II.3.2 Les intermédiaires de l'épargne contractuelle

Les intermédiaires de l'épargne contractuelle (fonds de pension, fonds mutuels, et compagnies d'assurance) sont de loin les intermédiaires financiers non bancaires les plus actifs dans la mobilisation de l'épargne à long terme. L'exemple des fonds de pension britanniques offre une illustration empirique de leur rôle bénéfique dans le développement des marchés des capitaux.

Les intermédiaires de l'épargne contractuelle collectent des fonds immobilisés à long terme et investissent une grande partie de leurs ressources sur les marchés des titres négociables en favorisant leur développement et la production de la liquidité. Ils représentent alors en plus des banques et des OPCVM une catégorie d'investisseurs institutionnels puissants.

Vittas (1998) explique le rôle des investisseurs institutionnels dans le développement des marchés financiers. Il avance que les institutionnels exercent une pression sur le marché en exigeant des techniques de négociation modernes et des modalités de traitement efficaces. Cette pression est à l'origine de l'innovation financière et de la modernisation des marchés.

Néanmoins, l'impact des investisseurs institutionnels sur la liquidité du marché dépend de leurs stratégies d'investissement et de l'étendue de leur intervention. En effet, dans certains cas (par exemple au début de leur vie ou en l'absence de produits diversifiés) les investisseurs institutionnels adoptent une politique d'acquisition pour la détention des titres (buy and hold strategy). Leur objectif est de constituer un portefeuille durable et sûr. Dans ce contexte, il est difficile de leur attribuer un rôle bénéfique dans l'amélioration de la liquidité du marché.

Catalan, Impavido & Musalem (2000) analysent le lien entre le développement des intermédiaires de l'épargne contractuelle et le développement des marchés de capitaux. Leur approche est empirique. Elle porte sur un grand nombre des pays de l'OCDE en plus de quelques pays émergents (le Chili, la Malaisie, le Singapour, l'Afrique du Sud et la Thaïlande). Ils réussissent à montrer l'existence d'une corrélation positive et significative entre le niveau de l'épargne contractuelle et la liquidité des marchés des titres (mesurée par le volume des échanges rapporté au PIB).

Leur analyse consiste à dire que les intermédiaires de l'épargne contractuelle affectent le marché de deux manières. D'une part, leur pouvoir de placement à travers l'injection des capitaux collectés améliore le niveau des échanges et hausse le niveau de la liquidité. D'autre part, la détention des produits de l'épargne contractuelle (produits illiquides par nature) conduit les agents économiques à réviser leurs portefeuilles. Ils chercheront à compenser l'illiquidité de l'épargne contractuelle par la détention de liquidités:

‘Catalan & Al. (2000) " Thus if large deposits are made in contractual savings, this will change the actual portfolios composition of both households and corporations between liquid and illiquid assets to a level below their desired ratio. Therefore, to restore equilibrium, households' and corporations' demand for liquidity has to be satisfied with additional holdings of liquid assets. This could be achieved by reshuffling portfolios; for instance, by increasing holdings of deposits in the banking sector, open-end mutual funds and traded securities…Thus households' and corporations' behavior will reinforce financial market development, which is associated with contractual saving growth", p 4.’

Une autre étude récente confirme ces résultats, Impavido & Musalem (2001) montrent que le niveau des portefeuilles titres des compagnies de l'assurance-vie 84 et des fonds de pension est significativement et positivement corrélé avec le niveau de la capitalisation boursière dans 229 pays de l'OCDE. Néanmoins, ils n'ont pas établi une corrélation positive et directe entre le niveau des volumes échangés et le niveau de l'épargne collectée. En revanche, un lien positif a été établi entre la liquidité du marché (mesurée par le volume de transaction rapporté au PIB en pourcentage) et la part des actions détenues par les intermédiaires.

Le développement de l'épargne contractuelle agit donc sur la demande des titres négociables de la part des petits porteurs et des entreprises. Cet aspect positif est consolidé par le pouvoir de placement des intermédiaires de l'épargne contractuelle. Leur orientation vers les marchés de capitaux participe activement à accroître le niveau de la capitalisation, à activer les échanges, à propulser l'innovation financière et surtout à adapter la réglementation en vue de protéger les petits épargnants. La sécurité est un aspect désirable des marchés qui attire les investisseurs.

