1. Cheminement de la recherche

Alors que les produits de terroir apparaissent actuellement comme une catégorie d’aliments valorisés et faisant l’objet d’un engouement, parfois aveugle, de la part des consommateurs, l’étude réalisée pour l’obtention du DEA de « Sociologie et sciences sociales »3, sur la consommation de la carpe de la Dombes, présentait un contre-exemple : production locale et traditionnelle par excellence, ce poisson n’est nullement apprécié par la population française en général. Seule la population dombiste, et tout particulièrement les personnes les plus proches du système piscicole, recherchent et estiment cet aliment. Cette étude avait révélé un aspect original de la consommation des productions locales et traditionnelles à savoir l’importance de la proximité physique et/ou mentale des consommateurs avec le produit et son système de production pour l’incorporation de certains aliments régionaux. Elle montrait donc l’existence de rapports à l’aliment et de comportements divergents entre les consommateurs lambdas et les consommateurs proches du produit.

Cette première réflexion sur les productions locales a permis d’élaborer une méthode de travail et fait émerger des pistes pour une recherche plus large sur cette catégorie d’aliments telles que la nécessité d’une connivence entre consommateur et produit ou encore les phénomènes de patrimonialisation de ces objets particuliers.

Pendant l’élaboration du projet de thèse, nous avions envisagé de travailler sur d’autres productions locales afin d’analyser les modalités de consommation de ces aliments. Nous avions l’intention de sélectionner un certain nombre d’entre elles, fabriquées en Rhône-Alpes4, de façon à proposer des exemples variés par leur nature, leur réputation, l’étendue de leur consommation, etc. Mais cette approche, atomisante, nous a rapidement paru limitative et insatisfaisante. Le travail sur la carpe de la Dombes avait révélé l’importance du contexte général des pratiques de consommation : les représentations relatives à l’animal dont est issu l’aliment, le système de production, le paysage, ainsi que les structures des relations sociales, l’histoire de la région ou sa situation géographique avaient rendu possible la compréhension de la consommation de cet aliment. Il nous semblait alors plus judicieux de nous limiter à un territoire plus restreint et plus homogène afin de pouvoir prendre en compte l’ensemble du « système alimentaire local »5, tout en portant une attention soutenue sur les productions locales et traditionnelles qui y contribuent. Il nous a semblé préférable de relier les productions à la totalité sociale en mouvement que de les autonomiser et d’isoler les pratiques alimentaires des usagers. C’est en effet par la connaissance du système alimentaire global que peuvent être perçus les statuts accordés à chacune des productions locales et que peut être saisie la spécificité des relations des consommateurs à cette catégorie d’aliments.

Alors que nous cherchions à repérer un terrain, Laurence Bérard et Philippe Marchenay6 ont attiré notre attention sur la Bresse de l’Ain, région7 caractérisée par la présence de productions locales aux statuts fort divers : en effet les volailles de réputation nationale, protégées par une appellation d’origine, voisinent avec les gaudes, bouillie traditionnelle dépréciée par une grande partie de la population, et rappelant à certains égards la carpe, ou encore avec le civier, discrète charcuterie néanmoins bien implantée. Un rapide repérage a permis de confirmer la diversité des productions dans cette région par ailleurs renommée pour sa gastronomie. L’inventaire du patrimoine culinaire de la France 8 lui accordait plusieurs fiches dans différents secteurs, celui des charcuteries, des boulangeries pâtisseries, des farines, des produits laitiers et des volailles.

Ce cheminement nous a conduite vers une étude de la consommation des productions locales en Bresse de l’Ain qui prend en compte l’ensemble du système alimentaire local. Cette approche relève de ce qu’il convient d’appeler le domaine de l’anthropologie de l’alimentation.

Notes
3.

Delphine Balvet, 1997.

4.

Si chaque région administrative possède un certain nombre de productions locales, la région Rhône-Alpes est particulièrement riche dans ce domaine. L’inventaire du patrimoine culinaire de la France, édité par régions, consacre l’un de ses plus volumineux ouvrages à cette dernière.

5.

Nous entendons par « système alimentaire local », l’ensemble des éléments et des structures technologiques et sociales qui composent l’alimentation d’un groupe. Celui-ci comprend le « corpus alimentaire » (l’ensemble des substances considérées comme comestibles et transformées selon les règles propres à la société), les réseaux d’approvisionnement, les techniques de transformation et de préparation, les modes de consommation, et dans une certaine mesure les modes de production de la nourriture.

6.

CNRS, FRE Eco-anthropologie : environnements, populations, sociétés.

7.

Le terme de région est utilisé non dans son acception administrative de « collectivité territoriale groupant plusieurs départements » mais dans son acception courante qui désigne un « territoire relativement étendu, possédant des caractères physiques et humains particuliers qui en font une unité distincte des régions voisines ou au sein d’un ensemble qui l’englobe. » (Robert (Le Nouveau Petit...), 1993). C’est selon cette dernière acception, sauf précision, que nous utiliserons désormais ce terme, ainsi que celui de « régional ».

8.

L’inventaire du patrimoine culinaire de la France, Rhône-Alpes, 1995.