La théorie du market making est née principalement des réflexions menées quant à l'unification des marchés boursiers américains. Il existait en effet avant 1977 plusieurs marchés fragmentés qui constituaient, malgré les possibilités d'arbitrage, un désavantage certain pour l'ensemble des clients. De plus, il prévalait dans le temps une règle qui interdisait aux spécialistes du NYSE la possibilité de traiter en dehors du marché 55 . Cette règle constituait une entrave sérieuse pour la mise en place d'un système concurrentiel nécessaire à la réduction des coûts de transaction et le développement des marchés.
Un volet principal était alors à l'origine de la théorie du market making 56 : il concernait le rôle du spécialiste. Le spécialiste du NYSE devait répondre à trois obligations principales: assurer la continuité des échanges, animer les marchés des titres et maintenir des marchés ordonnés. Pour cela, il pouvait agir en tant que broker ou en tant que dealer.
Conroy & Winkler (1981) fournissent une description détaillée de cette dualité d'action. Ils précisent que le spécialiste peut être selon les circonstances un broker et agir en tant qu'agent ou un faiseur de marché et opérer en tant que principal:
En négligeant le premier aspect de l'activité du spécialiste, toute l'attention des chercheurs s'est orientée vers son rôle de faiseur de marché.
Les travaux pionniers du market making (Demsetz, Tinic, Tinic & West…) se focalisent sur le rôle du spécialiste dans la production de liquidité au sens de l'instantanéité des échanges. Le spread est vu comme étant la rémunération payée au market maker pour ce service de liquidité.
La théorie de l'instantanéité des échanges définit le rôle du market maker comme un tampon entre l'offre des vendeurs et la demande des acheteurs. En effet, le croisement de l'offre et de la demande de marché, qui ne peut pas se réaliser naturellement pour des raisons diverses (disparité spatiale, disparité temporelle, dispersion des prix…), est assuré par le market maker grâce à la détention d'un stock de titres.
D'une part, les intervenants peuvent arriver à des moments différents (désynchronisation temporelle). Leur rencontre ne se fait pas immédiatement et l'un des deux doit atteindre l'arrivée de l'autre, en supportant alors un coût d'attente.
D'autre part, entre l'arrivée d'un acheteur et celle d'un vendeur, le prix du titre peut changer. En effet, l'arrivée aléatoire et fragmentée des flux d'ordres éloignent le prix de transaction du prix d'équilibre du titre. Les prix de transaction étant des prix de compensation de marché qui résultent de la confrontation d'une demande et d'une offre partielles, émanant de sous-ensembles d'agents. Ainsi, en plus d'un risque de délai relatif à l'attente entre le moment de transmettre un ordre et le moment de son exécution, il existe aussi un risque de dispersion de prix (Garbade & Silber (1979)).
Cette situation s'effacerait si des intervenants se montraient moins impatients et acceptaient d'attendre l'arrivée d'autres intervenants, moyennant un avantage sur le prix. Cette catégorie d'investisseurs est composée de participants ordinaires 57 et des market makers.
Le market maker assure une présence permanente sur le marché en détenant un stock de titres. Ce service n'est pas gratuit dans la mesure où il propose d'acheter légèrement moins cher que le prix du marché et de vendre légèrement plus cher que ce même prix. La différence entre les deux prix constitue la fourchette des prix.
La disparité temporelle des intervenants et la divergence entre les prix d'équilibre et les prix du marché constituent alors les éléments théoriques du market making dans la théorie du service de liquidité. Les market makers sont des fournisseurs d'un service d'immédiateté moyennant une rémunération qui est la fourchette cotée.
Les disciples de la théorie de service de liquidité décrivent la formation du spread par une situation conventionnelle pour laquelle le marché est alimenté par deux sources d'offre et de demande.
La première source alimente le marché avec un flux d'ordres de demande D et un flux d'ordres d'offre S provenant de la part d'investisseurs ordinaires. D est décroissante par rapport au prix et S est croissante. Le point d'équilibre Pe est déterminé par l'intersection de D et S. Au prix Pe correspond la quantité Qe qui est la quantité de titres échangés à l'équilibre. A ce prix d'équilibre, toutes les demandes et les offres devraient être satisfaites et les flux d'ordres devraient être neutralisés (équilibre walrasien). Or cet état d'équilibre est irréaliste.
La deuxième source de flux d'ordres concerne la demande cumulative des market makers D' et leur offre permanente S'. De même que l'offre et la demande du marché, S' est croissante par rapport au prix du marché et D' est décroissante.
