Le travail de terrain proprement dit s’est déroulé de mai 1998 à juillet 2001 soit pendant plus de trois années, ce qui a rendu possible une bonne immersion au sein de la société.
Le système des réseaux de connaissance, qui consiste à demander à chaque personne rencontrée de nouvelles coordonnées, a été utilisé pour contacter ces informateurs. Cette technique présente l’avantage de faciliter les contacts dès la première rencontre, l’ethnologue étant introduit par des amis ou parents. Cependant, il est apparu qu’il existe un petite cercle de Bressans vers lesquels les « étrangers curieux », catégorie à laquelle appartiennent les ethnologues, sont systématiquement envoyés. Ces acteurs, au discours souvent pré-construit, servent d’interlocuteurs entre les Bressans et les divers chercheurs, étudiants, enquêteurs, etc. qui s’intéressent à la région. S’il était impossible de les négliger, il était impensable de s’en satisfaire. Ce sont donc des personnes moins publiques qui ont été rencontrées pour discuter du domaine privé et intime que sont les pratiques alimentaires. Le peu de difficulté à obtenir des entretiens, auprès de personnes pourtant peu habituées à être interrogées, indique l’attention portée à l’alimentation dans cette région : les personnes contactées ne semblaient pas inquiètes vis-à-vis de leur capacité à informer sur la nourriture bressane.
L’occupation pendant une quinzaine de mois, d’un logement dans le bourg de Saint-Etienne-du-Bois, a facilité l’intégration au sein de la communauté et rendu assez aisé les contacts, en raison d’une grande proximité. Cette présence nous a donné une grande disponibilité par rapport aux éventuelles propositions spontanées des informateurs à participer à diverses activités. Cette installation au centre de la commune permit également la collecte régulière d’informations par l’observation du quotidien. Pour cette raison, il est difficile d’évaluer précisément le nombre d’entretiens réalisés puisqu’à la quarantaine d’entretiens formels effectués auprès de consommateurs, dont trente ont été entièrement enregistrés sur bandes magnétiques et retranscrits intégralement, il faut ajouter les multiples rencontres, visites spontanées, invitations à des repas par les informateurs avec qui des liens se sont créés. Ces occasions étaient systématiquement la source de riches renseignements pour la recherche. Nous évaluons à une quinzaine le nombre de foyers de Saint-Etienne-du-Bois avec lesquels nous avons établi des relations fructueuses, par des rencontres répétées ou la création parfois de liens amicaux, et avec qui nous avons pu développer les questions soulevées lors d’entretiens préalables, approfondir certains thèmes, revenir sur les données complexes, etc. A ce nombre il faut ajouter les personnes avec qui nous n’avons eu qu’un contact limité à l’occasion d’un seul entretien ou de quelques discussions plus spontanées. Si les échanges avec les personnes âgées ont été plus nombreuses en raison de leur disponibilité et de leur goût pour le dialogue, nous avons également rencontré des personnes en activité, des jeunes ménages, avec ou sans enfants, et des étudiants.
Pour faciliter la relation avec les informateurs et pour instaurer une véritable discussion, l’entretien de type semi-directif a été préféré ; la grille de questions, préparée avant les rencontres, servait, de mémoire, à relancer la discussion. Notons que la présence de plusieurs interlocuteurs a induit une dynamique agréable aux discussions (nous avons réalisé plusieurs entretiens au cours desquels étaient présents des couples, mais aussi des cousins ou des amis ; nous avons également effectué deux entretiens collectifs rassemblant plus de cinq personnes). Chacun rectifiant, approuvant ou rejetant les discours et propos de l’autre, les négociations pour arriver à un accord sur la réponse à donner enrichirent le thème abordé. Dans d’autres circonstances, l’arrivée du conjoint durant l’entretien permit de relancer les questions difficiles, le premier interlocuteur reposant lui même les questions qui lui avaient été posées.
En plus de ces entretiens et rencontres, nous avons observé, parfois avec un regard extérieur mais bien souvent en participant, le déroulement d’une trentaine d’activités portant tant sur le domaine de l’acquisition alimentaire (marché de Bourg-en-Bresse, marché aux fruits d’automne de Cuisiat, etc.), que sur celui des préparations et transformations des aliments (abattages de porcs, préparations des volailles fines de Noël, confections de tartes, préparation des gaudes, etc.) et encore de la consommation (repas privés, festifs, associatifs, etc.).
Nous avons également fréquenté, parfois plusieurs années de suite, les diverses fêtes et manifestations bressanes centrées autour de l’alimentation (la fête de l’attelage et la fête de la paria à Saint-Etienne-du-Bois, la fête du vincuit à Saint-Trivier-de-Courtes, la Saint-Cochon à Bourg-en-Bresse, la fête du boudin à Manziat, les Glorieuses (concours de volailles grasses) à Bourg-en-Bresse et Montrevel-en-Bresse, la fête du poulet de Bresse à Bény pour les plus importantes).
Enfin, un long travail d’investigation auprès des professionnels bressans au contact avec les consommateurs s’est avéré très enrichissant86. Il a été mené auprès des restaurateurs, des artisans des secteurs de la boulangerie pâtisserie et de la charcuterie et des fabricants et commerçants de produits laitiers (présidents et directeurs de coopératives, fromagers et crémiers) de la Bresse, du Revermont et du Val de Saône. Avec ces interlocuteurs, le recueil d’informations a été réalisé lors de nombreux et denses entretiens formels, parfois enregistrés et scrupuleusement retranscrits, lors de groupes de travail réunissant plusieurs professionnels du même secteur ou non, de rencontres spontanées dans les magasins ou encore d’observation lors des fabrications. Le secteur de la boulangerie a fait l’objet d’une enquête plus complète puisqu’ont été interrogés des professionnels de l’ensemble du département de l’Ain87.
Cette recherche a été menée, en grande partie, dans le cadre d’une démarche de développement local visant à soutenir les professionnels commercialisant des productions traditionnelles. Nous avons participé de mai 1998 à septembre 2001 à cette opération, conduite par l’antenne Ressources des terroirs de l’UMR 8875 du CNRS.
Nous préciserons ultérieurement les modalités de cette enquête qui concerne essentiellement un chapitre (Cf. Chap.5.3.2.1.).