3.2. Préparations alimentaires

Leroi-Gourhan envisage les préparations alimentaires comme « ‘les différentes opérations par lesquelles le produit alimentaire acquis devient consommable, c’est-à-dire la chaîne technique qui sépare l’épi fauché du pain, le gibier abattu du rôti. C’est donc envisager non seulement la cuisine, mais des opérations qu’on tient ordinairement pour agricoles, comme le battage du grain ’»262. Divers réseaux d’approvisionnement étant sollicités pour l’acquisition des productions agricoles et alimentaires locales, chacune d’entre elles est obtenue, en fonction de sa nature, des occasions et des pratiques de chaque consommateur, dans un état de transformation plus ou moins avancé et proche de la consommation. Les chaînes techniques qui font passer les produits de leur forme d’acquisition à celle d’un plat consommable dépendent donc de chaque situation. Néanmoins, en raison du poids de l’auto-production dans cette catégorie d’aliments, ainsi que des formes d’approvisionnement qui s’en rapprochent, la complexité et le nombre des opérations sont généralement élevés et portent sur des pratiques dont les consommateurs seraient dispensés en cas d’achat en grandes surfaces ou commerces spécialisés. Ces opérations correspondent à la « technologie alimentaire » définie par Igor de Garine. Cet auteur distingue, en effet, deux domaines dans la préparation alimentaire :

‘« la technologie alimentaire qui englobe les diverses chaînes techniques intéressant les aliments depuis leurs lieux d’acquisition jusqu’au seuil des opérations qui amèneront leur transformation en vue d’une rapide consommation. Ce dernier domaine est celui de la cuisine stricto sensu : égrenage, lavage, trempage, filtrage, concassage, broyage, râpage, pressage, découpage, piquage, de même que la plupart des opérations [...] de la conservation, font tous partie de la technologie alimentaire. Ils constituent les phases préliminaires à la cuisine proprement dite »263. ’

Si ce déroulement en deux étapes est clair pour certaines productions, il s’avère moins évident pour d’autres : certaines ne nécessitent pas d’opération relevant de la technologie alimentaire, d’autres de la cuisine. De plus, technologie et cuisine sont parfois effectuées selon une succession tellement proche qu’il est difficile de les différencier. Enfin, la cuisine stricto sensu comprend, elle aussi, des opérations de lavage, découpage, pressage, filtrage, etc. Néanmoins d’autres critères que ceux relevant de la nature des opérations réalisées aident à distinguer ces deux moments de la préparation alimentaire, tels que le statut des acteurs. En effet, traditionnellement, la cuisine était un domaine réservé aux femmes, tandis que beaucoup des opérations relatives à la technologie alimentaire étaient réalisées par les hommes264. Encore actuellement, les femmes cuisinent plus que les hommes en Bresse, ce qui justifie que nous employons souvent le terme de « cuisinière » pour désigner les personnes prenant en charge cette activité. De plus, les opérations de technologie alimentaire (la confection des charcuteries par exemple), effectuées à des fins commerciales, peuvent relever du secteur professionnel, tandis que la cuisine, sauf dans le cas de la restauration, appartient plus généralement à la sphère privée et domestique. Enfin, l’espace, l’atmosphère, la fréquence de la chaîne opératoire participent, de manière plus ou moins marquée, à l’opposition entre technologie alimentaire et cuisine stricto sensu.

Pour présenter les diverses préparations alimentaires relatives aux productions locales bressanes, nous les avons classées selon l’opposition technologie alimentaire/cuisine stricto sensu, tout en ayant conscience de son caractère parfois arbitraire.

Notes
262.

André Leroi-Gourhan, 1973 (1945), p.142.

263.

Igor de Garine, 1990, p.1475.

264.

Répondant à cette logique, mais dans une autre région, la Dombes, nous avions constaté que pour la préparation de la carpe, les hommes, qui étaient généralement les acteurs de la technologie alimentaire, ne participaient généralement pas à la phase suivante. C’était eux qui, après s’être procuré ce poisson, se chargeaient de l’assommer, puis de l’éviscérer, l’écailler, le laver, et éventuellement de le dépouiller, le désarêter ou de lever les filets. Ils donnaient ensuite le relais aux femmes qui s’occupaient de la préparation culinaire. Voir à ce propos Balvet, 1997.