D’emblée, Liberté grande se signale au lecteur par l’irruption de paysages jusqu’alors inédits chez Julien Gracq. Ce sont des villes, des terrains vagues, des paysages industriels directement placés sous le patronage poétique de Rimbaud. Nous ne sommes plus dans la Bretagne légendaire d’Argol, ni dans la station balnéaire hallucinée d’Un beau ténébreux, mais ‘“’ ‘ entre les remblais de chemin de fer, comme un énorme bâillement de gueules vertes – avec ces beaux pylônes électriques entre lesquels les anges font de la corde raide’ ”414, dans Scandales mondains, ou encore sous ‘“’ ‘ l’ombre d’un gratte-ciel tout blanc’ ”415, dans La basilique de Pythagore, devant le “ camp d’atterrissage des géants martiens à tripodes de Wells, de Pour galvaniser l’urbanisme 416, ou ‘“’ ‘ sur les rails d’un tramway des faubourgs’ ”, de La vie de voyage 417.
La référence rimbaldienne ne se lit pas seulement dans la citation placée en exergue du recueil, mais aussi bien dans une série d’images précises qui sont autant d’allusions à l’univers urbain des Illuminations, et plus généralement à celui que sa légende nomme conventionnellement ‘“’ ‘ le fugitif du Harrar’”. Ainsi peut-on lire un certain nombre de ces allusions plus ou moins manifestes dans Au bord du beau Bendème. On y découvre par exemple une sensibilité aux effets sonores qui n’est pas sans rappeler la musicalité barbare des clairons rimbaldiens ou les sonorités inouïes qui sortent des ‘“’ ‘ châteaux bâtis en os’ ” de Villes 418. Dans Au bord du beau Bendème, ‘“’ ‘ La prison d’air transparente colportait la sonorité des gongs ”’ 419. Le narrateur du poème est également guidé dans le paysage faubourien qu’il parcourt par des ‘“’ ‘ appels graves comme des cors ’”. Il est vrai qu’ici le grondement des sons graves s’oppose aux “ strideurs ” rimbaldiennes, mais on y retrouve cependant une même attention de l’oreille moderne aux clameurs de la vie urbaine. Un clairon retentit d’ailleurs dans Paysage : ‘“’ ‘ Quelque part, un clairon sonnait derrière une colline un remugle désenchanté de caserne ”’ 420. Peut-être s’agit-il moins en l’occurrence d’un jeu d’allusions délibérées que de l’expression poétique de cette sensibilité nouvelle précisément inaugurée par Rimbaud.
D’autres images signalent plus explicitement l’arrière-pays de l’influence rimbaldienne. C’est d’abord le chemin de croix ‘“’ ‘ compliqué comme le canevas du métropolitain ”’, qui éveille le souvenir de Métropolitain, poème dans lequel Rimbaud ‘“’ ‘ évoque une ville avec ses boulevards où vit une population pauvre’ ”, ainsi que le note Antoine Adam dans son commentaire du poème421. De fait, Julien Gracq situe le paysage d’Au bord du beau Bendème dans un ‘“’ ‘ quartier de cimetières et d’émeutes’ ”, qui apparaît bientôt comme ‘“’ ‘ un Hoggar calciné de boutiques aveugles’ ”, tandis que Rimbaud évoque de son côté un ‘“’ ‘ désert de bitume’ ”. Il se peut même que le Hoggar imaginaire d’ Au bord du beau Bendème joue également de sa proximité phonique avec le Harrar bien réel où Rimbaud a fui l’Europe et sa jeunesse poétique. Ce n’est là qu’une hypothèse qu’il serait imprudent de tenir pour certaine. De même la Babel suburbaine de Julien Gracq fait évidemment songer à l’orientalisme des cités rimbaldiennes. On songe aux “ Libans de rêve ” du premier poème intitulé Villes 422 ou au “ Nabuchodonosor Norwégien ” du second poème portant ce titre423. Ce jeu de références volontaire ne doit cependant pas nous abuser, même si on connaît également le goût de Julien Gracq pour l’allusion littéraire implicite.
On sait en effet, qu’Un beau ténébreux rédigé à la même époque que Liberté grande fait un grand usage de la citation cryptée et librement recomposée. Bernhild Boie a montré dans sa notice d’Un beau ténébreux, les règles singulières de cette phagocytose textuelle qui consiste à accaparer des fragments empruntés, sortis de leur contexte et dépouillés de leur signification native, pour les incorporer dans une tout autre substance textuelle. Dans Liberté grande, ce procédé apparaît aussi, de façon particulièrement manifeste, à l’occasion du poème intitulé Isabelle Elisabeth 424. Le glissement explicite de la Belle à la Bête emprunte évidemment sa formule au conte du même titre, mais l’isole dans un contexte entièrement nouveau où son origine ne s’avoue plus que dans l’image du prince charmant. Cette référence manifeste dissimule cependant une seconde allusion, qui, pour être ainsi plus secrète, n’en est que plus fondamentale. Isabelle Elisabeth fait en effet souterrainement écho à La belle Annabel Lee d’Edgar Poe.