La coexistence de ces deux sources de flux d'ordres donne lieu à deux prix d'équilibre au lieu d'un seul:
La différence entre les deux prix constitue le bid-ask spread (marge acheteur-vendeur) qui est la rémunération du market maker pour son service de liquidité.
Cette marge s'explique par le risque relatif à la gestion d'un stock de titres. En effet, le market maker encourt un risque de variation de prix dans le cas d'une prise de position. Le temps de trouver une opération dans le sens contraire de la transaction initiale, le prix peut se déplacer à cause de la nouvelle configuration de l'offre et de la demande sur le marché. De plus, le market maker supporte un risque sur la quantité à échanger. Rien ne garantit qu'il arrivera à retransmettre au marché la même quantité de titres que celle pour laquelle il s'est engagé.
La fourchette sert donc à se couvrir contre les risques encourus (risque de mouvements des prix et risque de volumes échangés) en plus des coûts de fonctionnement.
Le market maker dans le modèle de Demsetz est en position monopolistique. Néanmoins, il n'est pas la seule source de l'immédiateté des échanges. Les ordres à cours limité, centralisés sur son carnet d'ordres, garantissent partiellement des échanges immédiats. La concurrence et l'obligation réglementaire de tenir un marché ordonné incitent le market maker à restreindre son spread. Ainsi, le spread devient juste égal à l'ensemble des coûts nécessaires à la réalisation d'une transaction immédiate.
Demsetz explique principalement la fourchette par la fréquence temporelle des transactions mesurée par le nombre des opérations réalisées par jour. Elle est négativement corrélée avec le spread. Plus les transactions par unité de temps sont importantes, moins le spread est élevé. L'existence des market makers a été ainsi justifiée par les économies d'échelles dégagées sur les coûts d'attente.
Source: Demsetz (1968), p 36.
P: Le prix du titre;
Pa: Le ask price ou prix demandé;
Pb: Le bid price ou prix offert;
Pe: Le prix d'équilibre;
Q: Les quantités négociées;
Qe: La quantité des titres échangée à l'équilibre;
Q': La quantité échangée avec le market maker (quantité totale des ventes et des achats).
En revanche, Demsetz a évoqué un certains nombres de points dont l'analyse ultérieure a permis l'enrichissement de la théorie du market making. Il s'agit des aspects suivants:
Tinic inspiré par le travail de Demsetz s'intéresse particulièrement à l'analyse des coûts supportés par le market maker. Il différencie deux catégories de coûts: des coûts de positionnement et des coûts structurels.
Trois facteurs affectent les coûts de positionnement: le prix du titre, la quantité moyenne par unité de temps et le temps de détention du titre. Les coûts structurels sont associés à la structure organisationnelle du spécialiste affectée principalement par son seuil de capitalisation, sa capacité d'emprunt et la nature de son portefeuille. Dans son travail la fourchette a été expliquée par le coût de la production, le volume de transaction et le niveau de la concurrence.
Le mérite du travail de Tinic est d'avoir souligné avec précision la notion de prise de risque évoquée par Demstez. En effet, l'auteur explique que la production de la liquidité implique la capacité du market maker à assumer le risque de sa position en terme de capitalisation et d'aversion au risque.
Le market making tel qu'il vient d'être exposé a pour objectif principal de garantir un caractère immédiat des échanges grâce à une présence permanente sur le marché. La détention d'un stock de titres sert de tampon entre l'offre et la demande en cas de déséquilibre du marché. Le prix de ce service étant le spread qui sert de couverture contre les risques de position.
Il s'agit de l'ancienne règle 390 du règlement général de la Security Exchange Commission.
En réalité, le débat mené lors des réflexions sur le projet de création du National Market System est plus large que les travaux qui ont porté sur le rôle du spécialiste et la formation de sa fourchette. En effet, il a fallu d'abord juger de l'opportunité de libéraliser les commissions de courtage. Ensuite, la question de la concurrence a suscité de fortes interrogations sur la position du spécialiste et son action au sein du marché. Ces interrogations ont conduit donc à s'intéresser profondément aux tâches assurées par cet intermédiaire, à la manière dont il les accomplit, à l'explication de ses prix et à sa position sur le marché. Pour plus de détails sur le déroulement des premières réflexions théoriques, il est recommandé au lecteur de consulter le mémoire de DEA de Férédirc Atlan (1987) ou l'article de Cohen, Maier, Schwartz & Whitcomb (1979).
Les investisseurs ordinaires fournissent de la liquidité quand ils émettent des ordres à cours limités.