Les coûts de transaction résultent des transferts de droits de propriété. Sur les marchés des valeurs mobilières, ils représentent l’ensemble des coûts relatifs à l'utilisation du marché pour échanger des titres. Ils sont constitués de trois catégories de charges: des coûts fixes, la fourchette des prix et l'impact du marché 24 .
Les coûts de transaction peuvent être étendus pour incorporer toutes les charges relatives au traitement des ordres dès leur réception jusqu'à la livraison des titres. Il convient donc d’y inclure tous les coûts résultant de la gestion back-office des ordres en termes de frais de personnel, de locaux, de matériels et de logiciels utilisés.
Sur un autre plan de l’analyse, toute différence d’information entre les divers intervenants au marché profitant à une catégorie d’investisseurs au détriment des autres peut être considérée comme un coût d’opportunité que l’investisseur rationnel devrait prendre en compte.
Mais, en quoi les coûts de transaction affectent-ils la liquidité du marché ?
Tous les ordres qui arrivent sur un marché boursier devraient théoriquement s’exécuter instantanément si le marché était parfaitement liquide. Cependant, il existe toujours une désynchronisation ou une disparité spatiale entre l’arrivée des acheteurs et celle des vendeurs. Ces disparités engendrent une recherche de la meilleure contrepartie à un ordre et un temps d'attente pour son exécution.
La recherche de la meilleure contrepartie à un ordre peut se faire individuellement grâce à des systèmes électroniques de négociation ou par le recours à un broker pour profiter de son carnet d'ordres ou par l'utilisation des services d'un faiseur de marché. Chacune de ces méthodes engendre des coûts que l'investisseur rationnel incorpore dans sa décision de révision de portefeuille.
De plus, durant cet intervalle d'attente, l'émetteur d'un ordre fait face à une incertitude quant au prix futur de la transaction comme il peut rater une occasion de traiter sur un autre marché si le titre est négociable sur plusieurs marchés.
Le temps d’attente encouru représente un coût supplémentaire à l’ensemble des charges détaillées ci-dessus. L'ensemble des coûts subordonnés à la réalisation d'une transaction pousse l'investisseur à juger de l'opportunité de traiter et parfois de renoncer à sa décision. En effet, les coûts de transaction accroissent le coût total d'investissement en cas d'achat et diminuent la plus value escomptée en cas de vente. Le prix de transaction, compte tenu du coût de transaction ne doit pas dépasser la limite de prix de réserve de l'investisseur.
Le prix de réserve pour un vendeur est le prix en dessous duquel l'investisseur renonce à vendre. Pour un acheteur, le prix de réserve est le prix en dessus duquel l'investisseur renonce à acheter. Il en résulte donc que l'ampleur des coûts de transaction peut raréfier les échanges et diminuer la liquidité sur un marché organisé.
Dans ce sens, Benston & Smith (1976) expliquent les effets indésirables des coûts de transaction sur la formation et la diversification des portefeuilles. Ils soutiennent alors que l'existence des coûts de transaction diminue la demande des produits financiers et limite l'investissement en titres à des placements non risqués.
Selon Schwartz (1993), les coûts de transaction influencent le comportement des investisseurs de deux manières. D'une part, ils réduisent les rendements espérés des investisseurs. D'autre part, ils les empêchent de réviser fréquemment leurs portefeuilles. Cette situation rend les investisseurs anxieux et impatients ce qui les amène à placer leurs ordres stratégiquement. Ils vont donc recourir aux "ordres au mieux" pour exprimer leur impatience:
‘"Trading costs reduce returns for investors. They also cause investors to adjust their portfolios less frequently and, accordingly, to hold portfolios that would not be optimal in frictionless environment. Pent-up demand increases the eagerness with which investors seek to transact when they eventually come to the market. The more eager the trader, the more likely he or she is to place a market order (demand of immediacy) rather than a limit order (supply of liquidity)." Chapitre 7, p 124.’En résumé, les coûts de transaction affectent les stratégies d’échanges sur les marchés de titres. D’une part, ils réduisent les rendements espérés et empêchent les investisseurs de réviser fréquemment leurs détentions. D’autre part, ils accroissent l’impatience des investisseurs craignant une variation substantielle des prix avant la conclusion d’une transaction.
Il est donc évident que les coûts de transaction fragmentent les marchés, ralentissent les échanges et plus ils sont importants, plus le marché est illiquide. Cette illiquidité résulte de la diminution du nombre d'intervenants sur le marché, de l'amaigrissement des flux d'ordres, du rallongement du temps d'attente et de l'éloignement des prix de transaction des valeurs réelles des titres.
Il devient ainsi légitime de penser que les coûts de transaction sur un marché boursier sont une approximation empirique de l’image inverse de la liquidité, "l’illiquidité".