Une fois cette référence voilée mise à jour, la structure inversée d’Isabelle Elisabeth laisse affleurer son évidente parenté avec les procédés d’écriture circulaire, inventés par le grand américain cher à Julien Gracq. Si l’on ne prend pas garde au souvenir sous-jacent d’Annabel Lee, on ne pense pas à cette ressemblance structurelle, ni au climat poétique qu’elle instaure. Ce remarquable exemple d’allusion subvertie montre à quel point Liberté grande requiert constamment l’attention vigilante du lecteur. Il révèle également combien les arrière-pays littéraires de ce recueil sont finalement complexes, diffus, jamais orientés par une seule perspective, ni nettement dessinés par des repères clairement identifiables.
Ainsi, l’horizon rimbaldien d’Au bord du beau Bendème, demeure irrémédiablement flottant. De ce point de vue, on peut même parler d’une forme d’être au monde très singulière, qui, malgré les apparences et la simultanéité des deux ouvrages, s’apparente peu au système d’allusions d’Un beau ténébreux. Il ne s’agit plus de marquer l’écriture du sceau d’une culture partagée par les happy fews que sont les familiers d’Allan, mais d’éveiller par jeu d’échos des mondes poétiques surdéterminés par les préférences de l’imaginaire gracquien. L’intention n’est donc pas mondaine mais intime et déborde du cadre des rappels obligés en indiquant la manifestation d’une pure sensibilité subjective qui crée un monde dérivé d’autres univers incorporés dès longtemps à sa mémoire fascinée. On comprend mieux alors le caractère flottant des allusions rimbaldiennes d’Au bord du beau Bendème.
D’une manière générale, l’intertextualité mise en oeuvre dans Liberté grande demeure toujours diffuse et incertaine. La citation des Illuminations placée en exergue du recueil ne signifie donc pas une soumission épigonale, mais exprime davantage le rapprochement et le dialogue de deux imaginaires qui n’abdiquent pas leur singularité ni leur autorité, mais se donnent les instruments et les matériaux nécessaires à la création d’une véritable expérience poétique du monde.
On en voudra pour preuve la construction très singulière des paysages urbains dans Pour galvaniser l’urbanisme. Pour une fois, Julien Gracq cite explicitement une formule de Rimbaud dont il avoue que le mystère indéchiffré l’obsède : “ Revient surtout me hanter cette phrase d’un poème de Rimbaud, que sans doute j’interprète si mal – à ma manière : ‘“’ ‘ Ce soir, à Circeto des hautes glaces... ”’ 425. Cette citation intervient dans un passage où l’auteur relève la convergence de son imaginaire urbain avec ‘“’ ‘ je ne sais quel besoin moderne d’ironie et d’érémitisme ”’. Certes, les cités utopiques imaginées quelques lignes auparavant ne sont pas sans faire songer aux ‘“’ ‘ chalets de cristal et de bois qui se meuvent sur des rails et des poulies invisibles ’”, dans Villes 426. Julien Gracq ne construit-t-il pas lui-même des “ Alleghanys ” et des “ Libans de rêve ”, lorsqu’il évoque ‘“’ ‘ le site où s’édifieront les constructions les plus superflues, les plus abandonnées au luxe, palaces de skieurs, caravansérails, dancings des déserts, des Saharas, des pics à glaciers ”’ 427 ? Plus loin, le texte du poème rapporte encore le prétendu souvenir d’une ville ‘“’ ‘ où les feux de Bengale roses éclataient dans les collines de neige, où la jeunesse dorée des quartiers riches, à minuit, s’amusait à jeter dans les précipices qui ceinturent ce belvédère de glace des torches enflammées ”’. Faut-il en conclure que Pour galvaniser l’urbanisme est pour autant un poème urbain de mode rimbaldien ?
Divers éléments suggèrent plutôt l’hypothèse d’une intertextualité infiniment plus libre et ambiguë. Julien Gracq note d’abord que le paysage luxueux qu’il imagine n’exprime pas ses seuls penchants, mais ceux d’une sensibilité collective. Cette inclination partagée avec son époque fait ensuite l’objet d’une légère distanciation qui en relativise la certitude visionnaire. Ce goût est “ un besoin moderne d’ironie ” sur lequel le narrateur du poème ironise lui-même en complice lucide, mais de façon diffuse, à peine marquée, en usant du “ je ne sais quoi ” de la littérature classique. L’auteur précise enfin que les rêves d’utopies urbaines constituent un aveu non dépourvu de naïveté, précisément caractéristique du goût moderne dont ils témoignent. Inscrit au coeur du poème, cet acte de clairvoyance ne désavoue cependant pas les pouvoirs de l’imaginaire, ni la création poétique, mais il nuance sans doute ce que le projet de révolution surréaliste pourrait chez d’autres avoir de dogmatique ou de sectaire.
