D’une consommation rapide...

Face à des aliments qui se transforment et évoluent, les consommateurs élaborent des stratégies de consommation prenant en compte les modifications des caractéristiques physiques des produits.

Certaines productions s’altèrent rapidement et sont donc consommées au plus vite. Tel est le cas des tartes et des galettes qui sont généralement servies au cours du repas suivant l’acquisition qu’il s’agisse d’un achat ou d’une fabrication maison. Elles sont consommées rapidement, parfois encore chaudes comme c’est souvent le cas pour la tarte au fromage.

Les fromages blancs provenant des coopératives laitières locales appartiennent également à la catégorie des produits consommés au plus vite après acquisition. Le petit-lait continuant à s’égoutter des faisselles, les fromages blancs perdent progressivement du volume et changent de texture ; ils deviennent plus fermes, moins aqueux. Cette modification, à laquelle les Stéphanois sont attentifs, est spécifique des produits vendus dans les points de vente des fromageries telles que celles de Saint-Etienne-du-Bois, Treffort-Cuisiat ou Simandre-sur-Suran. Elle n’a pas lieu avec les fromages blancs provenant d’autres régions ou ceux, produits en Bresse dans les beurreries de Foissiat et d’Etrez, qui sont commercialisés en barquettes fermées hermétiquement au moment de la production comme le note ce consommateur : « ‘la différence des fromages qu’on achète [en grandes surfaces], même en faisselle dans les barquettes là, c’est un fromage, tu l’as aujourd’hui il est frais dans son petit-lait, demain, après demain, après après demain, il va être toujours pareil. Alors que ceux qu’on prend à Saint-Etienne, on le prend par exemple aujourd’hui, même s’il reste dans sa faisselle, dans son petit-lait, il sera déjà plus pareil le soir. Et le lendemain, il sera tassé’ ». Face à des fromages, les uns immuables, intemporels et les autres évolutifs, altérables, chacun tire sa conclusion : « ‘il doit y avoir des conservateurs avec, ou je ne sais pas quoi. Mais je pense que ceux d’ici sont plus nature’ ». En raison de leur changement rapide, beaucoup de Stéphanois préfèrent manger les fromages blancs le jour même de leur achat à la fromagerie de Saint-Etienne-du-Bois : « ‘j’aime bien quand on les amène et quand on les mange tout de suite. Mais après, quand ils sont passés au frigo, j’apprécie moins, alors bien souvent le soir, je n’en mange pas’ ». Cette exigence de température, partagée par d’autres consommateurs (« ‘moi je crains quand ils sont trop froids’ »), prend la forme d’une règle de consommation, qui s’ajoute à celles décrites précédemment : certains aliments doivent être chauds, d’autres froids ou encore seulement frais. Les fromages blancs qui n’auront pas été terminés, seront moins appréciés les jours suivants. Ils seront alors prioritairement utilisés pour la réalisation de tartes aux fromages ou de soufflés : « ‘après le lendemain ou voire le surlendemain, je fais un plat avec ce qui reste’ », reprend l’interlocutrice précédente. Pour ces préparations culinaires, les fromages blancs de quelques jours sont préférés à ceux qui sont trop frais. Ainsi, selon les modes d’utilisation, bruts ou transformés, la vitesse de consommation adéquate diffère, et la nécessité de conservation s’avère, par là, plus ou moins utile. Volontairement et utilement laissés vieillir plusieurs jours pour les préparations culinaires, les fromages blancs les plus estimés pour une consommation en l’état sont, au contraire, les plus fraîchement produits. La garantie de les acheter le jour même de leur fabrication justifie, entre autres, l’attrait pour les fromages de la coopérative voisine : « ‘à Saint-Etienne, où on va les chercher, c’est souvent qu’ils nous les mettent dans les faisselles devant nous, alors quand on arrive on les fait égoutter’ ». Pour les fromages ainsi obtenus, tout se passe comme si les consommateurs, non seulement témoins, devenaient même acteurs de la dernière étape de la fabrication et bénéficiaient de la possibilité de les consommer à peine terminés.