3) Le grand voyage

A la demande pressante de Gérard l’enjoignant à lui dire où il le mène, Allan répond impérieusement : ‘“’ ‘ nulle part. C’est votre lot. Je vous préviens pourtant que vous tiendrez plus tard cet instant où vous avez cinglé vers le large, comme un navigateur en rut de découverte, pour un moment inspiré et honorable de votre vie ”’ 347. Allan ne propose pas de but, car le voyage vaut par lui-même, en tant qu’il ennoblit la vie dans une exaltation érotisée. Allan est en ce sens l’héritier indirect de Rimbaud ; il veut changer la vie et la transforme effectivement, irrémédiablement, chez lui comme chez ses compagnons d’errance. Comme l’écrit Bernhild Boie, l’aventure ‘“’ ‘ est élan émerveillé vers la pleine liberté’ ”, pour ajouter aussitôt ‘“’ ‘ mais aussi dérive, terrifiante déroute ”’ 348. Gérard en a conscience et note effectivement dans son journal: ‘“’ ‘ Avec lui tout est promis d’avance au naufrage, tout est condamné ”’ 349.

Tout le dilemme de cet élan si insolite vers le grand large obscur est dans ce qu’il occulte et révèle en même temps. Selon Gérard, Allan ‘“’ ‘ décolore tout’ ”, par ses défis lancés au vide, mais il ne peut toutefois se retenir de voir en lui ‘“’ ‘ un seigneur, un prince de la vie ”’ 350. Christel se laisse au contraire envahir et emporter par l’ivresse du désastre au point d’en vivre en rêve l’expérience idéalisée dont elle fait le récit pendant l’excursion de Roscaër : ‘“’ ‘ Il me semblait que l’eau dissolvait de la nuit - qu’elle montait, montait, assiégeait ma chambre, ce balcon où je m’accoudais comme à une passerelle dans un naufrage ”’ 351. Il se retrouve ici quelque chose de la vision panoramique du rêve d’Henri, à cette différence près que la situation n’est plus celle d’une tentation depuis le sommet d’une montagne, dans un paysage statique, éloigné du souffle du large, mais celle d’une traversée océanique virant à la catastrophe. Si l’auteur y joue d’une référence poétique au naufrage du Titanic, l’essentiel est surtout dans l’idée de voyage, de croisière vers l’horizon ouvert du grand large. Celle-ci se mesure et s’apprécie d’autant mieux qu’on prend garde aux points d’ancrage sémantique essentiels de cette phrase

On ne peut en effet manquer de remarquer ici une similitude par anticipation avec deux des oeuvres futures de Julien Gracq. Le “ balcon ” de la chambre de Christel annonce bien sûr Un balcon en forêt. Toute une région de l’univers gracquien se profile effectivement dans la figure du poste d’observation perché au-dessus de l’espace. Certaines modalités particulières du haut lieu propice à la contemplation se remarquaient dès Au château d’Argol. Le belvédère, qu’il soit naturel ou édifié par la main de l’homme est un opérateur de vision. Le château de Roscaër, la montagne rêvée par Henri, relèvent bien évidemment de cette logique. On sait que de tels points privilégiés reparaîtront souvent pour assumer chaque fois de nouvelles fonctions narratives et poétiques, que celles-ci intéressent la vie intérieure, voire le rêve, ou la projection du regard vers un vaste paysage qui s’en trouve spontanément sublimé dans une véritable épiphanie de sa propre essence. Cette transfiguration n’intéresse pas seulement les trois dimensions de la physique classique, mais une structure spatio-temporelle, qu’elle soit porteuse de pressentiments latents, comme dans Au château d’Argol, grosse d’une espérance ambiguë, comme dans Le rivage des Syrtes, ou violemment révélatrice d’un destin individuel et collectif, comme c’est le cas du “ paysage-histoire ” de Moriarmé, vu sous l’aspect d’une carte d’état-major grandeur nature, dans Un balcon en forêt.

Or, la formulation de Christel désigne également d’avance un passage du Rivage des Syrtes. L’image du naufrage se retrouve en effet dans l’apparition du Tängri, qui synthétise la figure de la montagne et celle du vaisseau coulant à pic : ‘“’ ‘ Devant nous, pareil au paquebot illuminé qui mâte son arrière à la verticale avant de sombrer, se suspendait au-dessus de la mer vers des hauteurs de rêve un morceau de planète soulevé comme un couvercle ”’ 352 Le Rivage des Syrtes. La coïncidence des deux images de la montagne et du navire n’est pas fortuite. Elle exprime une rêverie typiquement gracquienne unissant l’exaltation du spectateur devant l’apparition d’un paysage révélateur, d’une catastrophe imminente ou déjà engagée dans son irrémédiable réalisation, d’un voyage permettant à ce double processus, révélateur et fatal, de s’accomplir avec une ampleur théâtrale. Elle permet d’éclairer davantage le sens profond des paroles de Christel, et de souligner plus résolument la nature cachée du grand voyage accompli par Allan et ceux de ses compagnons qui acceptent le suivre, au moins jusqu’à un certain point qui est aussi frontière de nul retour.