Dans ce contexte, la citation de Rimbaud prend un sens très particulier. Si Julien Gracq avoue mal l’interpréter, il ne semble à vrai dire guère s’en soucier, tout au contraire. Comme il l’ajoute immédiatement, cette “ mauvaise interprétation ” n’est pas le signe d’un manque mais une manière, la sienne, qui enveloppe librement la phrase de Rimbaud. Selon Bernhild Boie, Julien Gracq hésite devant cette phrase, car ‘“’ ‘ il perçoit Circeto comme un nom de ville, alors que le contexte n’interdit nullement de le prendre pour un nom de femme’ ”428. Cette phrase, d’ailleurs incomplètement citée, et réduite par Julien Gracq à une simple formule suspendue, et d’autant plus énigmatique, provient de Dévotion, l’un des poèmes des Illuminations. Comme le note Antoine Adam dans le commentaire qu’il donne de ce poème, ‘“’ ‘ l’homme qui parle ici à la première personne adresse une suite d’invocations à des êtres qu’il a connus ”’ 429. Effectivement, chaque paragraphe de Dévotion s’ouvre par une adresse le plus souvent destinée à une femme, mais désignant parfois d’autres objets, ‘“’ ‘ l’adolescent que je fus ’”, un ‘“’ ‘ saint vieillard’ ”, ‘“’ ‘ l’esprit des pauvres ”’, ‘“’ ‘ un très haut clergé ’”, et ‘“’ ‘ tout culte’ ”430. Chacune des femmes est désignée par son nom : Louise Vanaen de Voringhem, Léonie Aubois d’Ashby, ainsi qu’une certaine Lulu. Le dernier nom de cette liste est précisément celui de Circeto. Bien que ce nom ne corresponde à aucun prénom connu, le contexte du poème ne laisse guère de doute à ce sujet : ‘“’ ‘ Ce soir à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge’ ”431. Selon Antoine Adam, ‘“’ ‘ il ne peut s’agir que d’une femme, et non d’une localité ”’. On serait même tenté d’imaginer une courtisane ou du moins une experte en volupté offerte au regard par le jeu des reflets dans des miroirs. Quoi qu’il en soit, il paraît douteux que Julien Gracq n’ait pas su lire le sens de cette phrase, comme le pense Bernhild Boie.
Mais peut-être cette “ confusion ” a-t-elle un autre sens. En effet, si Antoine Adam prend soin de préciser dans son édition, que Circeto n’est pas un nom de lieu, c’est bien que le nom lui-même et la forme syntaxique adoptée par Rimbaud peuvent le laisser croire, du moins en dehors de leur contexte. Et, sans doute, dans le poème de Julien Gracq, les allitérations qui unissent Circeto et les “ hautes glaces ”, dans un véritable effet de miroir acoustique, contribuent-elles à cette interprétation. Circeto des hautes glaces serait alors une cité magique située dans quelque “ chaos polaire ”, quelque rimbaldien royaume de Thulé432. “ L’erreur ” prétendue de Julien Gracq n’exprime-t-elle pas précisément cette ambiguïté, ne la cultive-t-elle pas spontanément, peut-être à l’insu même de l’auteur de Liberté grande, selon l’une des pentes caractéristiques de son imaginaire : ne peut-on lire en filigrane dans cette “ mauvaise interprétation ” avouée, consentie, et presque revendiquée, la superposition d’un paysage à une femme ? Comme on le verra par la suite, une telle superposition n’est pas rare dans l’oeuvre de Julien Gracq, qu’elle soit délibérée, comme dans La Presqu’île, ou plus inconsciente, comme dans de nombreux passages des oeuvres à dominante autobiographique et géographique.
Cette association est déjà fréquente dans Liberté grande. Le couvent du Pantocrator l’associe même directement à la jouissance : ‘“’ ‘ Le couvent du Pantocrator sous les belles feuilles de ses platanes luit comme une belle femme qui se concentre avant de jouir ”’ 433. On trouve même le récit d’une plaisante idylle polaire dans La Barrière de Ross 434.
Tout cela montre bien que la formule rimbaldienne n’est pas mal interprétée, au sens où le lecteur défaillant commettrait une erreur de raisonnement, mais réinterprétée par l’imaginaire indépendant de Julien Gracq. Michel Murat note en effet un détail caractéristique à cet égard, lorsqu’il estime que l’introduction d’une virgule après “ soir ”, traduit ‘“’ ‘ un processus d’appropriation et d’adéquation à soi’ ” du poème de Rimbaud435.