Plusieurs travaux ont essayé de les quantifier. Cependant, il convient de considérer l’essai de Demsetz (1968) comme étant le point de départ d’un véritable débat sur la question.
Demsetz tenta de modéliser le coût de transaction sur le NYSE. Ainsi, conformément à la structure du marché étudié et au regard des difficultés de quantification, il décomposa le coût de transaction en deux natures différentes: les commissions de courtage (brokerage fees) et la fourchette des prix (bid-ask spread):
‘“Transaction cost is defined narrowly in this paper as the cost of using the NYSE to accomplish a quick exchange of stock for money…Given that titles to assets exist, given that decisions to exchange these titles have been made, and given that brokers or sales representatives have been informed of these decisions, what are the costs to buyers and sellers of using the NYSE to contract with each other? On the NYSE two elements comprise almost all of transaction cost, brokerage fees and ask-bid spread”. Demstez (1968), p 35.’L’auteur définit le coût de transaction comme étant le coût relatif à l’utilisation d’un marché pour transformer rapidement un titre en fonds disponibles. Ceci revient à dire que le coût de transaction est le coût d’un service de liquidité. Cette définition du coût de transaction a eu des conséquences fondamentales sur la recherche en matière de liquidité du marché. Dans l’étude de Demstez, le coût de transaction incorpore deux composantes:
Les commissions de courtage 25 étaient fixes au moment de l’élaboration de cet article. La fourchette des prix a constitué alors la composante la plus importante du coût de transaction. Elle a suscité l'intérêt des économistes qui cherchaient à l'expliquer par des variables telles que le rendement, la capitalisation du titre, le niveau de la concurrence 26 …
Par ailleurs, la production de la liquidité dans le contexte particulier du NYSE est intimement liée à la présence du spécialiste. Ce dernier avait pour obligation principale d’assurer la continuité des échanges en se substituant à l’investisseur momentanément absent. Il assurait ainsi l’immédiateté des échanges en achetant moins cher que le prix d’équilibre et en vendant plus cher.
La liquidité du marché était ainsi devenue synonyme d’instantanéité des échanges, produite grâce à la présence permanente d’une classe de professionnels, les market makers. La fourchette des prix représentait alors la rémunération facturée à un intervenant ordinaire pour ce service de liquidité.
Cette approche a longtemps prévalu dans les travaux sur la liquidité du marché. Une grande partie de la littérature conséquente a été consacrée à l’explication et à la quantification de la fourchette des prix du market maker 27 .
Néanmoins, Demstez attribuait au market maker un rôle passif dans la formation des prix. En effet, ce dernier cote ses prix purement et simplement à la lumière de l'état de l'offre et de la demande sur le marché. Ainsi, il assure une demande permanente en achetant moins cher (bid price ou prix offert) et une offre permanente en vendant plus cher (ask price ou prix demandé).
La différence entre le prix offert et le prix demandé constitue sa rémunération pour le service d'immédiateté des échanges garantie grâce à sa présence permanente sur le marché. Un investisseur impatient peut donc raccourcir son temps d'attente en ayant recours aux services du market maker en contrepartie d'une concession sur le prix égale à la différence entre le prix du marché et le prix de market maker. Cette différence représente donc le prix de l'immédiateté des échanges.
En revanche, les travaux ultérieurs qui s'insèrent dans la théorie de la position 28 de la fourchette renoncent à la neutralité du market maker. Ce dernier participe activement à la formation des prix à travers des ajustements de sa position dans une optique de diversification du risque et d'optimisation de son portefeuille. Les prix cotés du market makers ne reflètent plus uniquement un prix de l'immédiateté mais incorporent en plus un coût d'ajustement stratégique.
La fourchette n'est plus tout simplement une rémunération de l'immédiateté mais elle est aussi un outil stratégique de diversification de portefeuille. En plus de la composante relative à la marge réelle du market maker en guise de service de liquidité, elle incorpore une composante d'aversion au risque. Ce risque est expliqué par les adeptes de la théorie de la position par un besoin de diversification.
Le market maker intériorise à travers son service de liquidité un risque indésirable pour le reste des intervenants. En vue de se couvrir contre ce risque, il agit sur la fourchette. La théorie de l'information explique ce besoin de couverture par la sélection adverse et l'aléa moral.
Les composantes du coût de transaction sont reprises en détail dans le paragraphe suivant.
Les frais de courtage négociables ont été institués le 1er mai 1975 après de longues discussions académiques et institutionnelles.
Demsetz (1968), Tinic (1972), Tinic & West (1972), Stoll (1978)…
Nous aborderons cette littérature d’une manière plus détaillée dans le chapitre suivant dont une partie porte particulièrement sur la théorie du market making.
Tinic (1972), Amihud & Mendelosn (1980), Ho & Stoll (1983)…