I.2.1 La théorie de la position

Les modèles de la position résultent des études qui remettent en question la neutralité du market maker quant au processus de formation des prix. Ils enlèvent au faiseur de marché le rôle passif de fournisseur de "services de négociabilité" que lui attribue Demsetz et l'intègrent dans une approche dynamique de formation des prix, en tant qu'agent rationnel soucieux de rentabiliser son portefeuille titres.

Dans l'application de son rôle de fournisseur de liquidité, le market maker est appelé à prendre des positions et à détenir des titres. Cette situation peut engendrer deux types d'incompatibilités avec ses attentes:

  • D'une part, le faiseur de marché peut incorporer dans son portefeuille un risque non désiré par le reste des participants.
  • D'autre part, la situation finale de son portefeuille, après avoir agi en réponse à la demande de liquidité, peut diverger du seuil optimal désiré. En d'autres termes, le faiseur de marché peut se trouver trop long et contraint à endurer des frais de stockage ou trop court en manquant des opportunités de vente.

Le réajustement de sa position se fait alors par la tarification d’une fourchette permettant d'optimiser cette position. Cette fourchette est justifiée par deux types de coûts: des coûts relatifs au risques de détention des titres et des coûts d’opportunité relatifs à une situation non optimale du portefeuille.

Deux idées interrogations ont dominé la théorie de la position:

  • Comment justifier la non neutralité de la fourchette?
  • Faut-il ou non que le market maker agisse en monopole naturel?

En réponse à la première question, Smidt (1971) essaie de montrer l'impact de la fourchette du market maker sur les prix. Il montre que celle-ci évolue en fonction de l'évolution de la position. Le market maker participe à la formation des prix parce que sa fourchette n'est plus une variable neutre: les prix du market maker peuvent diverger de la valeur réelle du titre et incorporer des composantes relatives à une stratégie de portefeuille. La fourchette est un moyen d'ajustement entre le niveau réel du portefeuille et le niveau optimal désiré. Quand il est court, le market maker affiche une fourchette étroite et inversement.

Dans la même optique, Garman (1976) a modélisé la relation entre les prix affichés par les market makers et le niveau de leurs portefeuilles. Il démontre que les market makers n'ajustent pas leurs fourchettes en réponse aux fluctuations des flux d'ordres sur le marché comme le prédisait Demstez. Ils agissent plutôt sur leurs prix en fonction de leurs positions dans une perspective d'optimisation.

Si le market maker se trouve en position longue, il cherchera donc à la raccourcir en vendant en affichant des prix favorables à la vente. Inversement, s'il est en position courte, il aura tendance à afficher des prix favorables à l'achat.

Garman (1976) souligne l'importance du niveau de capitalisation du market maker déjà évoqué par Tinic (1972). Le niveau de capitalisation peut aider à réduire les fluctuations des prix. En effet, quand il dispose de suffisamment de capitaux pour s'engager, le market maker a tendance à moins recourir à la fourchette pour le réajustement de sa position.

Contrairement à ces études, Mildenstein & Schleef (1983) montrent que la fourchette des prix est indépendante de la position du market maker. Pour cela, ils développent un modèle stochastique incluant un market maker en position monopolistique.

Ils s'intéressent à l'évolution de sa fourchette au regard des variables suivantes: l'arrivée stochastique des ordres du public, les coûts de transaction et les coûts de détention. Les coûts de détention incorporent deux composantes principales: le coût de transaction par titre échangé et le coût de détention par unité de temps. Ils supposent également que la capacité d'intervention du market maker est limitée à un seuil déterminé de titres 62 .

Le market maker révise fréquemment ses prix en fonction de l'arrivée de nouveaux ordres sur le marché.

Ils constatent des niveaux élevés de la fourchette pour le niveau maximum que pour le niveau minimum de l'inventaire. Ils concluent ainsi que les prix du market maker sont indépendants du niveau de son portefeuille. En revanche, La fourchette est positivement corrélée à la taille des ordres et au niveau d'engagement pour chaque type d'ordre. Inversement, elle est négativement corrélée aux coûts de transaction et aux coûts de détention.

Alors que la majorité des modèles de position explique l'ajustement de la position par la cotation d'une fourchette optimale, Stoll (1978) apporte une réponse en terme de prix de réserves.

Il étudie le cas d’un contrepartiste monopoleur dans une situation monopériodique. Il se sert du MEDAF 63 afin d’établir les pertes d’utilité relatives aux différentes positions que la contrepartiste est amené à supporter. Il réussit à dégager une relation positive entre les coût de détention et les caractéristiques du market maker (aversion au risque et dotation initiale). De même, les coûts de détention évoluent positivement avec le volume échangé et le seuil du risque du titre échangé. Finalement, ils dépendent de la position initiale du market maker.

Stoll précise que les prix établis dans son modèle sont en fait des prix de réserve, c’est à dire qu’ils sont fixés de façon à ce que le contrepartiste soit indifférent entre acheter, vendre ou ne rien faire.

Biais (1989) reprend l’analyse de Stoll en adoptant les mêmes hypothèses de base, en l’occurrence l’aversion au risque et la maximisation de la richesse finale du teneur de marché.

