La courge était un légume couramment consommé en Bresse autrefois. Nous avons signalé la coexistence des melones et des courges à confiture, cultivées dans les jardins, ainsi que des courges dite à cochon, plantées en grande quantité dans les champs de maïs. Aujourd’hui les courges restent des légumes très présents dans l’alimentation bressane ; cependant, non seulement le poids relatif des variétés n’est plus le même, mais encore de nouvelles variétés ont été introduites.
Actuellement, la melone et plus largement les courges du commerce (la courge musquée de Provence ou le potiron rouge vif d’Etampes) se sont imposées auprès des jeunes générations et des plus citadins des consommateurs tandis que la courge à cochon reste la variété préférée des personnes âgées et de celles qui marquent un attachement à la campagne. Cette opposition en terme urbanité/ruralité est clairement intégrée par les consommateurs : « ‘tu n’en trouveras plus sur le marché [de Bourg-en-Bresse] de la courge à cochon. Par exemple, on vendra des potirons ou de la melone comme on l’appelle. Mais les gens en ville, aujourd’hui, en HLM, ils ne vont pas aller demander de la courge à cochon. Mais ici, oui, les gens de la campagne, ils la mangeront volontiers ’». Depuis déjà fort longtemps, la melone est plus recherchée par la population citadine : « ‘elle se vendait un peu mieux au marché. L’autre on la vendait pas bien ’». Par contre, auprès des personnes âgées, la courge à cochon est, de loin, la plus appréciée : « c’est la meilleure » avons-nous entendu maintes fois.
Quant à la courge à confiture, sa culture s’est considérablement raréfiée dans les jardins - nous n’avons jamais eu l’occasion d’en voir sur pied - et la recette qui lui était destinée tombe en désuétude. Auprès des jeunes générations, l’idée d’une confiture de courge* suscite même de la surprise. Il a d’ailleurs fallu deux saisons à l’un de nos informateurs, pourtant au sein d’un large réseau de connaissances, pour en trouver un spécimen. La première année celui-ci conclut que « ‘la courge à gelée, il y a longtemps qu’il n’y en a plus. J’ai failli t’en trouver de la courge à faire de la confiture. Une frangine par là, puis y a pas eu moyen’ ». Cette quête vaine prouve l’affaiblissement de ce légume dans la consommation locale. En saison, quelques rares cultivateurs en vendent sur le marché de Bourg-en-Bresse. Ils n’ont néanmoins que peu de succès, et auprès d’une population très limitée. Auprès des habitants de Saint-Etienne-du-Bois, l’usage de ce légume évoque surtout des souvenirs et pour beaucoup assez flous : seuls les personnes les plus âgées en ont consommé chez leurs parents et éventuellement préparé quelques années, les autres n’en ont jamais mangé.
Dans la famille des cucurbitacées, la courgette a fait une apparition remarquée dans les jardins bressans. Inconnu avant la Seconde Guerre mondiale, ce légume, originaire d’Italie du sud168, s’est implanté massivement et occupe aujourd’hui une place considérable, tant dans les jardins potagers que dans les assiettes. Assimilé aux autres variétés de courge, il a tout d’abord été cultivé suivant le modèle cultural des courges et cuisiné de même (en gratin ou en fricassée froide ou chaude à la crème et au vinaigre). Ce n’est que progressivement que l’éventail des recettes s’est agrandi alors que les courgettes étaient utilisées selon des structures culinaires différentes : elles ont été farcies ou introduites dans les soupes. Désormais, elles entrent également dans la préparation de ratatouilles, plat très courant dans certaines familles mais encore perçu comme une nouveauté dans d’autres.
Enfin, depuis quelques années, le potimarron, autre variété inconnue auparavant en Bresse, est cultivé dans quelques jardins, parfois par des personnes âgées. L’innovation se diffuse par transmission d’amis en amis. Ainsi ce Stéphanois, septuagénaire, en plante quelques pieds chaque année. Cet aliment participe désormais grandement à son corpus alimentaire si bien qu’à l’automne 2001, alors que sa production a été totalement détruite par des rats, il reconnaît sa grande déception. Grand amateur de potimarron, il en avait offert, l’année précédente, un à l’une de ses amies pour la convaincre d’en cultiver. Une cultivatrice qui vend sur le marché de Bourg-en-Bresse se vante d’avoir lancé cette variété et note sa rapide diffusion : « ‘j’étais la première à faire du potimarron et à m’égosiller pour faire connaître. Mais maintenant, ils en vendent mais même pas du pur, du n’importe quoi. Parce que tout le monde s’est mis à en faire, et ils remettent les graines et ça se croise tout’ ».
Françoise Aubaille-Sallenave, 2000, p.25-26.