On peut remarquer à l’appui de cette lecture, l’enchaînement de formules qui conduit graduellement à cette citation. Après avoir évoqué un Paris de rêve, matérialisant par son ouverture directe sur les campagnes, la devise comique d’Alphonse Allais, Julien Gracq se demande si d’autres que lui nourrissent les mêmes espérances : ‘“’ ‘ Serais-je seul ? Je songe maintenant à ce goût panoramique du contraste ”’ 436. L’auteur poursuit ensuite sa rêverie par le passage dans lequel il évoque ‘“’ ‘ les constructions les plus superflues, les plus abandonnées au luxe’ ”, qui selon lui correspondent ‘“’ ‘ au besoin moderne’ ”. La formule de Rimbaud apparaît alors, introduite, par ‘“’ ‘ Revient surtout me hanter cette phrase d’un poème de Rimbaud ’”. Comme on le voit, une succession de glissements et d’associations qui relèvent à la fois du mouvement spontané de l’imaginaire et de la création littéraire au fil de la plume, conduit de proche en proche à la référence rimbaldienne. Celle-ci est aussitôt suivie d’un nouveau rebond de l’écriture : ‘“’ ‘ J’imagine, dans un décor capable à lui seul de proscrire toute idée simplement galante, ce rendez-vous solennel et sans lendemain ”’. Peut-on dorénavant sérieusement persister à croire que Julien Gracq hésite et prend Circeto pour un simple nom de lieu ?
En tous les cas, on voit qu’ici, la phrase de Rimbaud n’est pas seulement une citation, ni une simple réminiscence littéraire, mais joue le rôle de condensateur d’images. Circeto donne en effet naissance à l’image d’un décor destiné à une scène mystérieuse, grave et presque rituelle. On songe aux suggestions du rond point auquel parviennent Heide et Albert dans Au château d’Argol : ‘“’ ‘ Et peut-être seul le mot rendez-vous, avec le double sens qu’il implique (...) pourrait traduire l’impression éperdue que communiqua aux spectateurs de cette scène, la perverse inutilité de ce grandiose décor ”’ 437. On pense encore au rendez-vous sans lendemain de Braye-la-forêt dans Le Roi Cophetua. C’est dire que Julien Gracq entend la formule de Rimbaud, selon les lois de son imaginaire le plus intime, et non celles de l’exégèse érudite. N’écrit-il pas d’ailleurs : ‘“’ ‘ ... cette phrase d’un poème de Rimbaud, que sans doute j’interprète si mal - à ma manière’ ”438 ? On ne s’étonne alors plus que surgisse ensuite un paysage hivernal dont la description s’achève par l’évocation de ‘“’ ‘ la Noël mystérieuse et nostalgique de cette capitale des glaces”’. Circeto des hautes glaces, ou du moins, le monde qui s’est développé de manière indépendante, à partir de cette image initiale, donnent alors lieu à l’évocation d’un souvenir imaginaire : ‘“’ ‘ Le souvenir charmant que j’ai gardé de cette ville ”’ longuement développé jusqu’à l’invocation toute rimbaldienne où se résume aussi le reproche adressé par Julien Gracq à l’urbanisme moderne : ‘“’ ‘ Villes ! – trop mollement situées’ ”439 ! La narration poétique bifurque alors et se poursuit par l’évocation de souvenirs réels concernant Saint-Nazaire. On voit alors combien cet imaginaire urbain et cette écriture poétique, pour “ rimbaldiens ” qu’ils semblent, obéissent à de toutes autres lois que celles de la simple invocation littéraire.
N’est-ce pas à nouveau de présence auratique qu’il faut alors parler, mais sous un autre mode encore ? L’allusion est ici un carrefour jouant le rôle de condensateur d’écriture. Son pouvoir poétique va donc bien au-delà du dynamisme de la réminiscence signalé par Michaël Riffaterre. Elle donne certes aux poèmes de Liberté grande la dimension de palimpsestes, mais elle produit beaucoup plus qu’une simple mise en perspective littéraire par stratification de la surface textuelle et de ses référents. L’allusion est déjà dès Liberté grande matériau alluvionnaire440 qui contrairement au sol romain n’est pas surdéterminé par une étouffante puissance négative. Cette matière subit en effet une véritable combustion poétique qui la porte au point de sublimation où elle génère d’autres mondes, d’autres géographies et d’autres noms de lieux hypothétiques, à l’instar de cette “ Circeto des hautes glaces ” qui fascine le sujet poétique dans Pour galvaniser l’urbanisme.
L’allusion déborde alors sa fonction d’opérateur pour devenir elle-même le lieu scriptural d’une aura où se révèlent ces mondes imaginaires. Elle est le creuset et le support de leur manifestation, comme une conscience intensifiée qui coïncide avec ses objets au fur et à mesure où elle les fait monter de sa propre texture subjective. L’onomastique occupe d’ailleurs une place essentielle dans cette dynamique de l’allusion créatrice, en ce qu’elle ne convoque pas seulement des arrières-plans littéraires comme dans Pour galvaniser l’urbanisme, ou d’autres poèmes en référence à Edgar Poe, tel que l’incipit du Vent froid de la nuit, mais aussi bien géographiques comme dans Transbaïkalie, pour citer le, plus mystérieux de ces poèmes de nomadisme imaginaire.
