Les diverses associations locales, patrimoniales, sportives, corporatistes ou culturelles, telles l’Amicale des sapeurs pompiers, le Sou des écoles, les Sociétés de chasse, les Clubs de football, de gymnastique, du troisième âge ou les fanfares, etc., organisent une à deux fois dans l’année des manifestations afin de recueillir des fonds pour financer leurs activités257. Elles prennent parfois la forme de fêtes publiques comprenant diverses activités et réclamant une organisation complexe. Mais la forme la plus courante de subvention consiste en la vente de productions locales258. Ainsi chaque commune de la Bresse voit se succéder tout au long de l’année plusieurs points de vente gérés par les diverses associations. Le Bulletin municipal de Simandre annonce en 1999 pas moins de onze ventes de galettes dans l’année ! Les acheteurs sont informés les semaines ou jours précédents par des prospectus déposés dans les commerces, des affiches placardées sur les vitrines, des chevalets installés aux entrées des communes, des annonces passées dans les journaux locaux et parfois par le bulletin municipal. Ces matériels de communication précisent non seulement le produit proposé, le lieu, la date et éventuellement l’heure de la vente mais aussi la structure au profit de laquelle celle-ci est réalisée (Cf. Annexe 6 un exemple de prospectus).
Les aliments les plus souvent concernés par ces ventes sont des productions locales et traditionnelles : le boudin et le civier reviennent tout au long de l’hiver, les tartes à la crème le reste de l’année. Sont également commercialisées, mais de manière plus occasionnelle, les autres variantes de tartes - au sucre, à la frangipane -, les gaufres, de plus en plus souvent « bressans » (fins et confectionnés à partir des fers plats, et parfois même au sarrasin), les brioches, etc. Il est également d’usage que les conscrits, à Saint-Etienne-du-Bois, vendent des crêpes, au mois de février, sur le bord de la Nationale, pour financer leur repas. De manière générale, ces ventes se déroulent sur un lieu de passage, souvent le week-end, mais pas uniquement.
Les Bressans ne manquent jamais de se servir lors de ces ventes, si bien que les volumes commercialisés sont conséquents. A titre d’exemple, les basketteurs de la petite commune de Saint-Rémy ont vendu en 2001 plus de 250 kg de boudin. Les journaux locaux commentent généralement les jours suivants la bonne réussite de l’opération et la générosité des acheteurs. Car ces achats, au bénéfice d’une association, s’apparentent à des actes de soutien : ils ne sont pas effectués dans le seul but d’obtenir cette denrée, et donc par nécessité, mais pour encourager les organisateurs. Les achats sont faits uniquement car l’occasion se présente. Ils sont réalisés comme un engagement, dans une logique de proximité avec les fournisseurs. Si bien que ces aliments ne relèvent pas de l’alimentation quotidienne : ils sont généralement acquis de manière impromptue, parfois par les hommes, alors que ce sont les femmes qui s’occupent des approvisionnements courants ; ils viennent s’insérer et modifier le programme alimentaire de la semaine. Dans ce type d’achat, le hasard intervient largement : la consommation de tel ou tel aliment dépend de la décision des associations, tant en terme de choix du produit qu’en terme de date de la vente. Dans certaines familles, ces ventes portent sur des produits qu’elles n’ont pas l’habitude d’acheter mais dont les seules consommations ont lieu à cette occasion. Tel est le cas dans cette famille stéphanoise : « ‘le boudin, on en mange rarement. Enfin quand c’est l’occasion, quand ils en vendent ici à Saint-Etienne, parce qu’en fait, il y a un stand qui est tenu, au bord de la Nationale, par une association, je crois. On en achète. C’est mon père qui en achète. On en achète pour qu’on goûte, pour dire qu’on a mangé du boudin quoi ’».
La fabrication est généralement prise en charge par un amateur compétent ou un ancien professionnel, qui l’effectue bénévolement. Seules les matières premières ont un coût. Parfois même certains participants offrent leurs propres productions (pour la fabrication du camyon à la fête de l’attelage à Saint-Etienne-du-Bois, une adhérente apporte la ciboulette qui pousse en quantité dans son jardin).
Les produits, ainsi commercialisés, jouissent d’une image très positive de la part des consommateurs : « ‘quand ils font, les chasseurs, là, ils font civier, boudin, ben, on en prend parce qu’on trouve que c’est bon’ ». Ces aliments sont considérés comme meilleurs que leurs homologues commercialisés dans les magasins car fabriqués de manière traditionnelle, « à l’ancienne mode », « comme dans le temps », en somme à l’image des fabrications domestiques. De toute évidence, tout se passe, aux yeux des consommateurs, comme si, vendus par des structures à buts non lucratifs - des associations -, ces produits étaient fabriqués sans recherche de profit. Ils se rapprocheraient des fabrications domestiques et seraient exempts de toute irrégularité.
Néanmoins ces ventes sont parfois source de conflits ou tout au moins de tensions, avec certains professionnels, artisans charcutiers ou boulangers. Ces derniers accusent les associations de leur faire du tort, faisant chuter leur chiffre d’affaires la semaine au cours de laquelle est organisée la manifestation. Ils regrettent par ailleurs le manque d’hygiène lors de ces fabrications alors qu’eux sont soumis à des règles strictes, parfois vécues comme excessives. Ils notent également l’inévitable écart de prix entre leurs produits et ceux commercialisés par les associations en raison des fortes charges dont, grâce au bénévolat, celles-ci sont exemptées et regrettent que les consommateurs ne prennent rarement en compte ce critère. Ainsi, la coexistence de ces deux sphères d’approvisionnement n’est pas toujours évidente. Certains organisateurs en ont conscience et font alors appel pour se fournir à un professionnel, surtout si celui-ci est réputé : ainsi, le charcutier de Replonges est souvent sollicité pour la confection de boudin vendu par des associations sportives.
La Bresse se distingue par une forte concentration d’associations de natures variées qui organisent diverses manifestations auxquelles participent avec entrain la majorité de la population. Jouant un rôle central dans le déroulement la vie rurale bressane, celles-ci font l’objet d’une grande considération de la part des Bressans qui n’hésitent pas à répondre aux diverses sollicitations lancées par les organisateurs. A titre d’exemple la commune de Saint-Etienne-du-Bois ne compte pas loin d’une trentaine d’associations dans les domaines sportif, culturel, musical, de loisirs, etc.
Dans ce chapitre, il ne s’agit nullement des productions vendues pour être consommées sur place à l’occasion des fêtes organisées par les associations (nous y reviendrons ultérieurement (Cf. Chap.5.4.)). Nous n’évoquons ici que les productions vendues pour une consommation différée, à domicile.