3.2.1.2. Préparation des volailles de Bresse

Si la littérature ethnologique s’est souvent intéressée à l’abattage et la transformation des porcs, des moutons ou des boeufs dans différentes régions281, moins d’écrits ont porté sur la mort des volailles, peut-être en raison de son aspect peu spectaculaire, peut-être aussi car cette activité était souvent réservée à la sphère domestique et féminine. Les deux ouvrages ethnologiques de référence consacrés à la volaille de Bresse - celui de Patricia Pellegrini (1991) et celui de Sandra Frossard-Urbano (1992) - s’attardent peu sur l’abattage domestique.

Etant donné qu’un certain nombre de Bressans élèvent pour leur consommation personnelle des volailles, les opérations d’abattage et de plumage sont couramment réalisées par ceux-ci. Ils s’arrangent généralement pour en préparer plusieurs à la fois, quitte à en congeler ou en distribuer dans leur proche entourage, à leurs enfants en particulier. Au moment des fêtes de fin d’année, la préparation des volailles dites fines ou grasses282 - chapons, poulardes et poulets -, également élevés par les particuliers, réclame une chaîne technique plus complète : une fois plumées, les bêtes sont enroulées dans une toile qui leur donne une forme caractéristique. Nous avons choisi de présenter cette chaîne technique qui est très spécifique à la Bresse et qui comprend un plus grand nombre d’opérations.

Autrefois, cette préparation des volailles fines était courante dans les fermes, si bien qu’aujourd’hui la plupart des personnes âgées, des deux sexes, en maîtrisent encore le savoir-faire : « ‘tout Stéphanois qui a été élevé dans l’agriculture, de notre âge, sait faire. Tout le monde faisait dans le temps. A Saint-Etienne-du-Bois, on dit berceau de la volaille de Bresse, mais c’est que dans pratiquement toutes les fermes, à plus forte raison dans les petits domaines, ils faisaient du poulet pour le concours’ ». Actuellement, ces opérations sont essentiellement effectuées par les personnes âgées, les agriculteurs et les éleveurs professionnels. Si habituellement ces derniers préparent seuls leurs volailles, au moment des fêtes de Noël, l’activité s’intensifiant, ils invoquent l’aide de leur entourage. Parents (enfants, cousins, frères et soeurs, etc.) et amis qui savent plumer et rouler les volailles viennent collaborer. Ce sont, dans la mesure du possible, toujours les mêmes personnes qui sont sollicitées. La préparation de ces volailles prend, à ce moment de l’année, une dimension collective, reflet d’une situation sociale et culturelle bressane. L’organisation de ces préparations, surtout lorsque les volailles sont destinées aux concours des Glorieuses, est représentative de l’intérêt porté à cette production dans la région. Toutes les étapes de leur transformation, que ce soit l’abattage, le plumage, le roulage - ou emmaillotage - ou encore le transport, font l’objet d’une très grande attention. Lavoille en 1939 écrit : « ‘il existe un art délicat de sacrifier, de saigner par section buccale, de plumer et de trousser les poulets, que seules les mains expertes savent pratiquer, pour que la volaille morte ne subisse aucune dépréciation ’»283. L’amour que l’éleveur éprouve pour les belles volailles transparaît au travers de gestes soigneux et appliqués, d’une exigence élevée et d’une grande vigilance. A l’approche des concours, la tension est de plus en plus soutenue si bien que Noël est savouré, non comme un moment festif, mais comme un moment de détente : « ‘généralement, à Noël, mes parents, ils dorment’ » soulignent la fille d’une éleveuse de volailles de Bresse. Nous décrirons donc cette préparation telle qu’elle est réalisée chez les éleveurs, généralement dans le but de concourir, en sachant toutefois qu’elle a également lieu, mais avec moins d’effervescence et de profusion, chez les particuliers qui élèvent des chapons et des poulardes pour leur consommation.

Comme l’abattage du porc, cette phase préliminaire à la cuisine stricto sensu fait passer les volailles du statut d’animal à celui d’aliment. Elle comprend un certain nombre d’opérations dont la mise à mort de l’animal.

Notes
281.

Nous pensons, outre les auteurs déjà cités à propos du porc, aux travaux d’Anne-Marie Brisebarre (1995) sur les moutons, de Noëlie Vialles (1987) sur le boeuf et à nouveau Colette Méchin (1992) pour l’ensemble des animaux consommés.

282.

D’après Patricia Pellegrini, on trouve mention dans divers baux des XVIIIème et XIXème siècles aussi bien de la dénomination de « poularde fine » que celle de « poularde grasse » pour désigner ces animaux engraissés. Il semble donc que les deux dénominations aient toujours été utilisées plus ou moins contemporainement. Néanmoins, depuis quelques années, celle de « volaille fine » tendrait à prédominer (1991, pp.35-37).

283.

Lavoille G., 1939, p.77.