Le dinno

Comme les gaudes, le dinno était une préparation courante en Bresse avant la Seconde Guerre mondiale. Depuis, sa consommation a tellement chuté qu’elle est sur le point de disparaître. Plus encore que les gaudes, le dinno est en train de sortir du corpus alimentaire bressan. Il est tellement peu consommé que son nom même est inconnu par une partie de la population, principalement les jeunes générations et les personnes originaires d’une autre région, ce qui n’est pas le cas des gaudes. Natif du Jura mais habitant Saint-Etienne-du-Bois depuis plus de quinze ans, cette mère de famille se montre étonnée par ce plat : « ‘alors c’est quoi le dinno ?’ ». De même, lorsque je l’interroge sur cette préparation, cette Stéphanoise, âgée de moins de trente ans, pourtant originaire de la commune, paraît très surprise, comme l’ont été les autres personnes de son âge : « ‘le quoi ? Ah non, je ne connais pas ça, c’est quoi ?’ ». Puis elle ajoute, justifiant son ignorance : « ‘j’en ai jamais entendu parler, même par mes grands-parents, ça je crois que j’en ai jamais entendu parler’ ». Pourtant ses grands-parents en font encore de temps en temps, probablement dans l’intimité. En fait, à l’heure actuelle, seules certaines personnes âgées en consomment encore mais très occasionnellement : « ‘moi j’en fais une fois à l’automne quand je ramasse mes haricots mi-murs. Et on se régale avec’ ». Leurs propres enfants n’en mangent plus depuis qu’ils ont quitté le domicile parental (« ‘ça fait belle lurette que j’en ai pas mangé’ ») et leurs petits-enfants n’en connaissent même pas l’existence. Actuellement, ce plat est consommé par nostalgie, c’est une préparation souvenir qui est très appréciée, comme le prouve l’une des citations précédentes, mais néanmoins peu courante. D’ailleurs, comme pour les gaudes mais de manière beaucoup plus sporadique et exceptionnelle, certaines personnes âgées organisent des repas entre amis au cours desquels est servie une assiette de dinno, ce qui crée une grande satisfaction. Il n’est pas étonnant que lors des rares occasions de consommation, les consommateurs, comme l’informatrice précédemment citée, apprécient le dinno accompagné de variétés anciennes de haricots, puisque ceci accentue la dimension commémorative. A nouveau, les consommateurs justifient la baisse de leur consommation par des questions nutritionnelles ; le dinno est un plat trop riche qui ne correspond plus à leurs besoins actuels : « ‘c’est quand même trop nourrissant pour nous, on n’en mangerait pas tous les jours’ ». Quant à ceux qui ont délaissé ce plat, ils accusent son manque de saveur : « ‘comme je trouvais que ça n’avait pas beaucoup de goût... parce que c’est que de la farine avec du lait... il me semble que je mettais souvent du sucre’ » se souvient cette adulte qui en consommait autrefois chez ses parents.

En tant que bouillies, les gaudes et le dinno ne correspondent plus aux goûts et préférences alimentaires actuelles. En effet, dans la société française d’aujourd’hui, les bouillies sont surtout associées à l’image d’une nourriture pour enfants ; par ailleurs, elles ne répondent pas aux consistances et aspects alimentaires valorisés - l’onctuosité, le moelleux et le craquant -, et ne sont donc guère appréciées par la majorité des consommateurs. Les gaudes et le dinno sont également perçus comme très nourrissants, trop nourrissants par rapport aux dépenses caloriques de l’époque. Ils ont une image d’aliments dépassés, que les jeunes générations ne souhaitent pas consommer. Mais à côté du dédain et du désintérêt dont ils sont victimes de la part de la majorité des Bressans, ils font aussi l’objet d’un réel attachement de la part d’une frange de la population, même si leur consommation s’est considérablement réduite. Maintes personnes âgées apprécient ces aliments qu’elles ont mangé pendant des années, si bien que des pratiques nouvelles de convivialité, s’organisent autour de ces aliments. Leur statut évolue d’un aliment des pauvres, consommé en famille pour son intérêt nutritif (qui tient au ventre) et son faible coût à un aliment que l’on partage entre personnes ayant les mêmes souvenirs, le même vécu alimentaire, en somme d’un aliment contrainte à un aliment plaisir. Ces aliments servent de prétexte à des rassemblements remémoratifs, faciles à réaliser et peu coûteux entre amis.