Jardins potagers, vergers et basses-cours

Les logements étant majoritairement des constructions individuelles, les jardins potagers, les vergers et dans une moindre mesure les basses-cours sont courants en Bresse. L’attachement à ce mode d’approvisionnement est très fort et nombre de Bressans déclarent avec fierté : « ‘on ne mange que les légumes du jardin’ ».

Ces espaces sont souvent, mais pas uniquement, entretenus par des retraités, surtout lorsqu’ils ont été agriculteurs. Ceux-ci ont maintenu certaines de leurs activités professionnelles tout en les réduisant à leurs besoins personnels. Il en est ainsi des clapiers et des poulaillers qui fournissent nombre de ménages en lapins, poulets, oies, dindes, pigeons, chapons, etc., en quantité suffisante pour qu’il ne soit jamais fait recours à la sphère marchande. Pour beaucoup, acheter un poulet, « ‘on n’y pense même pas, ça nous vient pas du tout à l’idée’ ». Parmi ces volailles, les poulets de Bresse représentent une proportion considérable, qu’il est néanmoins difficile d’évaluer. En tout cas, cette pratique est confirmée par la présence d’éleveurs professionnels qui commercialisent en vivant de très jeunes volailles à des particuliers : « ‘il vend, c’est un éleveur de volailles de Bresse, il n’est pas accouveur, il prend à Béchanne mais il va vendre des petits chapons, il va vendre du démarré, il va vendre des poussins démarrés de cinq semaines’ ».

A l’inverse, d’autres pratiques se sont arrêtées avec la cessation d’activité professionnelle. Ainsi, plusieurs anciens agriculteurs se sont référés à ce moment de leur vie pour dater le dernier porc élevé par leurs soins et en conséquence, les dernières charcuteries maison : « ‘j’avais vendu mes chèvres, je n’avais plus de petit lait et j’avais trouvé qu’il me fallait beaucoup plus de farine pour nourrir un cochon, donc j’ai arrêté. En soixante-huit, on a eu notre dernier cochon’ ».

Mais l’accès à la retraite marque également le début de nouvelles pratiques : en libérant du temps, celle-ci offre la possibilité de se lancer dans des productions qui paraissaient jusque là impossibles. Une agricultrice, aujourd’hui retraitée, se souvient qu’elle a commencé l’élevage de chapons lorsque son mari a cessé son activité professionnelle : « ‘lui, il travaillait en usine, c’était pas faisable. [...] J’avais pas le temps de préparer des volailles pour aller au concours. C’est quand il a été à la retraite que j’ai essayé d’en faire quelques-uns’ ».

Si, parmi les générations plus jeunes, les personnes qui cultivent un jardin ou élèvent des volailles sont moins nombreuses, rares sont celles qui ne bénéficient pas des productions de leurs parents ou grands-parents, habitant à proximité. Car ces derniers ont à charge, non seulement leur propre approvisionnement mais, dans une moindre mesure, celui des générations suivantes. Ainsi une jeune femme mesure les bénéfices qu’elle tire de la basse-cour de sa grand-mère pour sa propre consommation  : acheter du poulet « ‘ça ne m’est jamais arrivé. Non, autant je vais acheter des steaks, mais autant les volailles... heu, enfin, les poulets j’en ai jamais acheté, et maman, je sais qu’elle n’en a jamais acheté non plus. Et d’ailleurs, on n’achète pas de dinde non plus. Pas d’oie. [...] En fait, on n’achète que les pintades. Il me semble que la grand-mère doit en acheter, comme ça, une fois par an et quand elle en achète elle en propose à maman. Mais sinon ça doit être tout’ ». Nous reviendrons sur le poids des pratiques de dons, entre parents et enfants, en particuliers d’aliments issus du jardin et de la basse-cour. Si ces générations, chez qui l’attachement aux productions domestiques reste fort, n’entretiennent pas de tels espaces, c’est par manque de temps (« ‘c’est du travail, il faudrait être là pour s’en occuper. Alors rentrer le soir et encore ramasser les haricots, faut tout préparer, et mettre au congèle. A dix heures du soir vous y êtes encore quoi ’») mais surtout car d’autres s’en occupent pour elles : « ‘s’ils n’étaient pas à côté, ça m’inciterait plus à faire un petit potager, mais je ne ferais pas ça en grande quantité’ ». Il arrive en effet que, ne pouvant plus bénéficier de ces productions, des consommateurs se mettent alors à les cultiver. Ainsi, travaillant désormais dans une autre région, une jeune Stéphanoise a cherché à louer une maison individuelle possédant un petit jardin, afin de pouvoir cultiver ses propres légumes.