Dans Le rivage des Syrtes, comme dans Un beau ténébreux, c’est depuis un navire, métaphorique ou réel, que s’effectuent les confrontations fondamentales. Le navigateur est donc observateur dont la vision est également un principe dynamique, à la différence des contemplateurs statiques et indécis, qui, comme Henri, se tiennent au bord de leur vision dans la stupeur et l’anxiété du vide. Dans la mise en scène de son rêve, Henri reste d’ailleurs à terre. L’horizon marin est absent du panorama qu’il découvre. Son seul mouvement, à la fin du récit, sera de fuir. On peut lui opposer le personnage de Gérard dont les marches nerveuses reviennent sans cesse hanter la lisière de rivage et interroger le train précipité des houles et qui, par l’intermédiaire de ses souvenirs de prisonnier de guerre, traduit sa farouche volonté de liberté.

Il s’agit donc d’aller, comme le déclare Allan, seulement d’aller, sous le rayonnement noir de la fascination, et c’est bien en cela que la seule aventure qu’il propose à ses compagnons est un voyage, ou plus exactement, la mise en voyage de l’existence, et avec elle, du monde soudain mobilisé par le pôle inquiétant de ses paroles. Le lecteur de Jules Verne qu’est Julien Gracq ne pouvait que prêter cette stature de grand capitaine explorateur au personnage central du drame, tout en laissant toujours paraître à fleur de texte, l’ambiguïté jamais dissoute de l’entreprise. Entreprise d’autant plus déroutante, au sens plénier du mot, qu’elle se joue finalement sur l’étroit territoire de la petite station balnéaire, et finit même par entièrement se concentrer dans les seules pièces à demi vides de l’Hôtel des Vagues. La dernière partie du roman est tout entière placée sous ce double signe de l’embarquement et de l’hivernage immobile353.

Lorsque Gérard délègue son rôle à une nouvelle instance narrative, la temporalité saisonnière change aussitôt de place et de sens. Glissant d’un degré au-delà du plein été, temps des fastes mondains et solaires, la voici du côté de l’équinoxe, en route vers l’octobre spectral évoqué au seuil du livre par le revenant anonyme qui se glissait dans les rues désertées et se faisait voleur de momies. Passée le bal travesti, qu’Allan transforme en une exhibition parodique, les lieux commencent à se dépouiller de leur pellicule mondaine – mais le font-ils vraiment ou totalement ? toute la question est là. On peut aussi bien admettre, comme toujours en ce beau livre mystérieux, deux interprétations simultanées. D’un côté, le monde se vide de son trop plein touristique et atteint une sorte de sauvage pureté désolée : ‘“’ ‘ Le mois de septembre une fois de plus vidait brusquement l’Hôtel des Vagues. Dans la salle à manger rapidement les tables s’éclaircirent – les couloirs s’ensommeillèrent. Les volets claquèrent sur les fenêtres des villas et, dans les matinées déjà courtes, la plage resta longuement vide. Puis ce furent les tempêtes d’automne, harassantes, interminables, et tout au long de la grève, on n’entendit plus que le bruissement somptueux, à perdre haleine, des grands bois de pins – et derrière leurs clôtures fanées, après les nuits plus longues, et déjà froides, les maisons se recroquevillèrent ”’ 354.

Ces deux longues phrases, qui sont comme une ouverture symphonique à l’intérieur de la seconde partie déjà entamée, retrouvent en effet le ton des premières pages. Le climat poétique et atmosphérique est le même que celui de l’étrange évocation liminaire. Les premiers mots soulignent d’ailleurs cette correspondance : ‘“’ ‘ Le mois de septembre une fois de plus vidait brusquement l’Hôtel des Vagues’ ”355. On croirait entendre déjà, dans les même termes, et par une très étrange puissance d’anticipation qui ne laisse pas d’étonner, quelque chose du jeu des répétitions désaxées, chères à Alain Robbe-Grillet356. Certes, les intentions du texte gracquien sont ici d’une toute autre nature que celles de l’auteur de Pour un nouveau roman. Le texte d’Un beau ténébreux propose un enroulement poétique, affectant idéalement la forme d’une vague et celle du temps cosmique oeuvré par les puissances fatales, quand Robbe-Grillet dispose des embrayeurs narratifs destinés à perturber l’économie traditionnelle de la chronicité romanesque.

A ce stade de la lecture, on aperçoit ainsi que le mouvement du voyage immobile n’intéresse pas que les personnages et les événements qui les affectent, mais le processus du récit lui-même. Comme le faisait déjà Au château d’Argol, comme le referont à leur tour Le rivage des Syrtes et Un balcon en forêt, le récit se déploie graduellement vers une conclusion catastrophique qui semble dès l’abord inéluctable. On pourrait dire que son propre être-au-monde narratif consiste essentiellement dans l’écoulement ritualisé de ce flux vers son point d’annulation. Julien Gracq n’est d’ailleurs pas seul parmi les auteurs français du vingtième siècle à partager cette fascination d’une écriture attirée par l’obscure lisière d’un événement porteur de destruction, de mort ou de sommeil ambivalent, renouvelant ainsi les tensions énergétiques du récit classique. Dans son voisinage poétique et subjectif, se trouve notamment André Pieyre de Mandiargues357, pour qui il écrivit une somptueuse et fine préface à la réédition du Lys de mer.

