Nourritures du matin

Autrefois, le petit-déjeuner, appelé fréquemment « repas du matin », était plus conséquent que maintenant. Il comprenait un grand nombre d’aliments salés et sucrés dont certains exigeaient une préparation culinaire. L’informatrice précédente se souvient de la soupe à l’oignon, de la soupe au fromage, du lard, des oeufs, du fromage. L’une de ses amies cite également la soupe au lait cuisinée avec des échalotes. Que cette dernière compare cette soupe avec le cacao « ‘dont on n’avait droit que le dimanche matin’ » signifie qu’elle associe ces deux préparations et leur attribue la même place dans la classification des aliments : ces deux boissons sont assignées au repas du matin et représentent la substance liquide qui accompagne les autres denrées. L’hiver, selon une habitude déjà décrite par Bossi au début du XIXe siècle205, les bouillies remplaçaient les soupes. Une personne âgée se souvient : « ‘y a un plat qui se faisait bien autrefois, c’était toujours ces fameuses bouillies blanches, le dinno comme on disait. On déjeunait avec ça. Ça faisait l’entrée, ça faisait le petit-déjeuner. C’est vrai dans les fermes, ça se faisait le matin, pour le petit-déjeuner, ça remplaçait le café au lait. Et y en a qui mettait du pain dedans. Suivant comme il était épais’ ». Plus renommées que le dinno, les gaudes représentent l’aliment caractéristique des repas du matin bressans. De nombreux témoignages, tant oraux qu’écrits, abondent dans ce sens. Cependant, à ce moment de la journée, les gaudes n’étaient généralement pas servies sous la forme de bouillies. Il était d’usage d’utiliser les restes de la veille en coupant les gaudes devenues compactes en refroidissant et de les faire revenir à la poêle ou au four. Préparé selon un autre mode de cuisson, cet aliment est profondément différent. Son aspect n’est plus celui d’une bouillie, sa texture est ferme et son goût s’en trouve modifié. Son mode de consommation est lui aussi différent. Cette préparation marque la différence avec les gaudes, aliments du soir sur lesquelles nous reviendrons. Etant donné la baisse de la consommation des gaudes, cette préparation, pourtant appréciée par nombre de Bressans, d’un certain âge, est elle aussi devenue rare. Cependant, quelques-uns profitent des occasions de consommation décrites précédemment pour raviver cette pratique. Ainsi, lors de ces soirées commémoratives, les hôtes prévoient souvent une quantité de bouillie supérieure à celle nécessaire pour le nombre de convives afin qu’il en reste pour leur petit-déjeuner. Sur le ton de la plaisanterie, certaines maîtresses de maison prient leurs invités de ne pas être trop gourmands et de bien vouloir leur en laisser pour le lendemain !

Les petits-déjeuners actuels sont fort différents de ceux d’il y a un demi-siècle. Ils sont nettement plus légers, moins nourrissants, comprennent rarement des plats cuisinés (soupes, bouillies, etc.) et présentent une tendance plus sucrée. Septuagénaire, ce Stéphanois déclare manger peu le matin : « ‘un café au lait, deux morceaux de fromage, du jambon, deux carrés de chocolat, du pain et c’est tout’ ». Le décalage est encore plus flagrant avec les jeunes générations : « ‘pour le petit-déjeuner je fais biscottes, pain grillé... Je suis très traditionnelle là-dessus ’» déclare une jeune Stéphanoise assurée que ces deux produits présentent une norme du petit-déjeuner. En effet, ce repas est probablement des trois occurrences alimentaires celle qui est devenue la plus banalisée, la moins typique, celle qui est surtout constituée d’aliments génériques, sans spécificité locale : les gaudes et le dinno, les soupes de lait, aux oignons, etc. mais aussi les fromages et les charcuteries ont pour l’ensemble disparu au profit des céréales, des tartines de pain, des biscottes ou autres pains grillés, avec ou sans beurre et confiture, etc. « ‘Un yaourt, j’en mange un le matin. Généralement j’en mange pour le petit-déjeuner parce que j’ai tendance à zapper le fromage en fin de repas, donc comme ça, en m’en imposant un le matin, ça me fait ma dose de calcium pour la journée’ » : ainsi les yaourts, produits laitiers, se sont substitués au fromage dans la séquence alimentaire du matin. Quasiment sortie du corpus alimentaire bressan, la confiture de courge est la seule production présentant une certaine typicité qui aurait pourtant pu trouver une place dans cette nouvelle structure culinaire.

Notes
205.

Bossi, 1808, p.310.