Chapitre trois : L’insurrection de l’immanence

Introduction

La confrontation de l’homme avec l’Histoire n’a donc rien d’une expérience réductrice, mais elle fait jouer à plein les facultés imaginatives, affectives et perceptives, pour ce qu’elle ouvre le monde et le rénove. Les personnages convoqués par ce mouvement d’alerte font alors une expérience qui n’est ni celle de la collectivité ni celle des références nationales et patriotiques. Bien au contraire, tout se passe comme si la subjectivité était à la fois exaltée et effacée dans la rumeur du monde, au point de se livrer à une véritable traversée des apparences. Ce n’est donc pas d’héroisme qu’il faut ici parler.

Aldo est sans doute, de tous les personnages jetés dans l’élan de l’Histoire, celui qui s’apparente le plus à une telle figure du héros, mais sa quête est pourtant d’une tout autre nature que celle de la gloire militaire ou de la puissance politique, et , comme il le découvre tardivement, c’est presque malgré lui qu’il se trouve momentanément érigé dans la posture de l’agent grâce auquel tout devient possible. De la même manière, et même beaucoup plus nettement, Grange apparaît comme un déserteur tenant son poste. Face à la menace de la guerre imminente, son attitude est celle d’un homme qui recherche les puissants recours de l’immémorial et cherche à se fondre au monde élémentaire de la forêt en souhaitant contre toute logique que rien n’arrive ou que la guerre ne se déchaîne que pour contourner en l’oubliant l’île sauvage que devient pour lui le balcon des Falizes. Ce monde hors du temps est donc travaillé de l’intérieur par des forces contradictoires qui communiquent à la subectivité un état mixte de malaise et d’émerveillement. Porte ouverte sur les périls, la situaiton historique donne également accès, mais secrètement, à une autre forme d’expérience qu’on pourrait appeler celle de l’immanence troublée, où les valeurs de la vie immédiate sont à la fois combattues et intensifiées par ce qu’elles cherchent à éviter et repousser.