Or, comme l’écrit Michel Murat : ‘“’ ‘ La connaissance du monde commence par des noms. Pour ’ ‘“’ ‘ l’enfant amoureux de cartes et d’estampes ” qui demeure vivant dans le poète, le nom est la clé du domaine inconnu qui s’étend au-delà des bornes de l’expérience directe : ’ ‘“’ ‘ un clou de lumière ”, dit magnifiquement Le Rivage des Syrtes, auquel s’accroche la rêverie ”’ 441. “ clou de lumière ”, le nom est donc bien le point d’ancrage d’un surgissement. Il ne désigne pas, il n’est pas seulement cet instrument servant à constituer des nomenclatures dont parle Bergson442, mais ce lieu verbal où subjectivité et monde peuvent entrer en contact intime et faire germer leur espace réciproque, selon des lois qui dépendent entièrement, du moins dans Liberté grande, de l’imaginaire du poète, comme l’exprime ouvertement Pour galvaniser l’urbanisme.
Sans doute s’agit-il d’une érotique de la présence au monde sur laquelle il faudra revenir. On peut toutefois déjà noter que cette érotique ne s’avoue peut-être jamais si explicitement que dans Le couvent du Pantocrator où le lieu se superpose et se confond à l’image d’une femme proche de la jouissance. Ailleurs, dans La basilique de Pythagore, l’auteur écrit : ‘“’ ‘ Il y a dans un coin de ma mémoire cette ville alerte dont je n’ai pas encore voulu jouir’ ”443. Lieu, mémoire, jouissance retenue ou proche, donc suspendue, forment ainsi une singulière triangulation poétique dont on remarque encore qu’elle est souvent associée à des édifices ou même à la notion de ville. La révélation auratique n’est donc pas, comme on pourrait le supposer un accomplissement sensuel détourné sur le plan poétique, mais au contraire une mise en attente qui garantit un surcroît de plaisir et de fascination. Cette attente magnifique, source de mystère, mais aussi principe de transfiguration, constitue l’enveloppement et le dévoilement auratique, comme l’indiquaient déjà en filigrane, les manifestations lumineuses du manoir d’Argol, sursaturées qu’elles étaient de présages retenus au bord du déchiffrement. En ce sens, parler d’écriture génératrice d’auras chez Julien Gracq revient à qualifier un face-à-face avec le monde, qu’il s’agisse des cités et des paysages surgissant de la texture poétique ou des lieux réels qui prendront plus tard la première place dans les oeuvres de maturité et de vieillesse de Julien Gracq.
L’aura poétique obéit d’ailleurs ici aux lois structurantes définies par Walter Benjamin, premier créateur de ce concept444, en ce qu’elle fait jouer une mémoire. Cette mémoire se révèle bien différente du simple jeu du souvenir personnel, et ne cessera de jouer ainsi dans les oeuvres urbaines de Julien Gracq, notamment dans La forme d’une ville, ainsi qu’on le verra par la suite. Inactuelle, elle l’est en tout cas déjà dans Pour galvaniser l’urbanisme, qui fait jouer les références personnelles et littéraires pour mieux les projeter dans le double espace-temps de la reconstruction et de l’anticipation d’une cité utopique. Il est en outre caractéristique que, contrairement à ce qui se produisait dans Au château d’Argol, les manifestations auratiques de Liberté grande intéressent souvent des villes, à commencer par le Paris et le Saint Nazaire de Pour galvaniser l’urbanisme, dans lesquels, Julien Gracq retrouve sans le savoir, sur le mode d’une sorte de théorie urbaniste devenue matière poétique, certaines des intuitions et des analyses développées par Walter Benjamin445. Cette dimension est particulièrement manifeste dans le passage où l’auteur écrit : ‘“’ ‘ (...) c’est à peine s’il donnerait l’idée de cette fantastique vision du vaisseau de Paris prêt à larguer ses amarres pour un voyage au fond du songe, et secouant avec la vermine de sa coque le rémore inévitable, les câbles et les étais pourris des Servitudes Economiques’ ”446.
La puissance du songe, élément central dans les motifs de révolte et de rénovation de l’homme, exposés par André Breton, dans le Premier manifeste du Surréalisme, est bien, dans l’usage si particulier qu’en fait Julien Gracq, ce qu’on pourrait appeler une condition de possibilité des images auratiques, en ce sens, qu’elle s’empare de cette création par excellence de l’âge industriel capitaliste qu’est la ville, et notamment Paris, pour lui faire subir l’altération de l’imaginaire, en faisant remonter en elle l’inactuelle surprise d’une ‘“’ ‘ Ville qui s’ouvrît, tranchée net par l’outil, et pour ainsi dire saignante d’un vif sang noir d’asphalte à toutes ses artères coupées, sur la plus grasse, la plus abandonnée des campagnes bocagère’ 447 ”. Cette vision peut être qualifiée d’aura au sens benjaminien du terme, en ce sens qu’elle n’est pas simple remontée du passé dans un présent recherchant une origine fondatrice, éternelle, et pour tout dire métaphysique, mais au contraire, invention d’une origine en devenir selon les aspirations et les nécessités du présent – correspondance toute intuitive et spontanée entre certaines des thèses du philosophe allemand448 et l’auteur de Liberté grande, qui explique peut-être en partie le malaise éprouvé plus tard à Rome, ville des allusions et des alluvions où l’épaisseur matérielle des civilisations empêche l’esprit de créer les origines en mouvement qui sont indispensables à sa puissance créatrice. Une telle correspondance permet peut-être aussi de mieux comprendre l’évolution de la poétique gracquienne de la ville au fil de l’oeuvre, comme on le verra par la suite. Cependant, ce parallélisme relatif n’est pas identité. La fin de Pour galvaniser l’urbanisme en offre l’exemple manifeste.
