La notion de liquidité doit sa conceptualisation théorique à Keynes. Les travaux ultérieurs ont permis son extension à divers domaines économiques. La liquidité dans la théorie institutionnelle des marchés boursiers est rattachée à l'existence des coûts de transaction et à la sélection adverse.
Keynes fut le premier à soulever l'importance de la liquidité en la rattachant directement à la demande de monnaie. Son idée principale consiste à dire que la monnaie est demandée pour elle-même en plus de sa demande pour répondre à des besoins de transactions. Cette demande de monnaie est liée aux décisions des ménages concernant la répartition de leurs revenus épargnés.
En effet, un agent économique fait face à une première décision qui concerne la répartition de son revenu entre la consommation et l'épargne. La part du revenu attribuée à la consommation est une fonction stable qui dépend principalement de la propension à consommer.
La deuxième décision concerne la répartition du revenu résiduel entre les placements en titres 19 (épargne placée) et la détention de liquidités (épargne liquide). La détention de liquidités revient à conserver des droits utilisables à tout moment sous la forme de moyens de paiement (dépôts à vue, billets…).
La répartition du revenu résiduel entre l'épargne placée et l'épargne liquide dépend de la préférence pour la liquidité. Cette notion est expliquée par les motifs de la demande de monnaie.
Selon l'analyse keynésienne la monnaie est demandée pour:
La préférence pour la liquidité apparaît ainsi comme étant un choix entre percevoir des revenus financiers (épargne placée) ou percevoir des plus-values financières (épargne liquide).
Cette notion est à l'origine de la définition générique de la liquidité d'un bien. Du moment que les agents économiques manifestent une préférence naturelle pour la détention de moyens de paiement, leurs placements sont conditionnés par la facilité avec laquelle ils arrivent à récupérer leurs fonds.
Keynes définit la liquidité d'un bien comme suit:
‘"La liquidité d'un bien d'investissement est la rapidité avec laquelle la richesse qui lui est incorporée peut être récupérée…L'actif le plus liquide est le plus certainement réalisable à bref délai et sans perte". Le Traité, p 676.’Cette définition a relié dans un premier temps la liquidité d'un actif à sa durée de récupération (durée de vie d'un investissement). Elle devient donc subordonnée à la valeur actuelle nette et elle est conditionnée par l'importance des flux futurs, par leur probabilité de réalisation et par leur échelonnement dans le temps. Ces caractéristiques ont été synthétisées par Courbis (1971) en deux éléments constitutifs:
On peut rapprocher ces deux éléments de la liquidité intrinsèque et de la liquidité extrinsèque.
D’abord, la notion de certitude sur la valeur exprimée par le terme “certainement réalisable” dans la citation de Keynes, est ramenée à l’idée de solvabilité évoquée traditionnellement par le terme “self-liquidating”.
Elle est intégrée dans l’étude préalable d’un investissement par la prise en compte du risque de paiement. Il est clair que cet aspect de la liquidité est directement lié aux attributs individuels d’un actif (rendement, risque et durée de récupération) et justifie donc l’appellation de “liquidité intrinsèque”.
Quant à la liquidité extrinsèque, elle se rapproche de la notion de la négociabilité. Dans ce sens, la liquidité est la faculté d’être facilement et à tout moment transformé en moyens de paiement. Dans cette optique, la liquidité dépend moins des qualités propres de l’actif que de l’organisation des marchés, des techniques de mobilisation et même de la réglementation. Cette conception se rapproche plus de la liquidité du marché dans le sens de la performance institutionnelle du marché à fournir la liquidité.
Par opposition à la notion de sécurité, les économistes s’intéressaient à l’incertitude portant sur les transactions futures ce qui a imposé l’élargissement de la théorie de la liquidité pour incorporer la notion du risque. La préférence pour la liquidité est interprétée comme une aversion au risque.
Tobin (1958) adopte une explication de la demande de monnaie en terme de gestion optimale d'un portefeuille composé à la fois d'encaisses monétaires et de placements financiers. Les encaisses monétaires représentent un stock de capital liquide (des biens en attente d'écoulement ou des dépôts à vue). L'objectif ultime pour un agent économique est de déterminer le niveau optimal de ce stock compte tenu du coût de conservation (coût d'opportunité) et des frais de transformation 21 (frais de courtage).
En effet, l'idée principale consiste à dire que l'individu détient un stock de liquidités pour faire face à un flux de transactions durant une période déterminée. Au fur et à mesure de son utilisation, le stock atteint la valeur zéro et l'individu se trouve dans l'obligation de le renouveler en liquidant certains placements financiers. Or cette transformation n'est pas gratuite et engendre des frais de courtage. Ces frais est un coût supplémentaire qui s'additionne au coût d'opportunité relatif à la détention de liquidités en se privant d'un revenu financer. Le demande de liquidité est alors la demande des encaisses monétaires. Elle dépend de l'ampleur des coûts de transformation, du taux d'intérêt et du degré de variabilité des transactions.
