Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la Bresse était une région à la fois de polyculture, surtout céréalière, et de polyélevage, comme le montre Lavoille, en 1938, pour qui la Bresse est :
‘« un pays de polyculture-type. [...] le Bressan produit un peu de tout et un peu partout. Champs et prairies voisinent et se compénètrent, les premiers situés surtout sur les mamelons, les autres sur les pentes et les parties basses. Ils nourrissent bétail, porcs et volailles, ou bien fournissent toute la gamme des céréales, du froment au blé noir, des pommes de terre, des plantes fourragères, des légumes, des fruits. Ça et là, on voit des vestiges de chènevières, ou des « tires » de vigne jeune, en demi-hautain, qui donne un vin acide »96. ’Actuellement, les retraités agricoles insistent sur cette spécificité qui a été la leur, tout au moins au début de leur activité : « ‘c’était de la polyculture sur toute la commune. Jusqu’aux années cinquante, c’était polyculture : avoine, orge, orge de printemps surtout, un peu d’orge d’hiver, maïs, betteraves, choux-raves, pommes de terre, trèfles verts...’ ».
En effet, parmi les cultures, les exploitants agricoles produisaient aussi bien les denrées destinées à l’alimentation des hommes que celles servant de nourriture au bétail présent sur l’exploitation. Ainsi, étaient cultivés du blé, du maïs, du seigle, de l’orge, du sarrasin (blé noir), de l’avoine, du trèfle incarnat et du trèfle vert, du colza, du sorgho à balai, du millet mais aussi des pommes de terre, des choux-raves, des betteraves, des courges, des fèves, des petits pois, des haricots, etc. Parmi ces cultures, deux occupent en Bresse une place prépondérante. Comme dans la majorité des campagnes françaises, le blé représentait la céréale de base considérée comme la plus noble. Destiné à l’alimentation humaine, il était très précieux et on lui accordait tous les soins. Mais la Bresse se distingue par la culture d’une autre céréale, le maïs, qui a longtemps été essentielle au sein du système agricole et alimentaire local.
Ramené d’Amérique dès le premier voyage de Christophe Colomb, le maïs s’est répandu rapidement tout d’abord dans le sud de l’Europe (en Andalousie, en Catalogne, au Portugal, en Italie, dans le sud-ouest de la France), puis dans l’ensemble du bassin méditerranéen (la Syrie, l’Egypte, la Turquie, les Balkans, etc)97. Il se substitue dans de nombreuses régions d’Europe au panis (Setaria italica P.B.), au millet (Panicum miliaceum L.) et au sorgho (Sorghum vulgare Pers.), céréales auxquelles il est comparé, et prend alors souvent les noms de gros mil, gros millet, blé de Turquie ou turquis, millet des Indes, termes exprimant son identité exogène98. Cette céréale se serait introduite en Bresse, dès la fin du XVIe siècle à partir de l’Italie et de la Savoie99, les liens étant très forts avec cette dernière étant donné la situation géopolitique de l’époque (Cf. Annexe 1). Parmi les premières traces écrites de la présence du maïs, les études historiques font état d’un inventaire de biens après décès réalisé à Montpont en 1612 ainsi que de mercuriales de la ville de Louhans datant de 1625 au sein desquelles il serait mentionné100. Les conditions pédo-climatiques adéquates de la Bresse ainsi que la présence de bras disponibles ont favorisé le développement de cette céréale au rendement intéressant mais consommatrice de main-d’oeuvre. Par ailleurs, elle permettait de rentabiliser les jachères, tout en présentant l’avantage d’échapper largement à l’impôt. La Bresse devient l’une des principales régions de production de maïs comme le note, à la fin du XVIIIe siècle, Parmentier : « ‘depuis nombre d’années, une des plus importantes productions des ci-devant provinces : de Bresse, de Bourgogne, de Franche-Comté, du Béarn, de Guyenne et de Languedoc’ »101. Comme il existait dans cette région un savoir-faire culinaire portant sur des céréales assez proches (millet et sarrasin en particulier), le maïs a été intégré au système alimentaire à partir de recettes anciennes, dont la bouillie était la plus répandue. Cette céréale est alors devenue une composante essentielle de l’alimentation des hommes et du bétail au point de permettre la baisse de l’auto-consommation de blé. Les excédents dégagés, de cette noble céréale, dont le prix était bien plus élevé, pouvaient alors être vendus. D’après Myriam Gaxotte102, cette commercialisation a entraîné des transformations profondes de l’économie locale et favorisé une certaine prospérité de la région. En 1930, avant l’introduction du maïs hybride, la Bresse était, avec le Sud-Ouest et l’Alsace, l’une des trois principales régions de culture de cette céréale103.
Concernant l’élevage, la Bresse était également marquée par la diversité des animaux. Mais si chaque ferme possédait quelques lapins, canards, oies, dindes, pigeons, une ou plusieurs chèvres, un ou quelques porcs, éventuellement un cheval, la Bresse se distinguait surtout par la production bovine et l’élevage des gallinacés (poules, poulets, chapons et poulardes).
