1. Dynamique du système alimentaire bressan
et des productions locales et traditionnelles

En tant que vecteurs identitaires, les systèmes alimentaires sont marqués par une certaine stabilité et une continuité dans le temps. A titre d’exemple, dans les situations de migrations, les pratiques alimentaires résistent plus longtemps que celles relatives aux vêtements ou à la langue et se transmettent aux générations suivantes : « ‘les pratiques alimentaires d’origine seront les dernières à disparaître lors de l’assimilation totale’ »91. « ‘Le “conservatisme” ou la néophobie semble bien, de prime abord, constituer un trait fondamental des systèmes alimentaires’ »92 : les mangeurs montrent des attitudes de rejet des innovations, de résistance au changement et de préférence pour les aliments connus. Le goût des consommateurs, les aliments valorisés par la société, les préparations culinaires, les modes de consommation, etc., font preuve de constance et de persistance.

Pourtant, les systèmes alimentaires évoluent. Ils sont incontestablement marqués par la dynamique. Progressivement, mais c’est parfois avec une rapidité déconcertante, des aliments nouveaux sont adoptés, d’autres, pourtant bien implantés, finissent par être abandonnés ; les recettes se transforment, les modes de consommation se modifient, le corpus alimentaire change, ainsi que le statut des denrées. La néophilie incite les mangeurs à se tourner vers des aliments nouveaux, à modifier leurs pratiques, à explorer l’inconnu. Certains changements sont radicaux, d’autres imperceptibles si bien que les consommateurs ont du mal à les identifier. Claude Fischler distingue les changements élémentaires des changements structurels. Dans le premier cas, « ‘la structure reste inchangée, tandis que les composants qui en constituent le contenu se modifient. Ils peuvent évoluer par substitution pure et simple d’un élément nouveau à un élément ancien, par addition d’éléments complémentaires (tenant le même rôle dans la structure), par addition d’éléments supplémentaires (jouant des rôles différents ou nouveaux) et par diversification’ »93. Dans le second cas, « ‘le contenu du système reste pour l’essentiel le même tandis que les structures se modifient. Les aliments, les plats consommés habituellement s’insèrent alors dans une grammaire ou une syntaxe culinaire sur lesquelles porte la véritable transformation ’»94. Certaines personnes sont plus réceptives aux changements, d’autres exercent plus de résistance. Généralement les jeunes générations sont plus disposées à l’innovation ; les enfants sont même parfois les principaux médiateurs du changement, comme le montre Manuel Calvo95 à propos des situations de migration. De même, les femmes sont souvent plus enclines aux découvertes alimentaires et aux changements que les hommes.

En Bresse, la population est réputée pour son conservatisme alimentaire, représentation véhiculée tant par les professionnels (artisans du secteur alimentaire, restaurateurs) qui constatent la résistance aux nouveautés, que par les particuliers eux-mêmes qui la reconnaissent et l’entretiennent. Les attitudes néophobes sont prédominantes : les consommateurs bressans - même parmi les plus jeunes - sont peu tentés par la découverte culinaire et orientent leurs préférences vers les aliments et les préparations connus. Pourtant, comme ailleurs, la société bressane a évolué, entraînant des changements dans les pratiques alimentaires : incontestablement le système alimentaire bressan s’est modifié.

Etant donné que les caractéristiques de la société et de son système agricole sont des éléments prépondérants des systèmes alimentaires locaux, il convient, avant de présenter les évolutions générales du système alimentaire bressan, de noter les principaux changements dans l’agriculture et la société rurale de cette région. Nous chercherons ensuite à voir ce qu’il est advenu des principales productions alimentaires locales, autrefois issues d’un système agricole fermé.

Notes
91.

Manuel Calvo, 1982, p. 416.

92.

Claude Fischler, 1993 (1990), p.155.

93.

Ibid. p.160.

94.

Ibid. p.165.

95.

Ibid. p.413.