Etant donné le système de poly-agriculture caractéristique de la Bresse avant la Seconde Guerre mondiale, il n’est pas surprenant que le régime alimentaire soit dominé par les produits laitiers, fabriqués à la ferme (« ‘les laitages rentraient beaucoup dans la cuisine, beaucoup, et tous les sous-produits ’»). Le lait, de vache et dans une moindre mesure de chèvre, apparaissait à tous les repas. Celui-ci était servi sous sa forme liquide, cuisiné ou non : frèsées*145 ou soupes de lait (« ‘du lait froid avec un pain taillé dedans, sans plus’ ») dans lesquelles sont parfois ajoutés des fruits (« ‘je mets des cerises sur mon pain, je verse du lait dessus, c’est un régal ’»), lait versé sur les gaudes, caillat*146, lait utilisé pour l’élaboration du décamoton*, des béchamels, du dinno*, etc. ; mais celui-ci était aussi consommé transformé en beurre, crème, fromages eux-mêmes incorporés dans diverses préparations (soufflé de fromage*, tarte au fromage*, camyon*147, etc.). Si ces derniers étaient consommés en quantité importante (« ‘On ne finissait pas un repas sans fromage’ »), leur diversité était faible : hormis les fromages blancs domestiques, de chèvre et de vache, écrémés ou non, consommés plus ou moins secs et le fromage fort ou le pourri, seul le gruyère, élaboré à la fromagerie, apparaissait sur les tables bressanes.
Parmi les changements ayant affecté la consommation des produits laitiers, on constate, à la fois une baisse des quantités de lait absorbées et une diversification des fromages. A l’instar de ce ménage, le camembert, les divers bleus et la Vache-qui-rit sont parmi les premiers fromages à avoir pénétré le marché bressan :
‘« j’ai peut-être commencé à en acheter assez tôt, dans les années soixante. Parce qu’André travaillait à l’usine, à Bourg, il portait son casse-croûte et c’était toujours du fromage de chèvre ou un morceau de comté de temps en temps pour couper un peu, surtout l’hiver parce que j’avais moins de fromage de chèvre, y a toujours une période creuse. Pour varier, je m’étais mise à acheter un camembert. J’en achetais à Saint-Etienne ou sur le marché de Bourg. Pendant des années et des années, l’hiver j’achetais du comté, un camembert. J’ai eu acheté également, quand il y avait les enfants, des petites portions là, les crèmes, les pâtes : les Vaches-qui-rit, Vache-gros-Jean. Et peut-être un morceau de bleu de temps en temps. Je ne m’étendais pas trop ». ’Actuellement, si la richesse des fromages disponibles dans les commerces, quels qu’ils soient, est grande, les Stéphanois rencontrés ne semblent pas enclins à diversifier leurs achats et se contentent de quelques variétés de fromages. Quant à la consommation de lait nature, elle a fortement chuté, bien que les frèsées de lait soient encore appréciés par certaines personnes dont cette Stéphanoise pas encore trentenaire : « ‘moi j’adore ça, les frèsées de lait... à m’en lécher les babines ! ’». En définitive, la faculté de disposer de lait frais, non emballé industriellement, mais obtenu juste après la traite, est un critère fondamental du maintien de cette consommation, comme le souligne l’informatrice précédente : « ‘je ne vais pas me faire une frèsée avec du lait en boîte, hein, ça je ne peux pas y avaler ! ’». La distinction entre les deux catégories de lait est clairement entretenue par des expressions sarcastiques que les personnes, surtout âgées, ne manquent pas d’adresser à l’égard du lait industriel : « ‘fais moi passer la vache en boîte’ » demande un ancien agriculteur à l’un de ses commensaux.
Nous avons retenu l’orthographe proposée par Claudine Fréchet et Jean-Baptiste Martin, dans le Dictionnaire du français régional de l’Ain, 1998, p.67.
Nous avons retenu l’orthographe proposée par Claudine Fréchet et Jean-Baptiste Martin, dans le Dictionnaire du français régional de l’Ain, 1998, p.35.
Nous avons retenu l’orthographe proposée dans l’ouvrage Qu’elle était riche notre langue ! Glossaire du Patois Bressan de Saint-Etienne-du-Bois (1996, p.38).