L’exploitation des bovins était essentiellement destinée à la production laitière. La Bressane, race rustique locale, de petite taille et de couleur froment clair, n’était qu’une médiocre laitière si bien que de nombreuses tentatives ont été réalisées afin d’introduire des races plus productives104. La Bressane a donc progressivement été abandonnée ; à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le cheptel était essentiellement composé de Tachetées de l’Est.
Les volailles sont réputées en Bresse depuis fort longtemps. Leur présence dans cette région est en effet confirmée par des documents séculaires. Le document, rédigé par Jules Baux en 1591 sur la ville de Bourg-en-Bresse, est souvent cité comme étant la première trace écrite : il nomme les volailles au sein d’une liste d’aliments et, ultérieurement, relate un présent fait par la ville au marquis de Treffort de deux douzaines de chapons105. Mais c’est surtout après la diffusion de la culture du maïs que l’activité avicole s’est intensifiée. Au XVIIe siècle, de nombreux baux ruraux mentionnent les volailles grasses parmi les redevances que les fermiers doivent à leurs propriétaires. Patricia Pellegrini cite le Comte Gandelet qui, en 1913, souligne que les baux de son domaine comprenaient déjà en 1681 les mêmes redevances, à savoir des chapons et des poulardes106. D’après Boudol107, ces redevances en chapons et poulardes figuraient sur tous les baux à la fin du XVIIIe siècle, prouvant que l’engraissement était généralisé. Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le développement des moyens de transport, et tout particulièrement du train, va faciliter l’exportation des volailles dans les grandes villes de France et à l’étranger et accroître leur renommée. En 1862, fut créé le Comice agricole de l’Arrondissement de Bourg, chargé de récompenser les agriculteurs les plus méritants. L’une de ses premières tâches fut l’organisation, en décembre, d’un concours de volailles à Bourg-en-Bresse qui eut des répercutions nationales108. Deux ans plus tard, la volaille bressane vit sa consécration établie à l’exposition de Paris alors qu’un lot de poulardes emporta le premier prix au détriment d’un lot de chapons de La Flèche. Les années suivantes, les marchés aux volailles, fréquentés par les restaurateurs et les charcutiers, se développèrent en Bresse tandis que d’autres concours firent leur apparition à Pont-de-Vaux, Louhans et Montrevel-en-Bresse. Etant donné l’augmentation de la demande liée à la réputation grandissante de volaille de Bresse, des fraudes se multiplièrent. En 1904 fut créé le « Bresse-Club » dont le but était de « ‘propager, perfectionner et encourager l’élevage des volailles de Bresse’ »109 mais il faut attendre 1933 pour que naisse une véritable Fédération regroupant des Syndicats avicoles. Celle-ci saisit la justice pour que soient définies les conditions d’appellation de la volaille de Bresse*110. En 1936, le Tribunal Civil de Bourg délimita la zone de production en fonction de critères géologiques, géographiques, historiques et agricoles (Cf. Annexe 3) : seules ont droit à l’appellation « volaille de Bresse », les volailles élevées dans la zone définie et présentant les caractéristiques décrites. Les trois variétés de la race furent alors retenues : celle au plumage noir, celle au plumage blanc et celle au plumage gris. Si les chapons et les poulardes, qui réclament un savoir-faire plus précis, n’étaient produits que par certains exploitants agricoles, les poulets étaient présents dans toutes les fermes.
G. Lavoille, 1938, p.49-51.
Haudricourt, Hédin, 1987, p.222 ; Le maïs de l’or en épi, 1998, p.3 ; Jean-Pierre Gay, 1984, p.69-77.
Haudricourt, Hédin, 1987, p.223 ; Hélène Franconie, 1998, p.34.
Le maïs de l’or en épi, 1998, p.3.
Pierre Ponsot repris par Myriam Gaxotte, 1989, p.8 et Le maïs de l’or en épi, 1998, p.4.
Parmentier, cité par Jean-Pierre Gay, 1984, p.83.
Myriam Gaxotte, 1989, p.9.
Jean-Pierre Gay, 1984, p.193.
A. Sirand décrit les essais réalisés par son père : « En 1820 également, mon père fit venir de la Suisse deux superbes vaches pies, poil noir et blanc. Elles ont vécu longtemps et faisaient l’admiration de nos cultivateurs qui s’en disputaient les veaux pour les garder. Mais ce poil ne leur convenait pas ; après celles-ci, mon père en acheta deux autres, d’un poil froment ; elles ont bien réussi et ont peuplé le pays de nombreux élèves qui ont sensiblement amélioré la race dans tous les environs » (1848, p.147).
Patricia Pellegrini, 1991, p.15-16 ; Robert Ferraris, 1991, p.17 ; A. Boudol, 1947, p.47.
Patricia Pellegrini, ibid., p.16.
A. Boudol, 1947, p. 47.
D’après Ferraris, le fait que les deux plus belles pièces du concours furent offertes avec publicité à Napoléon III participa à cette renommée (1991, p.21).
A. Boudol, 1947, p.50.
Les termes suivis d’un astérisque renvoient à un glossaire qui présente de manière succincte les aliments et mets locaux.