« En boulangerie, j’achèterais plutôt un gâteau autre qu’une tarte »

Concernant les produits de pâtisserie, les achats des Stéphanois rencontrés sont assez limités, l’auto-production en tartes occupant une place importante. Certaines personnes déclarent ne se procurer qu’exceptionnellement des pâtisseries : leur choix se porte alors sur des desserts assez élaborés, qu’elles ne savent pas fabriquer : « ‘si on prend quelque chose chez le pâtissier, ce sera plus volontiers un gâteau. Ou des gâteaux portion, trois gâteaux différents selon le goût de chacun. Plutôt qu’un... comme on n’est que trois, c’est vrai que les gâteaux entiers si vous voulez, ça fait pas mal. Et puis on n’y va pas tous les jours, non plus, parce que c’est pas donné ’». Payantes, ces pâtisseries doivent marquer la rupture avec la fabrication domestique et le quotidien. Selon cette logique, les consommateurs émettent des réticences à acheter des tartes qui évoquent un dessert banal, même chez ceux qui, comme cette dernière, ne prennent pas le temps d’en confectionner : « ‘les gâteaux, je pense que ça sort plus de l’ordinaire, pour moi, c’est un peu plus... la tarte ça fera plus tous les jours que le gâteau. C’est arrivé qu’on aille en course, un samedi après-midi, de s’arrêter dans une pâtisserie manger un gâteau. Mais je ne me vois pas m’arrêter dans une pâtisserie pour manger un bout de tarte’ ». Ce type de réflexion est courant auprès d’une partie de la population. S’il arrive que ces personnes achètent une tarte dans une boulangerie, ce sera par manque de temps ou par commodité : « ‘on achète rarement des galettes, nous. Oh ça arrive, si, parce que l’autre jour j’ai acheté une tropézienne. L’autre jour, j’étais en panne, bon j’avais rien, j’ai acheté une tarte, tropéz... comment ça s’appelle ? Tropézienne, oui ? J’étais prise de cours’ ». Le mari de cette Stéphanoise ajoute, comme pour justifier son acte : « ‘oui, mais ça s’est décidé le matin qu’ils venaient le soir, et puis t’avais autre chose à faire ’». Le choix s’est porté sur un dessert que cette femme associe à la catégorie des tartes, une tropézienne, mais qui n’appartient pas au corpus des tartes qu’elle prépare habituellement. Néanmoins, dans certains ménages, les cuisinières ne fabriquent plus aussi couramment des tartes et ont recours au commerce. Elles portent alors une jugement négatif sur leur comportement : « ‘j’en faisais souvent quand on était à la ferme. Toutes les semaines, il y avait mes trois tartes. Maintenant, on achète. On devient paresseux... ’». Parmi les personnes qui achètent occasionnellement des tartes en boulangerie, nous avons essentiellement rencontré des personnes seules, qui ne cuisinent pas beaucoup. Elles achètent des tartes lorsqu’elles attendent des parents ou des amis. Cette personne âgée, qui reçoit souvent des visites inopinées de son entourage, ne prépare jamais de tarte mais préfère en acheter régulièrement en boulangerie : « ‘oh, je fais peu de tartes, moi. Parce que je suis toute seule, alors ça me dit pas grand chose de faire. Si on fait une tarte pour le dimanche, si je pense avoir du monde, je n’ai personne, alors après je suis obligée de la partager en huit et de la surgeler. Alors non. Mais y a des fois, le dimanche matin quand je prends mon pain, je dis “tiens tu vas peut-être avoir un tel”. Mais alors si j’ai personne, je la partage et je la mets au congèle [...] et un jour où j’ai un repas qui est un peu court, je me prends un morceau de tarte’ ». Selon ses propos, ne pas partager une tarte avec des invités est plus ingrat lorsque celle-ci est faite maison que lorsqu’elle a été achetée.

Si les tartes sont rarement achetées en boulangerie par nos interlocuteurs, il semble que ce ne soit pas pour des questions de qualité des fabrications. « ‘D’ailleurs, elles sont très bonnes, ah oui, oui, elles sont bonnes’ » reconnaît une cuisinière, habituée à faire ses tartes, à propos de celles qui sont commercialisées en boulangerie pâtisserie. De nombreux témoignages s’accordent sur cette impression : la valeur des fabrications artisanales est tout à fait reconnue par les particuliers, qu’ils en confectionnent ou non. Mais le statut de ce produit rend difficile sa commercialisation auprès de toute une partie de la population : dans les représentations, les tartes continuent d’appartenir à la catégorie des productions domestiques, dont les savoir-faire sont accessibles à tous. Plusieurs informateurs ont d’ailleurs évoqué la raison du prix des tartes qui leur semble excessif.

Quant aux brioches, puisque rares sont les particuliers qui en font, elles sont donc achetées, généralement en boulangerie pâtisserie. L’informatrice qui avait reconnu acheter désormais, « par paresse », des tartes, déclare avec beaucoup moins de retenue : « ‘chez le boulanger, on aime bien la brioche’ ».