer par un sous-échantillonnage spatial.

Comme les stimuli sont rarement présentés isolément dans le monde réel, nous avons effectué une étude dans laquelle la cible était présentée dans un environnement chargé. Cette étude nous a permis de mesurer l’étendue de l’effet de groupement en manipulant la similarité et la distance séparant la cible du pourtour.

Les résultats de notre étude montrent que l’effet de groupement s’étend sur une distance égale à 20% l’excentricité étudiée. Ceci signifie que si on présentait une cible à une excentricité de 15 degrés dans le champ visuel périphérique, les performances baisseraient à un niveau de chance tant que les éléments du pourtour seraient à une distance inférieure à 3° de la cible. Il s’agit d’une étendue de groupement inférieure à celle observée dans des études précédentes (50% de l’excentricité étudiée) (Bouma, 1970 ; Kooi et al., 1994 ; Toet & Levi, 1992). Bien que Kooi et al., (1994) et Toet et Levi (1992) aient utilisé une cible et un pourtour qui étaient similaires (la lettre T) et que Bouma (1970) ait utilisé un pourtour de forme différente de celle de la cible (i.e., chacune des vingt-cinq lettres de l’alphabet entourée par un X à droite et un X à gauche) l’étendue de l’effet de groupement était de 50% de l’excentricité étudiée. Ainsi, la similarité de la forme ne peut pas expliquer, à elle seule, la différence entre l’étendue observée dans notre étude et celle observée dans les études précédentes. Nous concluons que la similarité de la forme du pourtour tout comme sa complexité provoquent une longue étendue de l’effet de groupement.

Le nouveau résultat de notre étude est que la différence entre la cible et le pourtour a un impact sur l’effet de groupement. En effet, lorsque les FS du pourtour sont inférieures à celles de la cible, l’effet de groupement est maximal. Ce résultat ne peut pas être dû à la visibilité, car à visibilité égale, les basses fréquences spatiales du pourtour provoquent un effet de groupement plus important que les hautes fréquences spatiales. Il est possible que cet effet soit spécifique au stimuli de forme gabor qui sont localisés dans le domaine spatial. En effet, Chung et al. (2001) en utilisant des lettres de forme sinusoïdale ont observé que l’impact des FS se distribuait de façon normale (que les FS soient supérieures ou inférieures l’effet de groupement est identique). Ainsi, nous proposons que lorsque le stimulus est structuré d’éléments gabor, un pourtour de basses FS provoque une étendue d’effet de groupement plus longue que celle provoquée par un pourtour de hautes FS. L’explication qui nous semble la plus logique est que lorsque les stimuli sont localisés dans le domaine spatial, les canaux traitant les basses FS sont plus larges que ceux traitant les hautes FS.

Lorsque tous les éléments du pourtour sont orientés de façon orthogonale à la cible, l’effet de groupement est très léger voire absent. Cependant, lorsque 50% des éléments sont orientés orthogonalement et 50% ont une orientation identique à celle de la cible, l’étendue de l’effet de groupement est équivalente à 16% de l’excentricité étudiée. Nous expliquons ce résultat par un effet attentionnel. Si l’effet de groupement était dû uniquement à l’interaction de canaux traitant l’information visuelle, l’étendue serait équivalente à 10% de l’excentricité étudiée, puisque la moitié était stimulée par des élément inhibiteurs et l’autre moitié par des éléments excitateurs.

En représentant le niveau de contraste nécessaire pour discriminer la cible E en fonction du contraste des éléments du pourtour, nous avons observé une fonction de puissance de 0.5. Ce résultat signifie que plus le niveau de contraste des éléments du pourtour est élevé, plus la discrimination de la cible est difficile. Ce résultat est cohérent avec celui observé dans l’étude de Toet et Levi (1994) qui ont remarqué une baisse de performances de discrimination de la cible T lorsque le niveau de contraste des éléments du pourtour était plus élevé que celui de la cible. Chung et al. (2001) ont observé une fonction de puissance inférieure à celle observée dans notre étude (0.2).

De nombreuses études effectuées en vision centrale ont observé une facilitation de la discrimination de la cible lorsque les éléments du pourtour étaient proches de la cible . D’autres études ont trouvé de meilleures performances lorsque le pourtour était proche de la cible que lorsque celui-ci était éloigné (Flom et al., 1963 ; Liu 2001 ; Danilova & Bondarko 1999). Aucun de nos résultats ne montre une facilitation ou une amélioration des performances lorsque le pourtour est plus proche de la cible (cf. figure 72).