Nombreux sont les lecteurs, qui, à l’instar du poète Salah Stétié, ont remarqué et brillamment analysé le mouvement catastrophique emportant les récits de Mandiargues vers un paroxysme brutal qui coïncide presque toujours avec un saccage sexuel, une exécution ou un suicide. Ces mises à mort du texte par lui-même ne sont jamais si évidentes que dans les nouvelles ou les romans étranges que sont L’Anglais du château des cris, La Motocyclette, La Marge, ou Tout disparaîtra. Une souveraine érotique narrative en règle rituellement le désastre textuel autant qu’anecdotique. Plus diffuse, mêlée sans doute à une ontologie poétique de la présence au monde, une érotique travaille aussi l’oeuvre de Julien Gracq, comme le montrent les trajectoires du Château d’Argol ou du Beau ténébreux 358. Il n’est pas encore temps de déchiffrer toutes les composantes de la tension catastrophique telle qu’elle oriente et dynamise l’écriture gracquienne ; d’autres éléments singuliers y distribuent leur influence essentielle, tels la fascination contradictoire du monde menacé par la guerre, ou zones magnétiques rappelant l’idée de la mort. On peut observer cependant, combien l’oeuvre de Julien Gracq alimente sa puissance poétique d’une sombre énergie destructrice, dont le jeu suicidaire d’Allan est en l’occurrence un exemple frappant, pour ce qu’il entraîne à sa suite tout le paysage contaminé, particulièrement dans la seconde partie du récit. C’est donc de ce point de vue, qui ne procède que par la méthode d’une comparaison différentielle, qu’on peut relever un certain cousinage littéraire entre Julien Gracq et Mandiargues.

Or, ce dernier a parfois reconnu ce qu’il devait quant à lui au nouveau roman, et qui n’intéresse pas que la technique narrative de La Marge, indirectement inspirée par La Modification de Michel Butor. Cette dette n’en est d’ailleurs pas une, car, pour l’essentiel, il s’agit plutôt du constat qui aperçoit certaines similitudes entre des sensibilités psychiques et narratives par ailleurs fort différentes. Mandiargues songe alors bien davantage à Robbe-Grillet qu’à Michel Butor. Une telle zone de coïncidence signifie tout autre chose qu’un simple jeu d’influences ; elle désigne en effet bien davantage les parentés éloignées des affects et de leur mise en oeuvre littéraire. Dès lors, rien n’interdit de postuler de telles similitudes entre Julien Gracq et Alain Robbe-Grillet, par-delà les jugements théoriques du premier sur le second. Que Julien Gracq ait éprouvé quelque fascination pour Le Voyeur montre bien que le conflit porte sur des conceptions divergentes du fait littéraire, ou encore de ce qu’on pourrait appeler une autre définition de l’être-au-monde poétique, et non sur la teneur érotique de l’aventure de Mathias. Julien Gracq ne dénonce pas davantage le mouvement d’entropie qui emporte inévitablement les romans d’Alain Robbe-Grillet vers une stase chaotique.

Comment, dès lors, situer la trajectoire des récits de Julien Gracq par rapport à celle des fictions de Robbe-Grillet ? Il n’est bien sûr pas question de parler d’influence. Plutôt faut-il parler d’une tendance propre à certaines écritures qui n’occupent pas nécessairement la même place dans la chronologie littéraire du vingtième siècle, et de surcroît, ont éventuellement une conception irréconciliable du lien de la littérature avec l’expérience du monde. Ces écritures appuient cependant leur tension intérieure sur une certaine érotique, à chaque fois spécifique, et l’appliquent l’invention narrative. Aucune ne délivre de leçon à portée politique ou morale, tant elles sont conscientes de l’univers mouvant où circule désormais l’entreprise créatrice. Il n’est que de constater l’ambiguïté constante qui sert de moteur au Beau ténébreux, pour en prendre toute la mesure chez Julien Gracq. l’être-au-monde poétique est bien un voyage des relations d’incertitude et des polarités obscures, voire catastrophiques et autodestructrices. Telle est en tout cas l’expérience vécue par Allan, qui fait de la dernière partie de son aventure, un véritable embarquement du monde vers un ailleurs insaisissable et la nécessité d’un destin.

C’est dans ce cadre alerté que se développe, dans un énigmatique mouvement de retour, l’évocation du paysage déserté entourant l’Hôtel des Vagues. La description retrouve en effet les sentiments de déshérence que mentionnait Gérard au seuil de son journal, mais le ton est cette fois différent, car le “ je ” du diariste s’est dissout dans la voix du narrateur impersonnel, autre signe du lent glissement vers le non être : ‘“’ ‘ Ainsi les journées s’écoulaient, de plus en plus vides, de plus en plus inoccupées. Et maintenant naissait entre les survivants de ce bel été, sur cette plage décolorée et soudain si insolite à l’approche de l’hiver, une intimité inavouée ”’ 359. De même, le retour déjà signalé à l’atmosphère des premières pages du livre, s’accentue encore, au fur et à mesure que le temps cosmique du récit approche du mois d’octobre, jusqu’à le dépasser symboliquement, comme l’annonçait déjà la mention quelque peu prématurée de l’hiver  : ‘“’ ‘ Le dernier jour de septembre, au matin, par un ciel clair, les fenêtres de l’hôtel s’ouvrirent sur les landes rases doucement blanchies par la première gelée ”’ 360.