L’apparition de Saint-Nazaire montre en effet la pente très particulière de l’imaginaire urbain de Julien Gracq. L’auteur ne se contente pas de rêver des cités utopiques, il les trouve dans le réel et les donne à voir dans leur mélange d’inquiétante étrangeté et de présence familière. C’est déjà le ton de Lettrines, ou celui de La Forme d’une ville qui transparaît dans cette évocation : ‘“’ ‘ (...) je veux parler de Saint-Nazaire. Sur une terre basse, balayée devant par la mer, minée derrière par les marais, elle n’est guère – jetées sur ce gazon ras qui fait valoir comme le poil lustré d’une bête la membrure vigoureuse des côtes bretonnes -, qu’un troupeau de maisons blanches et grises, maladroitement semées comme des moutons sur la lande”’ 449.
La précision de la description, l’acuité avec laquelle les images sont enchâssées les unes dans les autres jusqu’à délimiter poétiquement et textuellement la forme de cette ville, tout annonce déjà l’écriture autobiographique et géographique de la maturité. On retrouve cette disposition dans Villes hanséatiques, dont le paisible paysage semble tout droit sorti d’une miniature flamande de la Renaissance, et conjugue la vision de la cité avec la présence ‘“’ ‘ d’une jeune beauté couchée sur le gazon ”’ 450. Toutefois, la scène dépeinte dans ce court poème n’est pas sans tisser un secret rapport avec l’utopie du Paris ouvert ‘“’ ‘ sur la plus secrète des campagnes bocagères’ ” de Pour galvaniser l’urbanisme 451. Ainsi, le réalisme apparemment plus grand de Villes hanséatiques n’entre pas en contradiction avec l’esprit général de Liberté grande, mais reconduit les motifs les plus évidemment surréalistes, dans un tout autre registre poétique, selon le principe d’absolue liberté qui donne son titre au recueil.
D’autres poèmes de Liberté grande font apparaître des paysages urbains, souvent très minutieusement évoqués, qu’ils soient imaginaires ou non, ou qu’ils consistent, comme Truro, en un véritable travail d’enchâssement du réel par l’imaginaire et l’écriture poétique. Ce texte s’ouvre en effet sur une fausse description des flèches de la cathédrale de Truro, que Julien Gracq a pu voir au cours d’un voyage en 1933 ; mais aussitôt, le réalisme apparent de la scène est troublé par le constat d’une étrange anomalie : ‘“’ ‘ Les flèches de la cathédrale de Truro sont maintenant deux cônes de maçonnerie compacte, et l’aspect des façades a beau demeurer le même, l’espace est étrangement mesuré aux pièces habitées par l’épaississement anormal des murs’ ”452.
La parodie du ton scientifique ou administratif, la présentation faussement objective d’un phénomène pour le moins incongru, relèvent de procédés typiquement surréalistes - on songe notamment au chapitre du Paysan de Paris, dans lequel Aragon décrit les métamorphoses fantastiques du passage de l’Opéra la nuit, avec une froideur presque journalistique. Bientôt, nous sommes plongés dans une scène de cauchemar à l’état de veille : ‘“’ ‘ On a beau éloigner sa couche des murailles, (...) il arrive parfois que le visiteur au petit matin tâte du doigt un drap déjà rigide, ou crève d’un orteil impatient une insidieuse pellicule de marbre’ ”. L’apparent réalisme du début cède la place à la fable d’une étrange cité en proie à un processus de minéralisation inéluctable. L’espace urbain devient alors un corps mutant qui prolifère anarchiquement. On retrouve ici le goût des substances ambivalentes qui permettait au givre d’Un hibernant de devenir forêt vierge et palmeraie : ‘“’ ‘ D’année en année, la croissance de l’aubier minéral rétrécit vers l’intérieur des pièces l’espace disponible’ ”. La cité fantastique subit donc une paradoxale pétrification vivante digne de quelque récit de science-fiction. Est-ce la référence anglaise qui le veut ? La Truro surréaliste de Julien Gracq fait étrangement penser à la Bleston étouffante et rigide qu’affronte le diariste Jacques Revel dans L’Emploi du temps de Michel Butor, comme si l’une annonçait mystérieusement l’autre, en vertu du hasard objectif d’un pressentiment poétique : ‘“’ ‘ En moi et tout autour de moi, en toi, Bleston, sont tapies d’innombrables sources de brume, de telle sorte que ces objets mêmes qui peuplent ma chambre et que je regarde, je ne parviens pas à les voir suffisamment, que d’immenses obstacles m’en séparent, me séparent même de cette feuille blanche sur laquelle j’écris, de cette phrase même que je suis en train d’écrire’ ”453.