Il montre que les prix optimaux diffèrent des prix de réserve. En effet, la fourchette optimale est égale à la fourchette de prix de réserve, à laquelle s’ajoute un surplus de monopole. L’étendue du surplus est une fonction croissante de la position initiale du contrepartiste. Cette condition implique d'une part que le contrepartiste est incité à supporter une position plus longue en vue de dégager un surplus plus important. Une capacité d'engagement plus large signifie donc plus de transactions et un meilleur service de liquidité. D'autre part, le contrepartiste peut s’éloigner de ses prix de réserve, gagner le surplus du monopole et renforcer sa position monopolistique.

Amihud & Mendelson (1980) adhèrent à l'explication de la fourchette du market maker par un souci d'optimisation de sa position. Néanmoins, ils font l'hypothèse que le teneur de marché est neutre au risque. Cependant, sa position doit tout de même rester comprise entre une borne supérieure et une borne inférieure. Ces bornes peuvent être expliquées par l'application de ratios prudentiels étant donné l'hypothèse de la neutralité au risque.

Ceci étant, l'ajustement de la position se fait alors en fonction des bornes autorisées. Lorsque le market maker approche de la borne supérieure, sa position est longue et des opportunités d'achat sont manquées. Inversement, si sa position approche de la borne inférieure, le market maker est court et des opportunités de vente sont ratées. Afin d'éviter cette situation, le market maker s'efforce de maîtriser les variations de sa position. Comme la demande du public (inversement l'offre) croît quand le prix offert diminue (prix demandé augmente) et diminue quand il est élevé, le teneur de marché joue sur la fourchette pour équilibrer sa position.

L'ensemble des modèles précédemment cités analysent la fourchette d'un faiseur de marché sur une seule période de temps. Ils sont donc des modèles monopériodiques.

En revanche, une version plus proche du monde réel des marchés veut que le rôle market maker soit analysé d'une manière plus étalée dans le temps. En effet, la prise d'une position et son dénouement ultérieur peuvent se produire lors de deux périodes différentes. Certains économistes ont alors étendu leur analyse en optant pour une modélisation bipériodique dont l'avantage est de tracer une réalité empirique des échanges sur les marchés.

Deux idées principales caractérisent les divers modèles bipériodiques. La première consiste à dire que le teneur de marché profite de l'arrivée alternée des vendeurs et des acheteurs et que sa position dépend alors de la tendance du marché. La deuxième idée veut que le market maker soit confronté, durant une journée, à un ensemble de mimi ventes aux enchères qui influencent la formation de sa fourchette.

Dans un modèle de négociation continue, le teneur de marché est moins urgent de baisser ou d'élever ses prix. S'il ne vend pas lors d'une période, il peut se rattraper lors de la période suivante 64 . Les portefeuilles du faiseur de marché et les niveaux des prix évoluent durant la journée en fonction du nombre et de l'importance des échanges. A la fin de la journée la position du faiseur du marché résulte de ses engagements durant la séance de cotation et peut différer de ses attentes. Le faiseur du marché supporte donc un coût de stockage des titres en cas d'une position longue indésirable (inversement un coût d'opportunité en cas de position courte). Les prix offerts et demandés qui sont affichés durant la séance de cotation suivante reflètent les mesures d'ajustement de la position: liquider les titres stockés ou acheter des titres. La fourchette des prix doit alors maximiser la couverture des coûts de stockage sur un horizon de jours de conservation indéfini.

Dans ce sens, Ho et Stoll (1983) et Biais (1989) reprennent leurs modèles dans une perspective bipériodique. Ils montrent que les transactions sont sériellement négativement corrélées et que la position du teneur de marché suit une distribution stationnaire. Les seuils des prix optimaux sont alors moins importants que les prix dégagés dans les modèles monopériodiques. L'ajustement de la position se fait d'une manière plus souple dans le cas de négociations continues. La variation de la fourchette est plus stationnaire.

O'Hara & Olfield (1986) développent un modèle de la fourchette qui prend en considération la structure des flux d'ordres auxquels le faiseur de marché est confronté. Ils décomposent ainsi la fourchette en trois éléments: une partie en réponse aux flux d'ordres limités provenant du public, une partie en réponse à des ordres au mieux espérés et une partie concernant l'ajustement du risque face à une incertitude qui pèse sur la position finale du teneur de marché. Ils montrent que les faiseurs de marché averses au risque auront tendance à afficher des fourchettes plus étroites que les faiseurs de marché neutres au risque.

En résumé, la fourchette des prix sous la théorie de position est justifiée par deux types de coûts: des coûts relatifs au risque découlant de la détention de titres et des coûts d’opportunité relatifs à une situation non optimale du portefeuille. L'aversion au risque, le niveau de capitalisation du market maker et le niveau de la concurrence (les ordres du public ou la présence d'autres market makers) affectent son niveau d'activité et le niveau de sa fourchette.

Notes
62.

Une telle hypothèse devient raisonnable si on suppose que le market maker est contraint au respect de certains ratios prudentielles.

63.

Modèle d’Evaluation des Actifs Financiers ou Capital Asset Pricing Model.

64.

Cette situation demeure vraie tant que le teneur de marché fait abstraction de l'arrivée des informations. En effet, sa réaction diffère quand il prend en considération le risque de la sélection adverse et le niveau de la concurrence.