Hicks (1967) approfondit l’analyse keynésienne de la demande de monnaie et aboutit à restreindre la demande de liquidité à la demande de monnaie pour un motif de précaution:
‘“We can then say, quite simply and quite generally, that it is the precautionary demand for money which is the demand for liquidity. Anyone, whether or not is a financier, has a precautionary demand for money, whenever he has a need liquidity, and the need for liquidity is a need for a mean of being covered against emergency”, p 48.’La demande de monnaie pour un motif de précaution est ainsi un besoin de liquidité, c'est-à-dire un besoin de moyens permettant de se protéger contre l’imprévu.
En effet, l’auteur considère que contrairement à l’incertitude qui porte sur la valeur future des titres et qui rattache la demande de la monnaie à un motif de spéculation, l’incertitude qui porte sur les transactions futures souligne une demande de la liquidité. De plus, l’aversion au risque ne justifie que le besoin de diversification des portefeuilles.
Hicks a également permis la classification des actifs financiers selon leur liquidité:
La première catégorie d'actifs financiers inclut la demande de monnaie sur les banques et les crédits commerciaux. Elle souligne un motif de transaction. La deuxième catégorie comporte les actifs à court terme du secteur public et des institutions financières non bancaires. Elle incorpore la demande de la monnaie pour un motif de précaution. Et la troisième catégorie est compatible avec la demande de monnaie et d’actifs à long terme pour un motif de spéculation.
Par ailleurs, la liquidité peut être conçue sous d’autres aspects tels que la maturité (maturity) ou la commodité (easiness).
La maturité est l’échéance d’un actif ou l'âge d'une dette. Ainsi, la monnaie est considérée comme l’actif dont l’échéance est de zéro jour. Un actif est liquide si sa maturité est courte. En d’autres termes, cet actif peut être réalisé rapidement sans risquer une perte importante de capital.
Dans ce sens, une économie est liquide quand elle permet de soutenir différents niveaux de production sans être inhibée par les variations du taux d’intérêt. En plus, cette analyse met l’accent sur le rôle de la monnaie en tant que moyen d’échange. En effet, les actifs même les plus liquides ne peuvent pas être directement réalisés et incorporés dans le financement de la consommation ou dans le réinvestissement sans être préalablement convertis en monnaie.
La notion d'easiness, qui peut être traduit par commodité, facilité ou souplesse, est exprimé par le ratio (M/Y) rapportant la masse monétaire au flux total d’outputs au sein d’une économie. Un ratio élevé traduit une capacité plus importante d’expansion économique et un ratio bas souligne plus de difficultés de s’adapter à des niveaux supérieurs de production.
La notion de liquidité est donc passée de la durée de vie d'un investissement, à la proximité monétaire, puis à la solvabilité ou à la flexibilité. De même, le besoin de liquidité est expliqué selon les contextes par une demande de la monnaie pour la spéculation, pour la précaution ou pour la gestion d'un portefeuille.
| Modèles | Choix | Séquence | Liquidité |
| Théorie de portefeuille | Monnaie/titres | Choix unique | Absolue |
| Théorie étroite de la liquidité | Liquidités/titres | Choix unique | Relative |
| Théorie élargie de la liquidité | Actifs liquides/actifs illiquides | Succession de choix | Générale |
Source: Goux (1990), p 679.
Dans la théorie financière, la liquidité a évolué de la proximité monétaire, dans le sens de choix entre les titres et la monnaie, pour devenir la possibilité d'échanger des actifs peu liquides en actifs liquides. Cette évolution implique la négociabilité des actifs et pose le problème du temps nécessaire à la transformation d'un actif en fonds disponibles (monnaie ou liquidités).
A titre d'exemple, Lippman & Mc Call (1986) définissent la liquidité en terme de temps nécessaire pour échanger un actif en monnaie 22 . Ce délai résulte de la recherche de la meilleure réponse à son offre. Il dépend donc de la négociabilité de l'actif à liquider, des coûts de transfert de droits de propriété et de la recherche du meilleur prix compatible avec l'offre d'un vendeur.
Sur les marchés de valeurs mobilières, cette définition de la liquidité souligne la notion de l'immédiateté 23 des échanges qui est à l'origine de la théorie du market making. De plus, elle met l'accent sur le coût de transaction.
Dans ce cas de figure, l'analyse de Keynes a essentiellement porté sur la détention des obligations qui rapportent une rémunération à long terme. D'ailleurs, cette restriction sera ultérieurement critiquée par les monétaristes.
Le taux d'intérêt chez Keynes est purement monétaire. Il récompense la renonciation à la liquidité. Il est le taux qui permet d'équilibrer l'offre et la demande de monnaie. De plus, l'offre de monnaie est une variable exogène et fixe.
Notons à ce niveau l'introduction de la notion de frais de transformation dans l'explication de la demande de liquidité. Chez Tobin, ces frais concernent la transformation des placements financiers en liquidité. Etendus aux marchés de titres, ils conduisent à la notion d'immédiateté des échanges.
"The purpose of this paper is to present a precise definition of liquidity in terms of its most important characteristic, the time until an asset is exchanged for money", Lippman & Mc Call (1986), p43.
La notion d'immédiateté des échanges doit ses origines à Tobin (1958) qui la considère comme une mesure appropriée du risque dans son modèle de choix de portefeuille.