Pendant les 10 à 15 jours précédant Noël, les éleveurs vont se consacrer à l’abattage et à la préparation des volailles fines. Les opérations vont se répéter chaque jour avec le même soin, l’attention étant maximale juste avant les dates des concours présentés par l’éleveur. Les « assistants », venus l’aider, sont assignés, en fonction de leurs compétences, à diverses tâches, qui se déroulent toujours sous le contrôle de l’éleveur. Chacun est installé là où il sera le plus performant. S’il n’est pas évident de renvoyer une personne peu soigneuse venue aider, l’éleveur se permet quelques remarques, parfois dites avec humour, étant donné l’enjeu de la situation car toute maladresse effectuée sur un animal le déprécierait et le rendrait inapte au concours. C’est pourquoi certains surveillent le travail, inspectent discrètement les ongles qui ne doivent pas être trop longs au risque d’écorcher la peau, ou encore exigent que les tabliers n’aient ni boutons, ni fermeture éclair sur la couture centrale afin d’éviter qu’ils ne laissent des marques lorsque les volailles, au moment du plumage, sont déposées sur les genoux.
Par petits groupes de cinq ou six, les volailles, qui ont été choisies la veille, sont retirées des épinettes, où elles ont jeûné depuis plus de vingt-quatre heures. Pour le concours, toutes les précautions sont prises pour que les bêtes ne soient pas blessées. Pendues par les pattes à des cordes alignées sous l’auvent de la grange, elles sont saignées au palais, à l’aide de petits ciseaux glissés dans le bec, afin de ne pas laisser de marques extérieures. « ‘Le saignement doit être net, parfait, presque invisible’ » précise Ferraris284. Alors que l’animal se débat, sa tête est maintenue tendue vers le bas afin que le sang s’écoule correctement. A chaque série de volailles, la sciure, répandue en ligne sur le sol, se noircit un peu plus. En moins d’une minute, les bêtes cessent de bouger : elles pendent inertes au bout des cordes. Il faut que la saignée soit rapide pour garantir une chair blanche ; sinon les ailes et le croupion risquent d’être marqués de rouge. Une à une, les volailles sont détachées et, attrapées par les pattes, elles sont balancées d’avant en arrière pour parfaire la saignée. Cette exigence est ancienne comme le témoigne un article de 1822 : « ‘on les saigne au palais de manière à ce qu’elles perdent le plus de sang possible. Un des grands points pour les bonnes volailles et pour leur beauté, est qu’elles soient parfaitement saignées’ »285. Les volailles sont ensuite plumées au plus vite : un plumage à sec, sur une bête encore chaude, permet, en effet, d’obtenir la peau la plus intacte possible. A l’aide d’une plumeuse électrique, installée dans la cour de la ferme, les plumes des ailes sont tout d’abord arrachées. Cette opération demande de l’adresse car si l’animal est trop approché des disques, la peau risque d’être arrachée. Néanmoins cette première étape, bien que périlleuse, facilite grandement le travail suivant.
En effet, installé dans la tuerie agréée, un autre groupe de personnes venues aider finit le plumage à la main. Cette opération est longue et minutieuse. Certaines personnes, par précaution, ont enfilé leur tablier à l’envers. Chaque participant attrape une volaille grossièrement préparée et la dépose sur ses genoux, le ventre sur le dessus. L’éleveur se réserve les plus beaux spécimens. Avec beaucoup de précaution pour ne pas abîmer la peau, les plumes, pincées entre le pouce et un petit couteau, sont arrachées à contresens. Les plus grosses couvrent progressivement le sol, tandis que le duvet s’accroche et pénètre les vêtements. Les pattes et les ailes sont étirées afin que toutes les plumes soient soigneusement supprimées. Le dos, partie visible lors des concours, doit être fait en dernier, afin que la peau dénudée, « à vif », ne soit pas au contact des vêtements et ne risque pas ainsi d’être malencontreusement éraflée. Un accroc sur le ventre serait un moindre mal par rapport au dos. La tête, jusqu’au tiers supérieur du cou, est laissée emplumée, ainsi que le bas des pattes. Les plumes formeront une jolie collerette blanche. A l’aide d’un papier, le croupion est essuyé. Les articulations des pattes et des griffes sont entaillées au couteau pour faciliter l’emmaillotage. Une personne se charge d’effiler les volailles, c’est-à-dire de leur retirer l’intestin, et uniquement l’intestin, en passant l’index dans l’orifice anal. Les viscères s’amoncellent dans un seau en plastique. Aucune incision n’étant pratiquée, l’animal se conservera mieux. Les volailles terminées sont alignées sur des étagères, apposées sur les quatre murs de la pièce. Un large élastique a été passé autour des corps pour maintenir les pattes et les ailes troussées. Ainsi, les volailles refroidissent dans la position idéale.
Cette description ne saurait être complète sans ajouter ce qui relève des autres sens. En effet, une odeur acre, émanation des chairs, des fientes et des viscères, emplit progressivement la pièce et prend à la gorge celui qui revient après s’être absenté un moment. Une atmosphère légèrement humide, tiède, se dégage de ce lieu, seulement chauffé par un butagaz au milieu de l’hiver. Car pour des questions sanitaires, ce travail doit être réalisé à faible température. Les participants se cèdent alors la place à tour de rôle près de la seule source de chaleur. Les contacts physiques ne sont pas non plus anodins. Les mains qui attrapent la volaille, grossièrement plumée par la machine, immédiatement après la saignée, trouvent, au niveau des parties dénudées, un corps encore chaud. Cette sensation évoque indubitablement la vitalité de l’animal. Au fil du plumage, la chaleur s’atténue, les muscles se crispent, la bête se durcit : la vie s’en va avec les plumes, tandis que la mort devient plus évidente entre les mains. Sur les genoux du plumeur, l’animal se réifie, devient enfin objet.
Lorsqu’une trentaine de volailles sont effilées et plumées, l’étape de la toilette est entamée. Les volailles sont trempées dans l’eau froide et frottées avec insistance. Les plumes sont savonnées ; la crête, chez les poulets et les poulardes, ainsi que les pattes chez tous sont vigoureusement brossées. Pour éliminer toute trace de sang, l’intérieur du bec est raclé d’un geste précis avec l’ongle du pouce et les yeux doucement essuyés. L’éviscération est vérifiée ; l’orifice anal nettoyé. Enfin, les volailles sont abondamment rincées puis laissées à tremper quelque temps « pour les blanchir », la tête hors de l’eau pour éviter qu’elles ne boivent. D’après Ferraris286, les volailles seraient baignées dans du lait de vache avant d’être roulées : nous n’avons pas personnellement assisté à une telle pratique.
Ferraris Robert, 1991, p.67.
« Notice sur la manière d’élever et engraisser les volailles en Bresse », 1822, p.240.
Ferraris Robert, 1991, p.67.