Il est certain que la ville en voie de pétrification que décrit Julien Gracq est tout comme Bleston, une menace vitale dont la valeur symbolique est assez évidente pour qu’on ne s’y attarde pas trop. Julien Gracq écrit d’ailleurs ironiquement à la fin du poème, ‘“’ ‘ dans de telles pièces, comme dit le poète, on ne loge pas seulement son corps, mais aussi son imagination ”’ 454. C’est pourquoi il est déconseillé d’y séjourner. Le thème de la pétrification spirituelle sous l’emprise des conformismes et des idéologies apparaît souvent dans la poésie surréaliste. Il se peut aussi que dans ce poème, il désigne de manière fort oblique la pétrification mortelle de l’Europe sous la tutelle du nazisme, mais rien objectivement ne permet de l’affirmer, si ce n’est, comme dans le cas de l’Hibernant, la relation d’un certain climat poétique et du moment historique où le texte est écrit. Quoi qu’il en soit, la ville angoissante de Truro ne propose pas moins la vision d’un monde clos, celui de la cité et de ses maison, qui menace la conscience à travers l’enfermement du corps.
Le point de contact euphorique ou fasciné entre le sujet et le paysage auquel il fait face, se retourne en effet comme un noeud de Moebius et phagocyte le promeneur imprudent. L’être-au-monde est donc susceptible de se renverser en une véritable hantise d’inclusion pétrifiante qui se retrouvera sous d’autres formes, notamment dans Lettrines, par l’évocation d’une forêt angoissante. Pour ironique qu’elle paraisse, la fin de Truro annonce de telles expérience de perturbation de la relation de l’homme avec le monde. Elle donne à entendre que les territoires de l’exister ne sont pas toujours favorables et qu’ils peuvent même devenir les occasions d’une forme d’inquiétante étrangeté propre à Julien Gracq, et sans commune mesure avec le sublime menaçant à l’oeuvre dans Au château d’Argol, dans Un beau ténébreux, ou de nombreux poèmes de Liberté grande.
D’une manière générale, les villes de Liberté grande se caractérisent par d’incessantes métamorphoses qui violentent l’espace, le démultiplient, le fragmentent et mettent aussi en relation des faces éloignées ou même opposées, de la terre, comme dans Paysage, où le glissement des images fait communiquer la Méditerranée et la Baltique. Se promenant dans un cimetière de banlieue, le poète en compare les allées aux sillons d’une plaine à céréales, puis à la mer dans une image mystérieuse : ‘“’ ‘ les avenues inégales creusées dans l’émotion passagère d’une Méditerranée ”’ 455. Dans la même phrase, les ‘“’ ‘ sérieux alignements de tombes’ ” engourdissent ‘“’ ‘ un coin du paysage sous leurs croûtes de pierre comme une Baltique sous ses banquises ’”. On comprend mieux alors la logique poétique de ces images et de leur relation. Deux mondes marins s’opposent ici, comme se repoussent la vie et la mort, la chair mouvante et sensible et l’immobilité cadavérique. Les avenues d’eau sont en effet ouvertes aux circulations, aux appareillages vers le large, mais elles sont inégales et l’émotion qui les creuse est-elle même passagère, c’est-à-dire tout à la fois en transit et éphémère, si bien que Méditerranée et Baltique métaphoriques communiquent malgré tout par l’intermédiaire d’une longue phrase.
Il s’agit toutefois ici de l’enchâssement d’espaces métaphoriques dans le parcours d’un espace concret. D’autres poèmes conjuguent des lieux réels, qui unissent poétiquement des paysages théoriquement exclusifs les uns des autres. C’est le cas du Paris à la campagne de Pour galvaniser l’urbanisme : ‘“’ ‘ il pourrait être agréable, terminée la représentation de quelque Vaisseau Fantôme, de poser sur le perron de l’Opéra un pied distrait et pour une fois à peine surpris par la caresse de l’herbe fraîche, d’écouter percer derrière les orages marins du théâtre la cloche d’une vraie vache, et de ne s’étonner que vaguement qu’une galopade rustique, commencée entre les piliers, soudain fasse rapetisser à l’infini comme par un truc de scène des coursiers échevelés sur un océan vert prairie plus réussi que nature ”’ 456.