En vision fovéale, les barres entourant la cible E n’ont pas provoqué d’effet de groupement lorsque les éléments du pourtour jouxtaient la cible (Levi, 2000). La seule condition qui a provoqué un effet de groupement était une superposition des éléments de la cible à ceux du pourtour. En revanche, en vision périphérique en utilisant un stimulus identique et mis à l’échelle, l’effet de groupement s’étend sur 20% de l’excentricité étudiée comme le montrent nos résultats.

Deux caractéristiques de l’effet de groupement nous permettent de suggérer une différence qualitative entre la vision centrale et la vision périphérique lorsque la cible est présentée dans un environnement chargé. La première est l’absence d’effet de groupement en vision fovéale rapportée dans certaines études (Levi, 2001 ; Strasburger et al., 1994 ; Leat et al., 1999). La deuxième caractéristique concerne l’amélioration des performances en présence d’éléments jouxtant la cible ou la facilitation observée dans différentes études en vision fovéale et son absence en vision périphérique dans notre étude.

De nombreuses études physiologiques ont révélé que lorsqu’un neurone est activé par un stimulus et qu’un autre stimulus est ajouté dans le champ récepteur de ce même neurone, la réponse de ce dernier peut augmenter ou baisser (Kapadia, Ito, Gilbert & Westheimer, 1995; Levitt & Lund, 1997; Nelson & Frost, 1978; Polat & Norcia, 1996; Polat, Mizobe, Pettet, Kasamatsu & Norcia, 1998; Polat & Norcia, 1998; Toth, Rao, Kim, Somers & Sur, 1996). Ceci signifie que la présence d’un élément jouxtant la cible peut provoquer une facilitation ou une inhibition, comme c’est le cas pour l’effet de groupement en vision centrale. Cependant, les connaissances électrophysiologiques actuelles n’ont pas déterminé s’il y a un effet d’excentricité similaire à celui que nous proposons. A savoir que la facilitation est absente en vision périphérique et est spécifique à la vision centrale.

Ainsi, nous proposons que si la différence entre la vision centrale et la vision périphérique était une différence quantitative, alors une mise à l’échelle des tailles des stimuli aurait résolu le problème. L’agrandissement des tailles permet une mise à l’échelle lorsque les stimuli sont présentés isolément comme nous l’avons montré dans notre première expérience. Cependant, la mise à l’échelle s’avère insuffisante lorsqu’une cible est présentée dans un environnement chargé. En effet, la mise à l’échelle du E dans les expériences portant sur l’effet de groupement n’a pas permis d’atteindre un maximum de bonnes réponses à cause de la présence des barres jouxtantes. Si la différence entre vision fovéale et vision périphérique était un simple changement de sensibilité, alors une augmentation du niveau de contraste aurait permis d’égaliser les performances. En effet, le E ayant un niveau de contraste adéquat présenté isolément a permis aux observateurs d’atteindre des performances supérieures à 85% de bonnes réponses tandis que la présence des barres du pourtour provoquait une baisse de performances à un niveau de chance. Ainsi, nous suggérons que la vision périphérique se caractérise par sa différence quantitative et aussi par sa différence qualitative.

La troisième étude a montré qu’il était possible d’acquérir un prototype inconnu de l’observateur lorsque celui-ci est guidé par un feed-back multi-modal (auditif et visuel). Il nous a été possible également de schématiser l’image du prototype appris par l’observateur. Nos résultats montrent que les observateurs attribuaient un poids plus important à la première partie du stimulus. Cette caractéristique est systématique, elle a été observé chez les quatre observateurs participant à l’expérience, même chez l’observateur qui n’a pas appris le prototype qui lui a été attribué. Le même résultat a été observé par Thomas et Knoblauch (1998) dans l’étude de la détection d’un prototype connu. Ce phénomène refléterait une tendance innée à attribuer un poids plus important aux informations traitées par les voies visuelles les plus rapides.

Nos résultats provenant des trois études précédemment détaillées, nous ont permis de poser plusieurs questions et ainsi de proposer différentes perspectives.