1.3.3. Vulgarisation relative d’une production de luxe :
les volailles de Bresse.

Autrefois uniquement consommées, par la majeure partie de la population, lors des fêtes ou lorsqu’une bête ne pouvait être vendue, les volailles entrent maintenant de manière massive dans l’alimentation bressane. A l’instar du reste du pays, la consommation de cet aliment a fortement augmenté. Les personnes qui élèvent des volailles n’hésitent pas à se servir pour leur consommation personnelle, tandis que les autres se fournissent dans les commerces. Si cette tendance vaut pour la volaille en général, la volaille de Bresse reste une production prestigieuse et onéreuse qui n’est pas accessible à tous les consommateurs : « ‘tout le monde ne peut pas se permettre de s’acheter un poulet de Bresse, tous les jours ’» remarque l’un d’entre eux. Auprès des agriculteurs, en activité ou retraités mais ayant conservé une petite basse-cour, la consommation de volailles de Bresse, autrefois exceptionnelle, s’est banalisée : « ‘aujourd’hui on mange plus volontiers de la volaille, pourquoi ? Parce qu’on a plus d’argent... mais à une époque donnée, si on en faisait, c’était vraiment presque un sacrifice, on faisait ça parce qu’il y avait une grosse manifestation dans la famille, un gros truc’ ». En fait, seules les personnes qui restent proches du système avicole profitent de ces volailles, c’est-à-dire celles qui en élèvent pour leur consommation personnelle ou pour la commercialisation, ainsi que leurs proches parents et amis ou encore les personnes, nombreuses en Bresse, qui connaissent le moyen de s’en procurer à des tarifs avantageux (Cf. Chap.3.1.6.).

La disparité d’accès à la consommation des volailles de Bresse est encore plus forte à propos des chapons et des poulardes. Encore plus prestigieuses, ces volailles, qui n’étaient d’ailleurs élevées que dans certaines fermes bressanes, étaient uniquement destinées à la commercialisation et à la redevance des baux. L’essentiel de la population n’en mangeait strictement jamais. Actuellement, parmi les personnes qui ont des volailles, certaines élèvent des chapons et poulardes dont quelques-uns, si ce n’est tous, sont destinés à leur consommation personnelle et à celle de leurs proches. Ils font alors appel à un vétérinaire ou un voisin pour le chaponnage. Beaucoup ont reconnu que ce plat est effectivement une nouveauté pour eux ou qu’ils n’en connaissent la saveur que depuis quelques années. De même, les personnes qui vont aider des éleveurs au moment des fêtes de Noël se voient parfois offrir, en guise de remerciement, une volaille roulée. L’une d’entre elles avoue qu’avant qu’elle ne vienne assister sa voisine éleveuse, elle n’avait jamais goûté de chapon. Désormais elle en mange un chaque année. En somme, cette consommation est devenue accessible et s’avère occasionnelle ou régulière pour la population qui vit dans la proximité avec l’élevage de ces volailles - à ce titre on peut dire qu’elle a augmenté - mais reste ignorée de la part de ceux qui n’y ont pas accès, soit l’essentiel de la population. En effet, dans les commerces, ces volailles atteignent de tels prix178, et plus encore si elles ont été primés, que la majorité de la population ne songe même pas à en acheter. Seules les personnes les plus fortunées peuvent en consommer, à moins, là encore, de connaître le moyen de se procurer des pièces déclassées et donc à moindre prix.

Parmi les volailles, les pigeons, autrefois courants dans les fermes bressanes, sont de moins en moins élevés par les particuliers et tendent donc à diminuer fortement dans l’alimentation. En fait, partout en Bresse, les agriculteurs en activité ou retraités décident progressivement d’arrêter leur élevage. Dans la région de Foissiat, un groupe d’habitants s’interroge sur le nombre d’éleveurs restants : « ‘ben on est dans les derniers qui avons des pigeons. Il en reste combien ? Une demi-douzaine à Lescheroux ?’ » puis entament un recensement : « ‘y a toi, y a Gabi, y a...’ » ... alors que ces volailles étaient naguère élevées dans toutes les fermes bressanes.

Notes
178.

Les chapons tournent entre 90 et 140 euros en fonction de leur poids et des commerces.