Etrangement, le voyage est donc aussi un hivernage : ‘“’ ‘ C’était soudain, au creux de la nuit tôt refermée, comme s’ils se fussent trouvés transportés dans le carré d’un navire pris au piège des glaces de l’hivernage ”’ 361. Mais celui-ci n’exclut pas le mouvement comme l’indique la suite de ce passage : ‘“’ ‘ (...) plus rien désormais dans la fuite des jours, sur cette étendue rase qui comptât – que la présence comblante à bord du capitaine, et, au sein d’un détachement extrême de toutes choses, soudain, toutes amarres larguées sur ce navire voguant sur les plaines lisses, la naissance d’un autre ordre, d’un ordre miraculeux ”’ 362. Le figement des glaces immobilisant le navire est donc aussi un glissement continu, un détachement de toute amarre et de tout repère, qui équivaut à la manifestation d’une fatalité. Celle-ci s’apparente dans l’ordre naturel au mouvement de la banquise entraînant les navires immobilisés dans une dérive qui s’effectue parfois sur de très longues distances.

On songe ici aux romans polaires de Jules Verne, et particulièrement aux Aventures du capitaine Hatteras. Or c’est précisément à cet énigmatique Prométhée de l’exploration arctique qu’Allan fait ici penser. Comme Haterras, il est le capitaine dont la présence est “ comblante ” et suscite un “ ordre miraculeux ”. Comme Haterras, du moins pendant la première partie du voyage du Forward, Allan se refuse à révéler le but de l’expédition. Le beau ténébreux n’en dévoilera le terme tout personnel qu’à la seul Christel, à l’ultime instant, quand tout est déjà joué. Alors que le mystérieux capitaine stimule ses fidèles en invoquant l’honneur et le sentiment patriotique des hommes qui les premiers atteindront le pôle nord, ne justifie l’aventure auprès de Gérard, que dans la seule formule énigmatique célébrant l’exaltation du navigateur “ en rut de découverte ” qui ne se couvre pas ainsi d’honneur, mais fait par anticipation de son voyage le souvenir d’un moment honorable dans sa vie. Or, comme le fait remarquer Philippe Berthier : ‘“’ ‘ Ce qui magnétise visiblement la rêverie gracquienne autour de J. Verne, c’est ce qui mobilise pour lui les ressources profondes et spécifiques de la fiction : l’énergie vectorielle, la soif de s’élancer ”’ 363. On comprend mieux le lien complexe qui unit Allan, son créateur et l’auteur des aventures du capitaine Hatteras, particulièrement dans une formule telle celle que prononce ici le beau ténébreux. Philippe Berthier, commentant le nom hautement symbolique du navire d’Hatteras ajoute d’ailleurs à la page suivante : ‘“’ ‘ Dans sa simplicité, le nom de cette embarcation affiche le programme : Forward ! En avant ! Mais jusqu’où , Jusqu’au bout ”.’

Nous sommes décidément dans un autre monde où les valeurs héroïques prennent un tout autre sens que celui des certitudes nationales, scientifiques et géographiques. Même la mystique est différente. Hatteras chemine en effet vers un point sublime de la terre et atteint aux dimensions d’un prophète conducteur de peuples. Une théologie inspire son oeuvre exploratrice. La trajectoire d’Allan poursuit un but différent, en ce qu’elle relève d’une mystique du salut suicidaire. C’est justement là que sa grandeur est problématique et que reparaît le dilemme de la sincérité et de l’artifice. Hatteras parvient en effet au pôle au péril de sa vie et y laisse sa raison. Dès lors, il est un revenant dont les pas le conduisent invariablement vers le nord, au cours de ses promenades de pensionnaire de la maison de santé où le docteur Clawbony lui rend fidèlement visite. Homme boussole, inspiré définitivement marqué par le baptême du pôle, le capitaine est donc doublement une figure héroïque. Son mutisme originel est désormais silence polaire.

Or tel n’est pas le cas d’Allan. Capitaine symbolique, il métamorphose l’Hôtel des Vagues déserté en navire d’exploration par le seul charme du langage : ‘“’ ‘ (...) longuement, ils écoutaient Allan parler ”’ 364. Le jeu d’envoûtement verbal est ici souligné par la correspondance entre l’écoute passive et le discours qui focalise cette attention. La formulation est d’ailleurs presque redondante. Il suffirait en effet d’écrire “ ils écoutaient Allan ” pour que le sens de la phrase soit clair. Or, tel n’est pas le cas. Allan devient si l’on peut dire un “ écouté-parler ”. Tout semble indiquer que le beau ténébreux applique spontanément les principes définissant selon le Gorgias de Platon l’art de la rhétorique comme aptitude à créer la conviction par le seul artifice du discours. Autant dire qu’Allan parle, mais ne dit rien. On l’écoute parler parce qu’il n’est nul besoin d’être attentif à un contenu et à un sens potentiel, c’est-à-dire à un monde de sens, ou peut-être un sens du monde. En cela Allan est fort éloigné de l’idéal surréaliste auquel son goût de l’inquiétante étrangeté et du merveilleux sur la terre, semble pourtant emprunter son énergie et ses thèmes dominants. Peut-être s’écoute-t-il seulement parler dans l’écoute de ses fidèles.

