Dans un monde parfait caractérisé par l'hypothèse de l'information parfaite, il n'existe aucune justification pour l'intermédiation financière 71 . La redistribution des ressources se fait naturellement entre les agents à capacité de financement et les agents à besoin de financement. L'équilibre entre l'offre et la demande se fait grâce à l'obtention d'un prix unique, le taux d'intérêt pur, qui naît de la confrontation des besoins des entreprises et des préférences des investisseurs.
Cette hypothèse a prévalu jusqu'à la publication de l'article de Sharpe (1964) 72 qui a mis l'accent sur la décision d'investissement dans un environnement d'avenir incertain:
‘"L'incertitude est définie comme la caractéristique essentielle des situations où l'agent économique voit les conséquences des décisions qu'il prend dépendre de facteurs exogènes dont les états ne peuvent pas être prédits avec certitude. On se trouve en situation de risque lorsque l'incertitude peut être quantifiée. Le mode habituel de quantification de l'incertitude est l'assignation d'une distribution de probabilité." 73 ’Les risques principaux, qui affectent la décision financière d'un agent à besoin de financement, découlent de l'incertitude des flux de revenus dont il va bénéficier et de la valeur en capital de l'investissement. Du côté du prêteur, le risque concerne la qualité de l'investissement (risque de défaillance), la variation du taux de rémunération de ses placements (risque de taux) et la valeur nominale future de ses apports. Cette dernière composante du risque est principalement expliquée par la préférence pour la liquidité et les placements courts (risque d'échéance).
Face à cette multitude d'incertitudes, les contrats conclus sur les marchés sont incomplets. De plus, l'hypothèse de l'efficience des prix a été remise en question. En effet, si les contrats sont incomplets, les prix ne peuvent refléter toute l'information relative à la qualité des investissements. Le rejet de l'hypothèse des marchés efficients a principalement affecté le développement de la théorie de l'intermédiation financière en soulevant le problème de l'asymétrie d'information.
On distingue deux types de situations d'asymétrie informationnelle: l'asymétrie d'information ex ante(problème de la sélection adverse) et l'asymétrie d'information ex post (problème de l'aléa moral).
L'asymétrie d'information ex ante désigne une situation où l'information sur les caractéristiques des actifs est inégalement répartie entre les intervenants sur le marché. Il peut s'agir d'une information concernant la rentabilité d'un investissement, sa durée de vie… Le problème de l'antisélection ou de la sélection adverse est relatif à l'alignement des décisions à la rentabilité moyenne qui peut pénaliser les bons projets et favoriser les mauvais. En effet, l'asymétrie d'information ex ante conduit alors soit au refus de souscrire au financement soit au choix du mauvais financement 74 .
L'asymétrie d'information ex post caractérise une situation de dissimulation d'informations au prêteur ultime ou d'obtention d'informations partielles (informations imparfaites) 75 . Le risque moral résulte alors dans cette situation de la crainte de manipulation des profits par la personne la plus informée. Le coût de recherche de cette information dissimulée est élevé.
En résumé, les marchés sont imparfaits. Les transactions qui y sont conclues sont entourées d'incertitudes relatives à la valeur et à l'information.
C'est ainsi que les économistes ont attribué la tâche de réduire ces incertitudes aux intermédiaires financiers. Plus précisément, les intermédiaires financiers réduisent les coûts de transaction 76 , recherchent l'information 77 , l'analysent et l'incorporent dans les prix.
Néanmoins, la prédominance des institutions bancaires a conduit à la restriction de la notion d'intermédiation financière. Celle-ci est devenue synonyme de la transformation des avoirs monétaires et de l'octroi du crédit. Cette restriction a été à l'origine des interrogations qui ont entouré la déréglementation du système financier Français à la moitié des années 1980 78 . En effet, le rétrécissement du rôle des banques, suite à la contribution croissante du marché du capital dans le financement économique, a laissé croire à un phénomène de désintermédiation. Un débat enrichissant s'est alors déclenché sur la question.
Campbell & Kracaw (1980).
Sharpe W.F., 1964. Capital Asset Prices: A Theory of Market Equilibrium under Conditions of Risk. Journal of Finance, Vol. N° 19 (3).
Cobbaut (1992), chapitre 3, p 46.
Pour des exemples illustratifs de l'asymétrie d'information, voir Ferrandier & Koen (1997) pp 24 -28.
La situation de l'information imparfaite n'est pas tout à fait une situation d'asymétrie d'information. Dans le premier cas, l'information est incomplète mais partagée par tous les intervenants de la même manière.
Benston & Smith (1976) et Townsend (1979).
Cette tâche est fortement liée à la théorie de signalisation. A titre d'exemple, Leland & Pyle (1977) supposent que le montant des fonds propres investis par l'entrepreneur est un signal permettant de révéler les bons investissements. Diamond (1984) justifie l'intermédiation financière par la délégation du coût de contrôle des financements réalisés. La recherche de l'information sur les investissements est coûteuse. Ainsi, les intermédiaires financiers émergent pour réaliser cette recherche et offrir des économies d'échelle.
En effet, l'économie française était ordinairement classée parmi les économies d'endettement. Néanmoins, le développement des marchés financiers et le succès de l'innovation financière entamée au début des années 1980 ont suscité des interrogations sur la pertinence de maintenir ce classement ou de plaider en faveur d'une transition vers l'économie de marché. (D'après Renversez (1988)).