Chapon

Les avis sont unanimes : en Bresse, le chapon est toujours rôti. Contrairement au poulet, dans la recette du poulet à la crème, le chapon est généralement cuit entier. La préparation s’apparente à celle du poulet rôti mais l’attente des commensaux étant encore plus grande, la cuisson doit être surveillée encore plus attentivement : « ‘le chapon, il faut bien réussir la cuisson parce que des fois les gens sont déçus, parce qu’on dit “chapon, chapon, c’est snob quoi”. Et c’est vrai que, si c’est bien réussi, c’est très bon’ ». Suivons la description faite par l’époux d’une cuisinière : « ‘elle le met au four, au four assez chaud. Alors il va dorer un peu, découvert quoi, il va dorer. Une fois qu’il a doré, on arrose un petit peu avec le jus... ça commence à faire du jus, on le retourne, on le laisse dorer et quand c’est assez doré aussi, ben elle le couvre, soit avec le couvercle ou un papier d’aluminium et puis y faire cuire quoi... on dit à feu doux mais enfin il faut quand même que ça cuise parce que... on entend un petit peu chanter dans le four. Autrement, ça ne cuit pas. On dit vingt minutes par livre’ ». De toute évidence, si cet homme ne cuisine pas lui-même la volaille, il connaît parfaitement le déroulement de cette préparation qu’il apprécie beaucoup. Certaines personnes garnissent le plat de marrons, d’autres préfèrent les cuire à part, dans une casserole, avec une partie du jus de cuisson du chapon.

La différence principale entre les diverses recettes réside dans le fait de pocher ou non préalablement le chapon, avant de l’enfourner pour le faire rôtir. Pour certains, il s’agit d’une exigence incontournable, pour les autres, beaucoup plus nombreux, cette opération est inutile, voire pour certains à bannir. Ces derniers réagissent vivement : « ‘ah non, surtout pas, c’est dommage de le laver’ » puis ajoutent que « ‘cuit dans sa graisse, c’est bien meilleur’ » et que cela permet ensuite d’utiliser la matière grasse pour la cuisson des légumes, des pommes de terre sautées par exemple. Parmi les plus audacieux, certains déclarent accepter d’essayer mais trouvent toujours le moyen, le moment venu, de s’en dispenser : « ‘chaque fois que quelqu’un m’en parle, je me dis qu’il faudrait que j’essaie mais finalement quand je prépare mon chapon, je trouve que c’est bien compliqué et que ça ira bien comme ça ’». Il se peut que ces deux pratiques soient le reflet des habitudes inhérentes à des catégories sociales différentes : il semble que ce soit les restaurateurs294 et les personnes des classes favorisées qui pochent les chapons. Tandis que les personnes originaires du milieu agricole - classe sociale qui ne consommait pas de chapon et poularde autrefois - ont probablement, en accédant à cet aliment, appliqué la technique culinaire de préparation des volailles qui leur était connue, en l’occurrence celle de la volaille rôtie. Pour ces personnes, passer une volaille dans l’eau bouillante, même s’il ne s’agit que de la pocher préalablement, est peu valorisant, dans la mesure où cette recette, celle de la poule gros sel, était essentiellement destinée aux poules de réforme, volaille dont l’image est incomparable avec le chapon. Ces représentations peuvent expliquer les résistances de la population à essayer cette technique.

Notes
294.

Sachant que seuls les restaurants gastronomiques proposent du chapon et de la poularde (Cf. Chap.5.3.3.).