II.4 Liquidité et seuils de capitalisation

Les études théoriques 100 mettent en exergue une relation positive entre le seuil de capitalisation d’un titre et son niveau de liquidité. Ces études reposent sur deux idées principales.

D'une part, le cours boursier d'un titre renseigne sur la taille de la firme. Les grandes entreprises sont supposées être plus rentables et attirent les investisseurs.

D'autre part, les fortes capitalisations boursières permettent de dégager des économies d'échelles sur le coût de transaction. En effet le coût de transaction unitaire, par unité monétaire investie, est une fonction décroissante des capitaux investis. De plus, étant donné que les titres chers sont plus échangés, l'incertitude sur la valeur diminue grâce à l'activité du marché du titre. Cette situation demeure vraie même pour les market makers dont la fourchette est moins élevée sur les titres à forte capitalisation boursière.

Les titres dont les cours boursiers élevés (forte capitalisation boursière) attirent les investisseurs et bénéficient de plus d’échanges au détriment des petites valeurs. Les "small caps" passent alors inaperçues derrière les grandes capitalisations et leurs cours demeurent stationnaires, sinon sanctionnés par le marché.

Dans ce qui suit, il est question de vérifier cette proposition théorique dans le cas particulier du marché des actions tunisien.

L’étude de la liquidité des actions en fonction de leurs seuils de capitalisation est réalisée selon deux éléments : les capitaux échangés et la rotation des capitaux. La recherche de cette linéarité entre le seuil de capitalisation et la liquidité d’un titre n’est pas prouvée à travers l’étude individuelle des actions. Il a donc été plus pertinent de regrouper les actions en quatre classes de capitalisation 101  : Faible, Moyenne, Assez forte et Forte.

Ce classement est effectué en préservant le même nombre d’actions par classe. Un nombre inégal d'observations peut amplifier le seuil de capitalisation de la classe. Le seuil de capitalisation par classe est la moyenne des capitalisations boursières des actions appartenant à cette classe.

De même, le niveau des capitaux échangés par classe est la moyenne des capitaux échangés par action. Le taux de rotation affecté à chaque classe est le rapport de la moyenne des capitaux échangés au seuil de capitalisation 102 .

Figure 20 : Le niveau des capitaux traités par classe de capitalisation (milliers de dinars)
Figure 20 : Le niveau des capitaux traités par classe de capitalisation (milliers de dinars)

Conformément aux résultats de cette étude, il existe une relation positive entre le seuil de capitalisation d’une classe et la moyenne des capitaux échangés sur les marchés des actions qui la constituent. Ainsi, les firmes hautement capitalisées profitent de volumes de transactions importants. Inversement, les petites valeurs souffrent de la carence des échanges et concernent donc peu de capitaux boursiers.

Ceci demeure la tendance générale du marché tunisien des actions sur l’ensemble de la période étudiée à l’exception de l’année 1990. En effet, c’est la classe "capitalisation assez forte" qui a relativement profité de plus d'échanges. Cette singularité s’explique par l’appartenance à cette classe de l’action STB qui a accumulé 3,8 millions de dinars contre une moyenne de la classe de 2,5 millions de dinars par action.

Concrètement, cette relation proportionnelle entre le niveau de capitalisation et le volume des capitaux échangés reflète parfaitement l’aspect attrayant dont jouissent les firmes de grande taille. En effet, par la consolidation de leurs cours boursiers, les grandes valeurs attirent les investisseurs et particulièrement les institutionnels. Ainsi, échangées en grandes quantités, ces valeurs bénéficient d’une liquidité meilleure au détriment des petites firmes dont les performances limitées constituent un frein à leur liquidité.

Dans le cas particulier du marché tunisien des actions, cette relation positive, entre le seuil de capitalisation d'une classe et le volume des échanges, peut être attribuée à la typologie des sociétés constituant les classes "forte capitalisation" et "assez forte capitalisation". En effet, dans la majorité des cas observés, les actions les plus capitalisées sont les valeurs du secteur bancaire 103 . Ces sociétés possèdent généralement sous leur tutelle des sociétés de bourse et/ou des sociétés d'investissement. Il leur devient alors plus facile de régulariser leurs marchés grâce à des interventions massives.

Cependant, il convient de relativiser ces conclusions parce que l’étude en terme de vitesse de circulation des capitaux par classe de capitalisation donne lieu à des constatations différentes. En fait, la rotation des capitaux au sein d’une classe semble évoluer en fonction de la conjoncture boursière et non pas en fonction de la taille des valeurs.

Figure 21 : Vitesse de circulation des capitaux par classe de capitalisation
Figure 21 : Vitesse de circulation des capitaux par classe de capitalisation

Concrètement, durant l’année 1990, qui constitue le commencement d’une véritable activité boursière sur le marché tunisien, on constate une meilleure rotation des capitaux boursiers des valeurs appartenant aux classes "faible capitalisation" et "assez forte capitalisation". Cette situation semble refléter un comportement timide de la part des investisseurs qui testent encore le marché.

Ainsi, l’année 1991 a offert aux actions hautement capitalisées une liquidité meilleure. En effet, la vitesse de circulation des capitaux dans cette classe est passée de 2,3% en 1990 à 5,3% en 1991. Les petites valeurs ont également profité, pour la deuxième année, d'un taux de rotation supérieur à ceux réalisés par des valeurs plus capitalisées.

La suite de la guerre du Golfe en 1991 s’est traduite par une année économique moins rentable et le marché boursier a réagi à cette situation. Ainsi, les investisseurs se sont montrés méfiants et la rotation des capitaux a rétréci dans toutes les classes de capitalisation à l'exception des petites valeurs. En particulier, les valeurs de la classe "assez forte capitalisation" ont perdu en moyenne 2% de leur rotation.

