II.2.1 Mode de cotation

Sur les marchés intermittents, la consolidation temporelle des ordres permet de renforcer les possibilités d’échange. Ce mode de cotation est approprié pour des valeurs étroites faisant l’objet de transactions peu fréquentes et pour des volumes peu importants. Cela explique son utilisation fréquente dans les bourses en développement.

Cependant, les marchés intermittents imposent aux investisseurs des coûts d’attente plus élevés puisque les cotations ne se font que périodiquement. Les investisseurs encourent alors un risque de non-exécution de leurs ordres. De plus, ils sont confrontés à une incertitude quant au prix futur des transactions. Cette situation conduit à penser qu’une augmentation de la fréquence du fixing pourrait limiter le temps d’attente et assurer une meilleure exécution des ordres.

Par ailleurs, les prix établis sur les marchés intermittents peuvent susciter des critiques relatives à leur fiabilité. En effet, ces prix résultent d'une seule occasion de confrontation de l'offre à la demande. L'efficience est alors ponctuelle et les prix ne reflètent pas instantanément les nouvelles informations.

Cette situation peut engendrer l'exagération de l'effet informationnel des événements survenus entre deux fixings. De plus les participants ordinaires, dépourvus de moyens pertinents pour collecter des informations précises, vont agir d'une manière stratégique. Leur action induit alors une variation des prix qui est injustifiable par le changement des fondamentaux. Les avis sont partagés à cet égard.

En effet, Smidt (1979) montre à travers une étude des prix de transaction sur le NYSE que les variations des prix associées aux échanges intermittents sont plus importantes que les variations des prix résultant des négociations en continu ou des négociations de blocs.

En revanche, Admati and Pfleiderer (1988) montrent que la concentration des échanges favorise l'étroitesse de la fourchette donc le prix de transaction est moins élevé et les chances de conclure sont meilleures.

Schwartz (1993) 50 associe à la consolidation temporelle des flux d'ordres un avantage relatif au coût de transaction. En plus de l'immédiateté, elle permet de réduire les coûts de transaction à travers la réduction des coûts opérationnels et de l'impact du marché.

C'est l'unicité de prix de transaction obtenu grâce à la consolidation temporelle des flux d'ordres qui permet de réduire les coûts d'exécution. En effet, le prix d'échange est repéré rapidement au moment de fixing alors que sa recherche sur les marchés continus peut durer le long d'une séance entière. De plus, sur les marchés intermittents, les échanges sont réalisés simultanément au même prix et au même coût indépendamment de la taille des ordres. En revanche, la cotation en continu fait que les ordres sont exécutés séparément à des seuils de coût différenciés qui peuvent évoluer positivement en fonction de leurs tailles.

Ensuite, la consolidation temporelle des ordres permet d'atténuer l'impact du marché causé par l'échange d'un ordre de grande taille. Dans ce sens, l'effet de la taille d'un ordre devient insignifiant quand il est échangé en même temps que de nombreux autres ordres (loi des grands nombres).

Par ailleurs, le fait de disposer d'un moment d'échange fixe dans le temps et connu préalablement permet à un investisseur, désirant passer un ordre de grande taille, d'éviter la recherche de la meilleure contrepartie et le dévoilement de ses intentions. Le marché est ainsi protégé contre les réactions adverses et les fluctuations des prix. Ceci revient aussi à prôner le rôle des marchés intermittents dans la conservation de l'anonymat des intervenants et dans la protection des investisseurs motivés par un besoin de liquidité contre une situation d'exploitation par des investisseurs mieux informés qu'eux.

Néanmoins, les marchés intermittents présentent des limites relatives à l'accessibilité, à la dissémination de l'information et à l'incertitude sur le prix de transaction.

Les marchés de fixing sont moins accessibles que les marchés continus. Les échanges sont réalisés périodiquement sur les marchés intermittents alors que l'accès au marché continu est possible tout au long des séances d'ouverture. Cette accessibilité limitée pénalise les investisseurs qui ne peuvent pas mettre en œuvre rapidement leurs décisions de révision de portefeuilles.

De plus, sur les marchés intermittents les investisseurs ne sont pas forcément présents d'une manière permanente. Ils encourent ainsi un manque d'information sur la pertinence des prix. Il est leur est surtout difficile de dissocier l'effet de l'information de la variation des fondamentaux.

Sur les marchés continus, qui sont souvent aussi des marchés de contrepartie, l’arrivée continue des ordres et la présence permanente des faiseurs de marché garantissent théoriquement l’instantanéité des échanges et la profondeur du marché.

Néanmoins, cette liquidité est coûteuse puisque les investisseurs supportent en plus des coûts de transaction directs, la fourchette des prix du teneur de marché.

Dans ce sens, Allais (1987) critique fortement la cotation en continu en lui associant une augmentation de la volatilité des cours et une instabilité des prix. Il avance également que les marchés continus perturbent l’évolution de l’économie réelle en engendrant une augmentation (ou la non-réduction) des coûts de transaction sur les marchés financiers. Il prône alors les marchés intermittents en se basant sur la loi des grands nombres. La présence en même temps d’un nombre croissant d’investisseurs permet de compenser leurs aléas individuels.

Poncet (1993) répond à cette critique en mettant en cause la difficulté d'établir un lien de causalité évident entre la cotation en continu et la volatilité des cours. L’auteur soutient que, même si cette concomitance est vérifiée empiriquement, elle s’avère insuffisante pour déduire une causalité stricte. La volatilité des cours est affectée par plusieurs variables en dehors du mode de cotation. Il est surtout difficile de dissocier l’effet informationnel de l’impact du mode de cotation. De plus, il soutient la cotation en continu pour trois raisons.