Notons une pratique, citée plusieurs fois, qui consiste à réserver une parcelle du jardin potager à un autre membre de la famille. La délimitation est ainsi plus clairement affirmée entre les productions des uns et des autres. Cette parcelle peut être cultivée par le bénéficiaire qui jouit d’un petit coin de terre par exemple chez ses parents et qu’il utilise selon ses envies ou bien par le propriétaire du terrain qui cultive une parcelle dont les productions sont destinées à un proche parent.

Parmi les fruits et légumes produits dans les jardins potagers et les vergers de Saint-Etienne-du-Bois, ont été cités les pommes, les poires, dont plusieurs variétés, les melons, les fraises, les cerises, les cerises blanches, les coings, la rhubarbe, les pommes de terre, les tomates, les haricots verts, les haricots mange-tout, les haricots en grains dont les fayots et des variétés anciennes (le haricot religieuse, Phaseolus vulgaris L. cv. Religieuse, variété aux grains moitié rouges et moitié blancs), les fèves, les navets, les choux-raves, les petits pois, les melones, les courges à cochon233, les poireaux, les salades variées dont la mâche, les épinards, l’oseille, les courgettes, les carottes, les choux, les bettes (ou blettes), les radis, les betteraves, la ciboulette, le persil et le thym, ainsi que, de manière moins courante, les pommes croque, les pommes camion et les pommes doublerose - trois variétés anciennes -, les choux-fleurs, les potimarrons, les artichauts, les poivrons, les aubergines, le fenouil, les cardons, les salsifis, les crosnes, les asperges, les endives, les brocolis, les concombres, le basilic, l’estragon, etc. Cette liste suffit à prouver la diversité des productions aujourd’hui cultivées par les particuliers. Cependant, certaines variétés traditionnellement cultivées en Bresse ont disparu (courge à confiture, maïs de pays, haricots à rame, etc.). Les variétés anciennes de pommes et de poires (pomme croque, pomme camion, poire chonaille, etc.) sont de moins en moins nombreuses et les arbres qui restent tendent à vieillir. Cependant les jardiniers déclarent que chez eux « ‘il y a à peu près de tout’ ». En effet, le jardin procure l’essentiel des fruits et légumes si bien que pour cette catégorie d’aliments, et pour un grand nombre de personnes, l’auto-production est le réseau d’approvisionnement prépondérant : le recours à la sphère marchande est limité à quelques produits.

Selon la nature des fruits et des légumes et les stratégies personnelles, les jardiniers achètent leurs graines et leurs plants ou réalisent eux mêmes leurs semences. Mais en ce qui concerne les variétés locales, celles-ci ayant peu pénétré la sphère commerciale classique, les jardiniers gèrent généralement eux-mêmes la reproduction de leurs plantes selon la technique de sélection massale. Les semences sont sélectionnées sur les spécimens les plus beaux, de manière à fournir des plants pour l’année suivante. Les graines ou les plants des variétés locales sont également fréquemment échangés entre particuliers. A titre d’exemple, un couple d’habitants de Saint-Etienne-du-Bois repère chaque année quelques pieds de haricots de la variété religieuse qu’ils font mûrir afin de récolter soigneusement les graines. Il leur arrive de fournir quelques graines à des amis qui recherchent cette variété ancienne. En raison de la nature hybride des cucurbitacées, les croisements rapides rendent difficile la conservation des variétés de courges, si bien que les jardiniers qui ne cultivent que de la courge à cochon et qui par conséquent arrivent à conserver la variété, sont souvent sollicités pour fournir des graines. Enfin, quelques rares Bressans cherchent à greffer, avec plus ou moins de succès, des arbres fruitiers de variétés anciennes dont les poires chonaille.

Notes
233.

Ce légume, autrefois cultivé dans les champs de maïs, a pénétré l’espace des jardins potagers.