Ici encore, les figures d’Allan et du capitaine Hatteras divergent de façon significative. Au cours de l’hivernage polaire, le héros vernien se signale par sa réserve. Au cours de la longue nuit boréale, la conversation passe par un centre qui n’est pas le capitaine, mais le docteur Clawbony. Véritable Socrate positiviste, le docteur a soin de faire circuler la parole sous la forme d’un jeu de questions et de réponses dont le but est humain et scientifique. Il s’agit en effet de réconforter le petit groupe, de créer une véritable intimité permettant de lutter plus efficacement contre les rigueurs et les menaces de l’hiver polaire. Les explorateurs sont eux aussi ‘“’ ‘ les survivants du bel été ”’ d’exploration qui risquent ensemble leur existence, au royaume des glaces. La parole du docteur est en outre un enseignement qui s’attache à décrypter le monde. Allan, tout au contraire, chiffre toute chose et l’irréalise dans un monologue qui exclut la fraternité et toute espèce de solidarité. L’intimité, d’ailleurs toute relative, fissurée de conflits et solitudes, ne se crée qu’entre ses fidèles silencieux.

Cependant, ces derniers, peut-être pour cette raison que les manipulations du beau ténébreux les ont bien dressés, peut-être pour ce qu’ils pressentent aussi ce que masquent ce flux verbal, développent une faculté d’écoute seconde : ‘“’ ‘ (...) ils écoutaient Allan parler, l’oreille soudain ouverte au choc plus proche et plus souverain des vagues ”’ 365.

Cette inquiétante plongée va se poursuivre et désormais s’accélérer pour chacun des protagonistes, au point où cette fois-ci, c’est la propre présence du monde à lui-même qui s’en trouve affectée, tandis que les différents personnages en sont les témoins stupéfiés. Le plus frappant exemple de cette transformation à vue intéresse la moins disposée à accepter le jeu d’Allan qu’elle a presque percé à jour. Au cours de l’entretien qu’elle parvient à lui arracher, Irène déclare effectivement : ‘“’ ‘ Je suis vivante et bien vivante, et cet ingénieux chantage au suicide ne m’atteint pas. (...) Car enfin, c’est cela que vous faites ici perpétuellement, c’est cela. Cet air de Werther perpétuel, cette mascarade ”’ 366.

Si le mot de mascarade dénonce la manipulation théâtrale, dont le bal annuel avait marqué le plus haut degré spectaculaire, si l’allusion à Werther fait le procès de la machinerie de références littéraires convoquée tout au long du récit, l’auteur a cependant pris soin de signaler un peu plus haut, entre parenthèses, la vulgarité haineuse d’Irène, disqualifiant sa virulente lucidité que ternira encore bien davantage sa perfidie, lorsque très peu de temps après, elle adressera une lettre d’avertissement à la famille de Christel. Or c’est précisément Irène qu’Allan choisit pour annoncer l’accomplissement désormais imminent de son suicide. Ce double jeu de précision psychologique et d’aveu implicite relance l’ambiguïté de cette intrigue, et permet de la maintenir jusqu’à la fin. A la présence toute positive d’Irène qui n’envisage le monde que de manière dichotomique, la narration oppose la complexité poétique de son ambivalence et d’une double lecture simultanée. Le monde n’est pas de le “ ou bien, ou bien ”, des partis pris et des interprétations littérales, mais dans cet entre deux révélateur où la pure mascarade devient une puissance d’envoûtement, comme en témoigne, la surprenante et très rapide métamorphose du paysage, au moment où Irène venant de quitter le beau ténébreux, revient jusqu’à l’hôtel.

Un souffle mortifère passe brusquement et pétrifie les êtres et les choses : ‘“’ ‘ Il se leva nonchalamment et s’éloigna sous les arbres. Le soir tout à coup tombait vite, un frisson rapide secouait les arbres du jardin déserté, dans un bruit de vagues plus hautes : la mer montait. Dans ce parc soudain cerné par le tumulte et le silence, un nuage subit jetait un voile d’ombre, une poussière grise où le soleil se noyait comme une prunelle qui chavire – pétrifiait Irène, la plombait, la changeait en l’une de ces statues de cendre, envoûtées, maléfiques, des jardins pompéiens ”.’ 367

Les paroles d’Allan viennent à peine de s’éteindre, que la face du monde se modifie brusquement et que s’accumulent les signes fatals. Contrairement à ce qui arrivait dans Au château d’Argol, le paysage n’est pas le médium prophétique d’événements encore lointains ; il réagit au contraire comme une plaque sensible, une marionnette, ou le plateau mobile d’une scène. Cependant, du coeur de ce dispositif, monte également l’avertissement tangible qu’une vérité vient d’être révélée. L’aveu à peine déguisé d’Allan est une force qui va, des paroles aux choses, aux êtres qu’elle stupéfie, et qui sous la violence du choc, en deviennent les miroirs funéraires. Il est par exemple significatif que l’étrange et très peu sentimental colloque dans le parc ‘“’ ‘ soudain cerné de tumulte et de silence’ ”, c’est-à-dire plongé dans l’oeil du cyclone, s’achève par la levée d’un nuage ‘“’ ‘ où le soleil se noyait comme une prunelle qui chavire ’”. On retrouve ici le terrible présage extatique et morbide dont la manifestation cosmique frappe si profondément Albert dans le cimetière à la tombe vacante. Ce n’est pas non plus par hasard qu’Irène elle-même est ‘“’ ‘ plombée’ ”, changée en statue de cendres, nouvelle fille de Loth pétrifiée et calcinée par la malédiction d’un dieu terrestre venant d’annoncer son très proche et volontaire anéantissement. La puissance du souffle terrible est donc telle qu’elle rabat le personnage d’Irène sur le paysage de fin du monde.