L’année 1993 a été caractérisée par une reprise des échanges avec une amélioration généralisée des taux de rotation. L’année 1994 est marquée par une forte rotation des capitaux pour les actions appartenant à la classe "forte capitalisation ". Celles-ci ont bénéficié d’un taux exceptionnel de 13,8% contre 5% seulement en 1993.

L’accélération de l’activité du marché boursier en 1995 a profité à toutes les valeurs indépendamment de leurs seuils de capitalisation. En effet, elles ont toutes affiché un taux de rotation supérieur à 11%. La classe des valeurs moyennes a devancé les autres classes avec un taux de 21,4%. Cette liquidité exceptionnelle est attribuée à l'appartenance à cette classe de l’action BTEI dont le taux de rotation en 1995 était de 63%.

Les données de l’année 1996 justifient amplement l’effet désastreux de la période de récession qui commençait. En plus de la régression des volumes de transactions qui pouvait s’expliquer par la chute des cours, la rotation des capitaux s’est dramatiquement comprimée. Les grandes valeurs ont été particulièrement touchées car leur taux de rotation est passé de 13% à 3,5%.

Cette situation s’est inconsidérément améliorée en 1997 avec l’introduction du système de cotation électronique. Ce sont surtout les firmes de taille moyenne qui en ont tiré profit. Leur taux de rotation est passé de 7,2% en 1996 à 14,2% en 1997.

Les résultats de l’étude de la liquidité du marché des actions en terme de capitaux traités ou de vitesse de circulation des capitaux sont confirmés par l'analyse en terme de titres traités et en terme de rotation des titres 104 .

Figure 22: Le nombre des titres traités par classe de capitalisation (en milliers)
Figure 22: Le nombre des titres traités par classe de capitalisation (en milliers)

En effet, le volume des titres traités présente une relation de proportionnalité par rapport aux seuils de capitalisation de la même manière que les capitaux échangés.

La classe "forte capitalisation" a toujours bénéficié de plus d'échanges en nombre de titres traités à l'exception des années 1990 et 1993, c'est à dire lors du décollage du marché et suite à la récession de 1992. Cette situation s'explique principalement par la méfiance des investisseurs au début de la vie boursière du titre ou après un ralentissement de l'activité. Soulignons à ce niveau que la classe "faible capitalisation" est celle qui n'a pas beaucoup souffert de la récession de 1996-1997. Contrairement aux autres classe de capitalisation, les petites valeurs montrent une meilleure résistance à la crise et à la baisse des cours.

En revanche, la rotation des titres par classe ne suit pas les mouvements de la capitalisation. Les conclusions concernant la rotation des capitaux demeurent également valables pour la rotation des titres. Celle-ci varie selon la conjoncture boursière.

Figure 23: La rotation des titres par classe de capitalisation
Figure 23: La rotation des titres par classe de capitalisation

De la même manière que la vitesse de circulation des capitaux, la rotation des titres se consolide dans les petites classes de capitalisation en période de crise alors que les grandes valeurs sont particulièrement actives en période de prospérité boursière.

Néanmoins, le calcul de la moyenne de la vitesse de circulation des capitaux et de la moyenne de la rotation des titres par classe de capitalisation sur l'ensemble de la période donne lieu à une conclusion importante concernant l'insuffisance de liquidité sur l'ensemble du marché.

Figure 24 : Vitesse de circulation des capitaux et rotation physique des titres sur le marché tunisien des actions (moyenne de la période 1990-1997)
Figure 24 : Vitesse de circulation des capitaux et rotation physique des titres sur le marché tunisien des actions (moyenne de la période 1990-1997)

En effet, la vitesse de circulation des capitaux varie entre 5,8% et 8% autour d'une moyenne de 6,3% pour tout le marché. De son côté, la rotation des titres oscille entre 6,6% et 8,3% autour d'une moyenne du marché de 7,3%. Il en résulte donc que petites capitalisations et hautes capitalisations présentent en moyenne le même comportement en terme de liquidité.

Elles souffrent toutes d'une insuffisance de liquidité. Les échanges en terme de capitaux sont limités à des parts réduites de leurs capitalisations et la rotation physique des titres est restreinte.

Il devient donc légitime d'évoquer une insuffisance structurelle de liquidité sur le marché tunisien. Le marché s'est montré inactif sur l'ensemble de la période à l'exception des années glorieuses. La liquidité exceptionnelle du marché durant les années 1994 et 1995 est attribuée à l'euphorie des petits porteurs attirés à tort par une possibilité fictive de gains faciles. L'absence d'une culture de marché a été l'origine de la multiplication des opérations de spéculation. Les cours été gonflés et le volume des échanges a explosé. En revanche, durant les autres années le marché s'est montré peu liquide.

Notes
100.

Demsetz (1968), Benston & Hagerman (1974), Cooper, Loeb (1983), Groth et Avers (1985), Amihud & Mendelson (1986)…

101.

L'idée de regrouper les valeurs par classe de capitalisation est inspirée des travaux mentionnés ci-dessus. Le traitement des données et la classification des titres selon leur seuil de capitalisation sont exposés dans le document annexe à cette thèse, intitulé "La liquidité de la cote officielle tunisienne: volume des échanges et rotation des capitaux".

102.

L'analyse porte sur les années 1990-1997 par ce que nous ne disposons pas des données relatives aux années suivantes. Il s'agit particulièrement de la capitalisation par action et du nombre des titres admis par action.

103.

Voir annexe pour la composition des classes de capitalisation. Dans la plupart des cas, les valeurs bancaires constituent entre 80% et 100% des éléments de la classe "forte capitalisation".

104.

Voir annexe " Volume des échanges et rotations des titres" à la fin de ce travail.