Cette longue phrase mérite d’être citée intégralement, car les espaces qu’elle relie ne sont pas dépourvus d’équivocité. Dans la phrase précédente, Paris vient d’être comparé à un vaisseau larguant ses amarres ‘“’ ‘ pour un voyage au fond du songe ”.’ Voici qu’on sort précisément d’une représentation du Vaisseau Fantôme et qu’on découvre qu’une prairie s’est substituée à la place de l’Opéra. La ville à la campagne d’Alphonse Allais devient une réalité, d’autant plus burlesque que la cloche d’une vache sonne derrière les ‘“’ ‘ orages marins du théâtre’ ”, dans une première confusion du réel et de l’irréel. Ville, bocage et océan théâtral entrent en communication et échangent leurs qualités respectives. Ainsi, une galopade rustique commence entre les piliers de l’opéra, se prolonge vers ce qu’on pense être la campagne, mais un phénomène inattendu relevant du “ truc de scène ” se produit soudain. Les animaux rapetissent à l’infini, la prairie devient un océan vert prairie, plus vrai que nature, si bien que le lecteur ne sait plus s’il est à l’extérieur ou encore à l’intérieur de l’Opéra, en train d’assister à ce qui n’est plus une représentation du Vaisseau fantôme, ni une perturbation surréaliste de l’oeuvre de Wagner par un lâcher d’animaux en délire sur la scène. Utopique, affirmée comme telle, la cité ouverte sur la campagne qu’imagine ici Julien Gracq rapproche et brouille les paysages avec humour. Elle ne propose pas un austère modèle de phalanstère des temps modernes, mais une heureuse subversion des lieux et des espaces, pour construire la machinerie d’un improbable paysage fantaisiste.
Id., p.289.
Ibid., p.294.
Ibid., p.270.
Ibid., p.298.
Arthur Rimbaud, OEuvre complètes, op. cit., p.138.
Liberté grande, p.301.
Id., p.297.
Note sur Métropolitain, Arthur Rimbaud, OEuvres complètes, op. cit., p.1003.
Id., p.135.
Ibid., p.137.
Liberté grande, op. cit., p.277
Id., p.268.
Arhtur Rimbaud, OEuvres complètes, op. cit., p.135.
Liberté grande, op. cit., p.268.
Note 2 de la page 268, p.1225.
Arthur Rimbaud, OEuvres, op. cit, p.1225.
Id., p.153.
Ibid., p.153.
Ibid, p.1017.
Liberté grande, op. cit., p.300.
Id., p.278-279.
Michel Murat, Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq, José Corti, 1983, t.I, p.294.
Ibid., p..268.
Au château d’Argol, op. cit., p.77.
Liberté grande, op. cit., p.268.
Id., p269.
“A Rome tout est allusion, tout est alluvion, écrira longtemps après l’auteur d’Autour des sept collines.
Michel Murat, Julien Gracq, op. cit., p.30.
Henri Bergson, La Pensée et le Mouvant, P.U.F., P011aris, 1963.
Liberté grande, op. cit., p.293.
“On entend par aura d’un objet offert à l’intuition, l’ensemble des images qui, surgies de la mémoire involontaire, tendent à se grouper autour de lui”. Walter Benjamin, Sur quelques thèmes baudelairiens, article de 1939, trad. Jean Lacoste, p.200.
Voir notamment Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, op. cit.
Liberté grande, op. cit., p.267.
Id., p.268.
“L’origine, bien qu’étant une catégorie tout à fait historique, n’a pourtant rien à voir avec la genèse des choses. L’origine ne désigne pas le devenir de ce qui est né, mais bien ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin. L’origine est un tourbillon dans le fleuve du devenir, et elle entraîne dans son rythme la matière de ce qui est en train d’apparaître”. Walter Benjamin, Origine du drame baroque allemand (1928), trad. S. Muller, Flammarion, Paris, 1985, p.43-44. On verra plus tard comment une telle formule s’applique à la théorie de l’Histoire telle qu’elle est illustrée dans Le Rivage des Syrtes. On peut cependant l’appliquer au processus même de l’écriture gracquienne, tel qu’il se manifeste par exemple dans Liberté grande. On voit bien en effet, comment ces origines successives que sont les textes de référence, ne jouent pas le rôle de fondements inaltérables sur lesquels prendrait appui la poésie de Julien Gracq, mais de véritables noeuds dynamiques par lesquels se crée l’écriture, selon les déformations et les interprétations que leur fait subir l’auteur. c’est notamment le cas de la Circeto empruntée à Rimbaud.
Liberté grande, op. cit., p.269-270.
Id., p.282.
Ibid., p.267. On voit à cet égard combien Julien Gracq est, dans l’esprit plus que la lettre, proche d’André Breton. On pourrait parfaitement lui appliquer cette remarque de Philippe Berthier, soulignant ce que l’auteur de Liberté grande aime avant tout chez Breton : “Une poésie qui s’assume pleinièrement et parie allégrement à reodnner à la vie et au monde sa richesse érectile (...) une poésie foncièrement dynamisante et positive, qui éveille à un regard neuf, fait bourgeonner le printemps de sens insoupçonnés”. Philippe Berthier, Julien Gracq critique, d’un certain usage de la littérature, op. cit., p.99. Les motifs de la croissance et de la plénitude végétale en témoignent explicitement, y coompris dans l’utopie citadine de Pour galvaniser l’urbanisme.
Ibid., p.299.
Michel Butor, L’Emploi du temps, Minuit, Paris, 1956, p.270.
Liberté grande, op. cit., p.300.
Id., p.297.
Ibid., p.267-268.