Celui-ci devient alors, au double sens de ce mot, le théâtre d’une véritable agonie : ‘“’ ‘ A cette heure avancée du jour, dans cette arrière-saison perdue, dans ce grand corps vidé avec l’été de son sang, un air plus fin, comme un cristal clair, accueillait des vibrations plus ténues, plus confuses (...) froissement d’une feuille, déferlement d’une vague, analysé, décomposé en un miracle de ralenti ”’ 368. Cette dévitalisation spectaculaire, qui intéresse donc autant les sons que les substances, accompagnera désormais les protagonistes captifs de sa fascination, dans un équivalent, par instant parodique, à d’autres moments bouleversant, de la Passion de Jésus. Trahisons, fuite angoissée, veille conjuratoire au cours de laquelle Irène transgresse par dépit et par angoisse, les lois de son mariage avec Henri, assoupissement involontaire de Jacques à ses côtés, ultime abjuration de Christel éperdue, incarnation finale de la mort dans la figure de Dolorès surgissant des ténèbres ; ce sont là autant de rappels évangéliques déformés, prêtant au monde une sacralité trouble simultanément fascinante et dérisoire.

Point n’est besoin de commenter cette contamination ultime, que d’autres ont déjà étudiée avec finesse369. Il est peut-être plus intéressant d’observer la manière dont le récit se referme graduellement dans une série de jeux de miroir qui accusent une fois encore sa théâtralité déconcertante. L’épisode rapportant la fuite d’Henri en donne l’exemple le plus longuement développé et le plus significatif. Cette fuite est en effet un double symbolique de l’agonie d’Allan dont elle épouse à distance la courbe irrémédiable. Henri suit en effet pas à pas les étapes de la soirée, et notamment du dernier repas : ‘“’ ‘ Irène s’habille pour dîner en ce moment... Allan revient vers l’hôtel de la plage’ ”370. Ce qui n’est encore que supposition logique, devient ensuite un véritable pouvoir visionnaire qui ouvre l’intervalle des paysages traversés et permet de participer en qualité de témoin angoissé à tous les détails du rituel, de même que dans le rêve de la tentation sur la falaise, Henri pouvait observer avec une miraculeuse précision la ville merveilleuse étendue à ses pieds : ‘“’ ‘ Il voyait maintenant le couvert déjà dressé dans la grande salle à manger vide et froide, où une seule table en ces derniers jours les avait réunis tous. Face à la mer maintenant toute grise, la pièce vide reculait avec le soir dans une solennité plus haute, une attente. La nappe immaculée, le théâtral arroi des cristaux, de l’argenterie lourde (...) évoquait soudain l’idée obscure d’une cène, d’un repas sacré, funèbre ou propitiatoire. Les chaises de cuir (...) dont l’une ce soir serait vide. Des visages soudain peuplaient cette ombre (...) des regards se fuyaient sans paroles, une main cherchait une main rassurante – le vin coulait, épais et sombre, dans un verre qu’une main ironique élevait lentement ”’ 371.

Ainsi, la présence au monde atteint un tout autre degré que celui de la simple lecture des signes. Elle devient maintenant une faculté panique d’exploration de l’espace-temps du drame. Ce qui était initialement une pure supposition est désormais contemplation. L’imparfait de description succède au conditionnel. La salle tout d’abord dépourvue de personnages se peuple de visages, mais contrairement aux repas de septembre, nul ne parle ni ne fait signe aux autres convives. Henri ne se contente d’ailleurs pas de suivre le déroulement de ce dernier repas ; il sait y déchiffrer l’annonce de la future trahison conjuratoire de sa femme, si bien que son hyperlucidité plonge aussi dans le futur, un futur certes proche, mais encore en suspens au moment où il en perçoit l’esquisse. Par une terrible inversion, la ‘“’ ‘ cène ”’ qu’Henri a fui, s’incarnera pour lui seul en un sinistre équivalent dans le café d’une localité anonyme. Il y sera cette fois le double déchu d’Allan, au moment de la mort, mais au lieu de voir s’approcher de lui une figure destinale prenant les traits de Dolorès, c’est une vieille femme muette, occupée à tricoter, une moire bretonne, qui se lève et vient plaquer une main glacée à sa peau tandis qu’il chavire dans l’évanouissement.

