Les aliments supports des dons

Les dons portent sur des aliments de natures variées259. Il s’agit aussi bien d’ingrédients bruts (fruits, légumes, animaux, semences) que des produits plus ou moins transformés ou encore des plats préparés ou des substances prêtes à être consommées. Appartenant à la première catégorie, ont été cités, en fonction des saisons, maints aliments dont les plus courants sont les pommes, les noix, la rhubarbe, la salade, les carottes, les courgettes, les pommes de terre nouvelles, les haricots, les radis, les châtaignes, les champignons, les oeufs, le gibier, et surtout les courges : « ‘j’ai une cousine qui m’a apporté un gros potiron, mais gros... je ne peux pas le porter’ ». En limite du domaine de la consommation, les dons, qui prennent la forme de stratégie de conservation, portent également sur des graines ou des semis de variétés anciennes de courges et de haricots : « ‘cette année, j’ai mis des courges de maïs que m’a donné un copain, y a deux, trois ans’ ». L’échange entre les habitants de Saint-Etienne-du-Bois est courant si bien que le contraste est frappant avec l’attitude de ce commerçant du marché de Bourg-en-Bresse, qui s’évertue à enlever toutes les graines de ses courges afin d’éviter que ses acheteurs ne réalisent des semis à partir de la variété qu’il a soigneusement sélectionnée. Une commerçante voisine est presque offusquée : « ‘Félix, qui n’est pas bien loin de moi, il a deux variétés, mais tu ne vas pas lui prendre une graine, parce qu’il enlève toutes ses graines à mesure. Y a des gens qui ont soixante-dix ans ou plus, qui essayent de venir ramasser des graines de courges. J’ai envie de leur dire “t’es pas malin, t’aurais pu lui en acheter une entière, au moins t’aurais des graines” ! Ils veulent tous... Mais je sais pas s’il les démonte pas toutes ! Il veut pas que les gens prennent des graines pour en semer’ ». Au sein de la sphère commerciale, la logique du don est exclue, la protection économique s’impose. Dans la seconde catégorie des dons, entrent les volailles préparées (plumées, vidées) dont les poulets, les pigeons, les chapons, etc., le lard salé, les morceaux de gibier (éventuellement congelés), le boudin, et à nouveau la courge mais sous une forme plus transformée (coupée en morceaux ou précuite par exemple). Enfin parmi les produits préparés, prêts à être consommés, se trouvent les tartes, les brioches (généralement achetées), l’eau-de-vie, le civier, ainsi que des plats de courge ou de gaudes qui circulent chauds pour être consommés immédiatement : « ‘quand la maman fait des gaudes, elle m’en descend une casserole. [...] En général, elle les amène, elles sont chaudes. Parce que dès qu’elles sont suffisamment cuites, je pense qu’elle les met dans une casserole et elle me les descend’ ». Pour ces transports, les casseroles, assiettes et autres boîtes hermétiques en plastique circulent entre les foyers.

Si ce sont avant tout les aliments issus de l’auto-production, que ce soit du jardin, de la basse-cour, de la cueillette ou de la chasse, qui sont donnés, certains, souvent ceux appartenant à la catégorie des productions locales, circulent plus couramment que d’autres. A titre comparatif, dans le Revermont, l’huile de noix fait souvent l’objet d’échanges. Ce Cavais déclare en offrir à ses hôtes lorsqu’il est invité : « ‘on va manger chez quelqu’un, et ben on porte, au lieu de porter un bouquet de fleurs, je porte un litre d’huile de noix, les gens sont contents parce qu’ils n’en ont... parce que c’est assez cher quand même. Ça vaut dans les quatre-vingts’ ». De l’autre côté de la Bresse, en Dombes, zone de production piscicole, ce sont des carpes que les exploitants offrent en guise de fleurs. La similitude du discours de cet autre informateur, Dombiste, avec le précédent est frappante : « ‘je leur porte vivante, dans un bac. J’ai des petites cuves qui ferment hermétiquement, je peux mettre dans ma voiture, pas de problème, avec de l’eau. Ils sont heureux comme tout. Au niveau des fleurs, quand on les a vues pendant deux/trois jours, elles crèvent, les carpes, on les mange, c’est pas plus mal’ »260. Tous deux sont assurés que leurs cadeaux sont appréciés, et préférés aux fleurs ! En Bresse, certains éleveurs de volaille fonctionnent selon la même logique : « ‘on peut ben faire plaisir avec un poulet, en allant chez des amis ou des frères et soeurs qui n’en produisent pas’ ». Mais en raison de la valeur élevée de cette denrée, cette pratique est réservée à de grandes occasions ou à des proches. La courge, en revanche, est facilement donnée : l’ardeur avec laquelle certaines personnes en proposent donne l’impression qu’elles cherchent à s’en débarrasser ! Ce légume est offert sous toutes les formes : en graine, en fruit, en morceaux, précuit, en plat. Par contre, l’échange des assiettées de charcuteries, les fricassées, s’est nettement restreint : moins de porcs étant désormais abattus à domicile, le boudin et le civier circulent moins souvent qu’autrefois. Néanmoins, cette pratique se perpétue chez ceux qui tuent un porc ; elle porte prioritairement sur le boudin : « ‘on a un voisin, Michel, qui tous les ans, tue un cochon encore, il tue des cochons avec ses enfants. Il est plus jeune que moi, il a pratiquement dix ans de moins que moi. [...] Le boucher, quand je le vois arriver tuer un cochon chez Michel, je dis à ma femme : “demain, on mange du bon boudin”. [...] Il nous apporte toujours une assiettée’ » explique ce retraité, en se frottant les mains en signe de délectation. Etant donné la rareté de cette pratique, cette fricassée, contrairement à autrefois, est offerte sans réciproque. Ce don est une manière de marquer son affinité avec une personne dont on est sûr qu’elle appréciera le cadeau ou peut servir de remerciement suite à un service rendu.

Notes
259.

Les invitations à partager un repas appartiennent à la catégorie des dons. Bien que courantes, surtout entre générations d’une même famille, elles ne sont pas abordées ici dans la mesure où il ne s’agit pas véritablement d’un mode d’approvisionnement mais d’une pratique de consommation.

260.

Balvet Delphine, 1997, p.57.