D’abord, sur les marchés continus l’information est produite et disséminée en permanence. En plus, il est facile d’entrer et de sortir rapidement. La participation active des investisseurs accroît l’efficience du marché. Ensuite, la cotation en continu permet aux investisseurs de se couvrir à temps contre les risques résultant de l’arrivée de nouvelles informations.

Enfin, les marchés continus offrent aux investisseurs institutionnels la possibilité de rentabiliser l'effort consenti à la recherche d’informations. Ces investisseurs sont mieux disposés à s’engager dans la collecte de l’information s’ils arrivent à en tirer profit sur des transactions de grande taille. Ce type de transaction requiert l'intervention des contrepartistes souvent présents sur les marchés continus.

Le débat sur les effets de la cotation en continu a été récemment relancé avec les efforts des bourses émergentes pour moderniser leurs systèmes de cotation. Un bon nombre d'entre elles a opté pour des systèmes électroniques de cotation en continu.

Les exemples sont nombreux, mais on peut citer le cas de la bourse de Tel-Aviv qui a suscité l'intérêt de Amihud, Mendeloson & Lauterbach (1997). Les auteurs étudient l'effet de l'introduction de la cotation en continu sur la liquidité des titres cotés. Ils concluent que la cotation en continu a amélioré la liquidité du marché en induisant:

  • Une hausse permanente des cours boursiers de l'ordre de 5%;
  • Une amélioration considérable du volume de transaction accompagnée d'une réduction de la volatilité des cours.

Ces conclusions ont été confirmées par les résultats de Lauterbach (2001) en s'intéressant à l'étude la liquidité des titres qui changent de classe de cotation 51 . La perspective importante de cette étude est de vérifier si la cotation en continu convient à certaines valeurs et non à d'autres.

L'auteur aboutit aux conclusions suivantes:

  • L'effet bénéfique de la cotation en continu sur la liquidité des titres est confirmé. En effet, les valeurs transférées de la classe C à la classe V ont vu leurs cours s'accroître et leurs volumes d'échanges se renforcer;
  • Inversement, les valeurs retirées de la cotation en continu ont été pénalisées. Leurs cours ont chuté et les volumes d'échanges ont régressé;
  • Néanmoins, la radiation de certaines valeurs de la cotation en continu a été bénéfique pour leur liquidité qui s'est améliorée avec la cotation au fixing. L'auteur relie cette situation à l'étroitesse des valeurs en question. Il s'agit en effet d'un ensemble de 10 titres qui ont été radiés dans les trois mois qui ont suivi leur admission à la cotation en continu à cause de leur capitalisation limitée et de leurs cotations peu fréquentes.

Il en résulte donc que la cotation en continu peut ne pas convenir aux valeurs étroites. Le fixing est fortement recommandé dans ce cas.

L'article de Kairys, Krusa & Kumpins (2000) apporte plus de détails sur la pertinence de la cotation en continu. Les auteurs étudient les effets de la cotation électronique en continu adoptée par la bourse de Riga. Ils aboutissent aux conclusions suivantes:

  • Le passage à la cotation en continu a été positif pour les valeurs qui bénéficiaient déjà d'une bonne liquidité. Il leur a permis de renforcer cette liquidité en doublant leurs volumes de transactions;
  • En revanche, la cotation en continu a pénalisé les valeurs qui étaient déjà peu liquides. Celles-ci ont perdu 25% de leur volume de transactions.

Les auteurs justifient cette situation par deux raisons principales:

  • D'une part, le transfert des valeurs a été opéré en deux fois au lieu de procéder par étapes comme c'était le cas sur la bourse de Tel-Aviv. Cette situation a sanctionné d'emblée les petites valeurs qui étaient déjà peu fréquemment cotées.
  • D'autre part, les détenteurs des grandes valeurs ont anticipé les effets bénéfiques du passage à la cotation en continu. Les volumes des échanges ont été alors immédiatement amplifiés.

La concentration des échanges sur un nombre limité de valeurs actives est une caractéristique des marchés émergents. Les auteurs prônent alors l'adoption d'un mode de cotation différencié selon la liquidité des titres. Le fixing est approprié pour les petites valeurs. Ils rejoignent ainsi Easley & Al (1996) et évoquent l'exemple réussi de la Bourse de Paris.

En résumé, les marchés intermittents offrent une meilleure liquidité obtenue grâce à la participation concentrée et simultanée des acheteurs et des vendeurs. La liquidité est produite par la rencontre des ordres au mieux et des ordres limités provenant du public sans recours aux market makers. Cela est de nature à réduire les coûts de transaction ce qui rend la cotation au fixing approprié aux marchés étroits. Néanmoins, l'instantanéité des échanges et la formation des prix sont limitées au moment du fixing. Les prix sont alors irréguliers et inefficients.

En revanche, les marchés continus assurent l’accélération des échanges grâce à l’arrivée permanente des ordres et à la circulation de l’information qui est rapidement disséminée et incorporée dans les prix. La cotation en continu améliore donc la liquidité des marchés et étend cette liquidité dans le temps. Cependant, ces avantages sont surtout bénéfiques pour les valeurs de grande taille et assez diffusées.

Notes
50.

Chapitre 7, "Issues in Market Operations", pp. 123-135.

51.

Suite à la limitation du nombre de titres admis à la cotation en continu restreint à 100 valeurs, certains titres ont été transférés du système V au système C. La classe V repose sur une cotation en continu assortie d'un fixing à l'ouverture. La négociation des titres de la classe C repose sur une cotation quotidienne au fixing. De plus, les autorités du marché procèdent tous les trois mois à une mise à jour des titres cotés en continu en éliminant les moins liquides et en les remplaçant par les valeurs actives provenant de la classe C.