Mais ses éléments ne sont pas les seuls indicateurs d’une structure en miroir disposant ses fantasmagories sur plusieurs plans. L’ensemble du passage répète et modifie des scènes jouées longtemps auparavant. Ainsi, l’errance d’Henri en voiture rappelle l’excursion au château de Roscaër, mais aussi le prologue de l’ouvrage : ‘“’ ‘ Sur l’asphalte sec, le vent chassait les premières feuilles mortes, toutes dorées de soleil. Par-dessus les murs des villas, à l’abri déjà du grand vent du large, les branches bruissaient (...) parfois se rejoignaient au-dessus de l’allée en voûtes inégales, d’où soudain le froid en embuscade s’abattait par flaques (...) où le chemin tournait (...) corseté de murs aux mousses vieilles et grises, derrières lesquels les villas sous leurs voûtes vertes s’enfonçaient un repos abyssal (...) comme une épave couchée sur les grands fonds ”’ 372.

C’est aussi le rêve, empruntant également le souvenir de Roscaër, mais un Roscaër devenu forteresse à la veille de l’ultime combat, et Paradis perdu dont Henri est chassé : ‘“’ ‘ (...) la main se leva comme chargée du glaive flamboyant de l’archange, la porte claqua dans un sourd tonnerre, et le cercle magique se referma à jamais sur le royaume interdit ”’ 373 ; alors que dans le rêve initial qu’il raconte à Gérard, Henri est de son propre aveu ‘“’ ‘ comme un dieu ravi par le démon sur la crête de la montagne ”’ 374. Ce premier rêve s’épanche d’ailleurs tardivement dans le monde réel, lorsque Henri, arrêtant sa voiture, s’approche du bord de la falaise, alors qu’il vient d’évoquer ‘“’ ‘ l’hôtel brillant seul, de toutes ses fenêtres face à la mer obscure jusqu’à l’horizon ”’ 375. Le sens de son destin ne se révèle peut-être jamais avec autant d’acuité que dans ce passage. Henri s’y trouve dans la situation de l’accompagnateur qui reste à quai tandis que le navire se prépare à appareiller. Il est désormais seul dans son agonie intime et le deuil anticipé d’Allan, impuissant et tenté par les forces maléfiques.

Assis au bord de la falaise, “ les jambes pendantes ”, il se laisse fasciner par le vide nocturne qui semble lui faire signe : ‘“’ ‘ Une torpeur montait de ce gouffre, le fascinait. Il sentait sa tête s’emplir de ténèbres tournoyantes, de rafales froides ”’. Jamais, sans doute, le désir d’identification amoureuse à la destinée du beau ténébreux n’aura vibré si dangereusement. Si Henri se compare implicitement à Judas, sa douleur est aussi celle de Jean, mais à la différence du disciple aimé de Jésus, il n’a reçu de son modèle aucune marque élective, si bien qu’il faudrait plutôt dire de lui qu’il est ‘“’ ‘ le disciple qui aimait Allan’ ”. Le monde scénique de cette fin de drame révèle alors toute la cruauté du héros fascinateur. Gérard pouvait écrire dans son journal, quand rien encore n’avait commencé : ‘“’ ‘ Accoudé à ma fenêtre, cet après-midi, je prenais pour la première fois conscience de ce qu’il y a d’extraordinairement théâtral dans le décor de cette plage ”’ 376 ; désormais, les gradins atteignent des proportions monstrueuses, à l’image de cette falaise dominant le vide, si bien que ce sont les spectateurs eux-mêmes qui sont désormais susceptibles de connaître un sort fatal.

A ce théâtre de la déchirure et de la déchéance s’oppose celui de l’assomption glorieuse qu’observe Allan depuis la table de sa chambre, dans le silence de sa dernière nuit : ‘“’ ‘ Allan regardait en face de lui les grands carrés de ciel tout cliquetants d’étoiles, que la pleine lune voilait comme une plaque d’une légère vapeur bleue, comme la buée des flancs d’une bête chaude, au-dessus des grandes capitales. La lumière de la lune entrait du côté du parc par la fenêtre, jetait sur le lit une grande croix noire. (...) Les grandes coupoles de lumière, argentées, veloutées, cuirassées, montaient comme des gradins de rêve vers cette nuit sacrée, encensée de la fumée bleue des sacrifices, trouées jusqu’au fond de leur verdure noire, de grottes mystérieuses comme des déchirures de nuages ”’ 377. Les gradins du théâtre personnel projeté sur le monde par Allan, s’ouvrent moins sur le vide qu’une ville aérienne qui semble une jumelle des cités de rêve des Illuminations. De manière caractéristique, les gradins deviennent les degrés d’un escalier céleste d’apothéose. Cette magie de coupoles, de signes projetés, de fumées sacrificielles et de sombres verdures, n’incarne-t-elle pas à son plus haut point d’intensité la facticité de l’imaginaire d’Allan ? Toutefois, n’y a -t-il aussi dans ce passage quelque chose de cette poétique de la facticité, parfaitement délibérée, chère au Flaubert de Salammbô dont Sainte-Beuve note qu’elle lui évoque un ‘“’ ‘ Kamchatka littéraire’ ” semblable à celui dans lequel il situe la poésie de Baudelaire378 ?