Par ailleurs, les intermédiaires de l'épargne contractuelle contribuent à limiter la fragilité du système financier. D'une part, ils disposent d'un pouvoir de placement important et de moyens mobilisés à long terme. Ils arrivent donc à mieux diversifier et optimiser leurs portefeuilles titres. Ils contribuent ainsi à la réduction du risque de concentration et à l'amélioration de la solvabilité des entreprises.

D'autre part, les intermédiaires de l'épargne contractuelle contribuent à la mutualisation des risques bancaires. En plus du marché interbancaire et du préteur du dernier ressort, ils offrent aux banques la possibilité d'accroître la production de la liquidité en minimisant le risque de panique. En effet, dans les économies où cohabitent banques et intermédiaires d'épargne contractuelle, il devient plus facile pour les banques de s'engager à long terme parce que les ressources de l'épargne contractuelle sont mobilisées à long terme. Elles constituent un gisement de fonds pour se couvrir contre les risques.

En s'intéressant aux plans de réformes des fonds de pension dans les pays en voie de développement, Vittas (2000) apporte une vision critique sur le rôle des intermédiaires de l'épargne contractuelle dans le développement des marchés de capitaux. En effet, l'auteur relie ce rôle à la taille des intermédiaires, au degré du développement du système financier, à la stabilité macroéconomique et à la réglementation financière.

Dans ce sens, les intermédiaires de l'épargne contractuelle deviennent effectivement actifs quand ils atteignent un certain degré de maturité et une taille importante pour dégager un grand pouvoir de placement. De plus, l'étendue de leur action est conditionnée par la stabilité économique et par la liberté d'action. En effet, si l'activité des intermédiaires est réglementée et orientée vers le financement des politiques budgétaires (comme c'est le cas dans la majorité des pays en développement), les intermédiaires de l'épargne contractuelle ne sont pas en mesurer d'apporter leur soutien au marché des capitaux. Néanmoins, cette situation n'est pas dramatique. Les marchés de capitaux bénéficient d'autres sources de développement: l'avancement technologique et l'intégration régionale ou mondiale. 85

En résumé, le développement de l'épargne contractuelle accroît la demande des titres négociables. Elle contribue ainsi à la consolidation de la capitalisation boursière et à l'accroissement des volumes de transaction 86 . Ceci s'explique essentiellement par un accroissement direct de la demande institutionnelle des titres à travers la réinvestissement de l'épargne longue. Néanmoins, le rôle des intermédiaires de l'épargne contractuelle requiert des conditions favorables en terme de développement du système financier, d'innovation financière et de taille critique des firmes.

Leur rôle garantit au marché des capitaux une source durable de l'épargne. Ce facteur est déterminent pour la liquidité du marché. En effet, il permet aux autres intermédiaires de bilan d'accomplir efficacement leurs tâches. D'une part, les banques peuvent agir efficacement en bénéficiant d'un soutien solide contre le risque de l'illiquidité. D'autre part, les OPCVM profitent du développement du marché des capitaux induit essentiellement par l'abondance des fonds durables et la multiplication des possibilités de diversification.

Notes
84.

Outre leur rôle dans la collecte de l'épargne, dans le cadre de l'assurance-vie, les compagnies d'assurance sont devenues de véritables intermédiaires financiers grâce à l'émission des instruments assurantiels négociables en bourse. En effet, la fonction de transformation du risque repose sur la gestion des fonds propres de l'assureur et sur la réassurance. Ces méthodes s'avèrent parfois insuffisantes à répondre correctement au besoin de sécurité. C'est pourquoi les compagnies s'orientent de plus en plus vers la titrisation des risques assurantiels.

85.

Vittas (2000): " Pension funds are neither necessary no sufficient for capital market. Other forces, such as advances in technology, and especially regional and global integration, may be equally important. But if they are subject to conductive regulation, adopt optimizing policies, operate en pluralistic sectors, and when they reach a critical mass, pension funds can have a large impact on both capital market development and economic growth.", p 20.

86.

Impavido & Musalem (2001) "The development of contractual savings can have a profound impact, both direct and indirect, on the development of financial markets. On the hand, the direct impact is related to the change in the composition of the supply of funds in the economy: the relative supply of long-term funds increases and this is reflected in an increase in the demand of capital market instruments. Accordingly, the development of contractual savings promote depth and liquidity in capital markets and it improves the financial structure of enterprises and government.", p 4.