Or, tel ou tel poème de Liberté grande, rédigé approximativement à la même époque que le Beau ténébreux évoque lui aussi des confins extrême-orientaux. C’est par exemple le cas de Transbaïkalie, dont le titre à lui seul propose l’onomastique musicale d’une géographie barbare. De même que selon Henri Thomas, Salammbô peut s’interpréter comme ‘“’ ‘ la grande erreur de Flaubert’ ” ou ‘“’ ‘ un livre un peu fou’ ”, une ‘“’ ‘ embardée dans l’imaginaire spontané ou artificiel’ ”379, le spectacle du monde nocturne contemplé et métamorphosé par Allan de la fenêtre de sa chambre mortuaire, peut apparaître comme un comble de mauvais goût littéraire ou le produit exceptionnel d’une courageuse puissance visionnaire qui force l’admiration. Il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un monde mis en formule, travaillé et sacralisé par l’étrange génie d’Allan. Si ‘“’ ‘ le poète est un diseur de mots ’”, comme le répète volontiers Salah Stétié après Pierre-Jean Jouve, Allan, homme de mots appliqués à la matière des êtres et des choses est un poète en acte de sa propre existence et des lieux où il a choisi de lui donner forme ultime. Mais la sincérité de second degré du beau ténébreux a beau imprimer puissamment les signes de sa présence dans le monde, ce n’est pas à celui-ci qu’il s’adresse en définitive. Ainsi qu’il le déclare à Christel avant de la congédier et de replonger dans le silence de sa dernière attente : ‘“’ ‘ J’ai donné ma parole’ ”380, mentionnant implicitement cette figure incarnée de la mort qu’est pour lui Dolorès.

Notes
347.

Ibid., p.211-212.

348.

Notice d’Un beau ténébreux, op. cit., p.1171.

349.

Un beau ténébreux, op. cit., p.199.

350.

Pour ces deux citations, id., p.166.

351.

Ibid., p.158.

352.

Le Rivage des Syrtes, op. cit., p.743. Philippe Berthier note à juste titre que “ Tout roman est un voyage (et un voyage nautique selon la métaphorique gracquienne la plus récurrente, pour souligner le caractère incomparablement glissé du parcours) : une expédition qui se sert de l’embarcation du langage (...) pour aller à la rencontre de cette figure un jour apparue au romancier ”. Philippe Berthier, Julien Gracq critique, d’un certain usage de la littérature, op. cit., p.163. Telle est bien dans une large mesure l’attitude d’Allan.

353.

Dès avant l’arrivée d’Allan, par une sorte de grâce prémonitoire, le journal de Gérard laissait très clairement affleurer ce sentiment de voyage en errance statique, dans un passage significatif, où le sens destinal du devenir se fait intuition de l’intemporel : “ Qu’étions-nous venus faire ici ? (...) L’après-midi s’étirait béante, sans âge, couleur du temps ”, p.151.

354.

Un beau ténébreux, op. cit., p.238.

355.

Nous soulignons.

356.

Cette ressemblance n’est jamais si frappante que dans l’ouverture du premier roman d’Alain Robbe-Grillet, Un régicide, ou, plus récemment, dans certains passages des Romanesques : Cette apparente similitude, n’est d’ailleurs pas la seule occasion de mettre en perspective, par le jeu de comparaisons différentielles, les oeuvres respectives de Julien Gracq et d’Alain Robbe-Grillet, au-delà de l’opposition explicite du premier aux thèses et à la manière du second.

357.

Voir à ce sujet l’excellente étude que Salah Stétié a consacrée à l’oeuvre de Mandiargues : Salah Stétié, André Pieyre de Mandiargues, Poètes d’aujourd’hui, Seghers, Paris 1977.

358.

De la même manière, dans Le rivage des Syrtes, l’apparition du Tängri révèle assez explicitement sa composante érotique, particulièrement dans le passage ou le volcan est comparé à un navire dont la quille se redresse. On verra plus loin que cette image, pour transparente qu’elle soit, n’est qu’un des éléments de la fascination sensuelle que la côte du Farghestan exerce sur l’équipage du Redoutable. Cette fascination déborde d’ailleurs les simples limites immédiates de la sexualité et donne lieu à une véritable expérience de l’être au monde, placée sous le double signe de l’imminence et de l’immanence.

359.

Un beau ténébreux, op. cit., p.239.

360.

Id., p.240.

361.

Ibid., p.239.

362.

Ibid., p.239.

363.

Philippe Berthier, Julien Gracq critique, d’un certain usage de la littérature, op. cit., p.194.

364.

Un beau ténébreux, op. cit., p.239.

365.

Id., p.239.

366.

Id., p.241.

367.

Id., p.242.

368.

Id., p.242.

369.

Voir notamment Michel Guiomar, Miroirs de ténéèbres, images et reflets du double démoniaque, tome I, op. cit., et du même auteur, Images et Masques du désir dans l’oeuvre de Julien Gracq, Cahier de L’herne Julien Gracq, op. cit., p.301-318.

370.

Id., p.249.

371.

Ibid., p.249.

372.

Ibid., p.245-246.

373.

Ibid., p.246.

374.

Ibid., p.173.

375.

Ibid., 250.

376.

Ibid., p.131.

377.

Ibid., p.255.

378.

Formule citée par Henri Thomas dans sa préface à Salammbô, Collection Folio Classique, Gallimard, Paris, 1970, p.8.

379.

Pour ces deux citations, id., p.7.

380.

Un beau ténébreux, op. cit., p.259.